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Grâce à la rue

Argentine. La légalisation de l’IVG approuvée en première lecture par la Chambre des Députés

Avec 131 voix en faveur, 117 contre et 6 abstentions, le Congrès a approuvé la légalisation de l’avortement avec l’inclusion de la clause de conscience. Dans les prochaines semaines, elle devrait être ratifiée par le Sénat et devenir une loi.

Andrea D’Atri

12 décembre 2020

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Le projet de loi présenté par le pouvoir exécutif, qui avait obtenu un avis majoritaire mercredi, a été approuvé à la Chambre des députés, ce qui permet d’envoyer le projet en discussion au Sénat et de promulguer le droit à l’interruption volontaire de grossesse jusqu’à la 14ème semaine.

Avant son examen, il a subi quelques modifications qui ont été demandées par les secteurs « anti-droit »s pour permettre d’obtenir les votes nécessaires à la bureaucratie pour qu’il devienne une loi. Parmi ces modifications, la plus controversée a été l’introduction d’une formule de clause de conscience qui laisse ouverte la possibilité pour une institution de santé d’avoir un personnel professionnel entièrement composé d’objecteurs et de refuser de pratiquer l’avortement.

En cours de route, le projet collectif de la Campagne nationale pour le droit à l’avortement a été laissé de côté. Après avoir été présenté pendant plus d’une décennie sans être examiné, ce n’est qu’en 2018 qu’il a reçu une approbation en première lecture, soutenu par une énorme mobilisation de centaines de milliers de personnes devant le Congrès et dans d’autres points de l’Argentine. Malgré le soutien social, le projet a ensuite été rejeté par le Sénat. Aujourd’hui, les députés Nicolás del Caño et Juan Carlos Giordano du Front de gauche et des Travailleurs (FIT), sont les seuls à avoir défendu l’esprit de ce projet historique lors du débat.

Au même moment, le Sénat discutait d’un projet de loi qui vise à désindexer les pensions de retraites de l’inflation, une mesure d’ajustement austéritaire, dans un contexte de forte inflation en Argentine, pour faire les poches à celles et ceux qui ont travaillé toute leur vie et en particulier aux femmes les plus pauvres qui perçoivent l’allocation familiale.

Pendant ce temps, dans les rues, les organisations politiques, sociales, féministes et syndicales qui soutiennent l’avortement légal ont suivi la session sur les écrans géants mis en place par le gouvernement national ; tandis que de l’autre côté du grillage qui divisait la place du Congrès, quelques centaines de militants anti-avortement se sont rassemblés. Le même dispositif que celui qui avait été organisé par le gouvernement de l’ex-président de droite Macri pour poser les partisans et les opposants à l’avortement comme étant sur un pied d’égalité et qui, dans les deux cas, a été démenti par la réalité.

Seuls quelques centaines de militants anti-droits se sont entassés dans le secteur sud de la Place des deux Congrès, tandis que des milliers de jeunes "vertes" (la couleur des foulards symboles de la lutte pour le droit à l’avortement), favorables au projet, ont suivi la session avec attention du côté nord. Cependant, la participation n’a pas atteint la massivité qu’elle a connue il y a deux ans, lorsque le mouvement pour le droit à l’avortement est devenu connu sous le nom de "marée verte".

Le gouvernement a écarté le projet défendu par l’immense mouvement des femmes argentines afin d’institutionnaliser la lutte pour ce droit en présentant à sa place un projet similaire mais revu au rabais ; il l’a annoncé lors de la fête nationalisme du « militantisme péroniste » (commémorant le 17 octobre 1945 et la libération de Perón), tandis que le Congrès votait le budget d’ajustement. Il a également ouvert la porte aux secteurs réactionnaires pour limiter le droit par la clause de conscience et l’a fait entrer dans la chambre en décembre, alors que les lois d’ajustement exigées par le FMI continuent d’avancer.

Cependant, le gouvernement d’Alberto Fernandez a dû faire écho à une demande qui a plusieurs décennies d’histoire et qui, ces dernières années, a été massivement portée dans les rues, avec l’incorporation d’une nouvelle génération de jeunes qui a fait sienne le foulard vert caractéristique de la Campagne nationale pour le droit à l’avortement.

Si le passage du projet de loi est assuré même au sein du très réactionnaire Sénat, la vérité est que c’est la mobilisation permanente qui pourra garantir le plein exercice de ce droit. Car l’ingérence des secteurs « anti-droits » dans cette loi n’est qu’une partie de la pression qu’ils exercent contre la loi sur l’éducation sexuelle complète, contre l’utilisation de contraceptifs, la vente de misoprostol et contre tous les droits sexuels et reproductifs.

Cette intrusion des églises dans l’État, loin d’être rejetée par le gouvernement et les partis majoritaires, est encouragée par la création de secrétariats de culte, la déclaration de villes ou de provinces entières comme "pro-vie", ou par la promotion de programmes de charité, d’aide aux populations coordonnés par les églises évangéliques et des députés du bloc kirchneriste.

Près de quarante ans après la chute de la dernière dictature militaire, les gouvernements qui ont suivi jusqu’à aujourd’hui n’ont même pas abrogé les décrets signés par le génocidaire Jorge Rafael Videla et le ministre de l’époque, Martinez de Hoz, par lesquels l’État est obligé d’affecter 130 millions de pesos par an du budget national aux « salaires » des évêques, archevêques, prêtres et séminaristes, entre autres avantages.

C’est pourquoi, Nicolás del Caño, député du Parti des travailleurs socialistes (PTS) au sein du Front de Gauche des Travailleurs, organisation-sœur du NPA-Révolution Permanente en France, a affirmé lors de la session qui a culminé aux premières heures du matin que : « Parce que nous défendons la vie des femmes et parce que c’est une question de santé publique, nous luttons pour que l’IVG entre dans la loi. Mais aussi, parce que nous défendons l’autonomie des personnes à choisir librement leurs projets de vie et à jouir de leur sexualité. Et de cette manière, le Front de gauche souligne également la nécessité de rendre effective la séparation de l’Église et de l’État, comme on le demande aussi dans la rue ».

Grâce à cette lutte, le mouvement féministe est arrivé jusqu’ici et obtiendra probablement la loi sur l’IVG dans quelques semaines. Mais la conquête effective de leurs droits exige qu’elles restent dans la rue. Le mouvement des femmes en Argentine, qui a eu une reconnaissance internationale, est descendu dans la rue au cri de « Ni una menos », est devenu une marée pour le droit à l’avortement et est toujours vivant dans les milliers de femmes qui occupent les rues de Jujuy contre les féminicides, dénoncent les projets miniers de Chubut ou luttent pour la terre et le logement dans les occupations de Guernica et d’autres parties du pays.


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