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Élections au Brésil

Brésil. Pourquoi le bolsonarisme sort-il renforcé des élections malgré l’avance de Lula ?

Lula reste le favori pour le second tour. Mais Bolsonaro, que certains annonçaient perdant dès le premier tour, a encore une chance et la situation reste ouverte. Mais au-delà de cette élection, c’est le bolsonarisme qui semble s’installer dans la durée.

Philippe Alcoy

4 octobre 2022

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Certaines des agences de sondages les plus importantes du pays se sont lourdement trompées sur les pronostics électoraux. A quelques jours du premier tour de l’élection des analystes sont arrivés à affirmer qu’il était possible que Lula l’emporte dès le premier tour. Plus en général, les sondages donnaient le président sortant à moins de 40% des voix exprimées. Or, la réalité c’est qu’aussi bien dans l’élection présidentielle que dans les élections locales et parlementaires le bolsonarisme a obtenu de bons, et parfois très bons, résultats.

Dans ce cadre l’un des premiers objectifs de Bolsonaro et de ses partisans a été atteint : forcer un second tour pour l’élection présidentielle. Mais ce n’est pas tout. Dans les élections pour les gouverneurs des Etats le bolsonarisme progresse, au parlement il obtient le groupe le plus important avec 99 députés et il progresse également au sénat. La droite et l’extrême-droite en général auront 273 députés sur 513. En ce sens, dans un article du site Poder 360, on affirme que « Bolsonaro doit intensifier ses déplacements dans le pays et miser sur l’argument selon lequel il aura une meilleure gouvernabilité avec le Congrès que Lula. Et une chose est sûre : la législature qui entrera en fonction en 2023 sera beaucoup plus conservatrice et favorable à Bolsonaro qu’à Lula ».

Autrement dit, malgré la victoire au premier tour de Lula et son alliance large avec des secteurs de la droite néolibérale traditionnelle, l’élection a été plus marquée à droite que ce à quoi on s’attendait déjà. Ainsi, même en cas de victoire de Lula au second tour, il est très probable que son mandat soit traversé par des luttes politiques au parlement, des marchandages politiciens, des crises politiques, voire une paralysie très encombrante pour les capitalistes nationaux et les capitaux impérialistes, qui aujourd’hui se placent majoritairement du côté de la formule Lula-Alckmin.

Il faut également remarquer qu’au-delà de la figure de Bolsonaro lui-même le « bolsonarisme », comme une expression politique d’extrême-droite, restera une force politique et sociale de façon durable sur le paysage politique brésilien. Et cette confirmation du renforcement du bolsonarisme en tant que force politique se produit au moment où l’effondrement de droite néolibérale traditionnelle se poursuit, en se diluant en partie dans le bolsonarisme ou en s’alignant derrière Lula.

Mais le bolsonarisme n’est pas un simple substitut de l’ancienne droite néolibérale. Il est une expression d’extrême-droite née de la crise du régime post-dictature. Un régime qui semble aujourd’hui en cours de remplacement par un nouveau, plus à droite dont le bolsonarisme serait l’un des piliers. Ces quatre dernières années de gouvernement Bolsonaro ont d’ailleurs permis de mieux structurer cette droite radicale, dont on pourrait situer les origines dans les mobilisations de rue nées comme une réponse à la contestation par la gauche du gouvernement de Dilma Rousseff en 2013 et 2014 par la jeunesse et la classe ouvrière. En ce sens, Folha de São Paulo, l’un des grands journaux de la bourgeoisie brésilienne, écrit : « il existe désormais une droite organisée, avec des mouvements bien structurés et une pénétration sociale. Elle est enracinée dans les églises et les associations civiles. Et tout cela n’est pas démocratique. Certains constituent une opposition féroce et armée, prête à se battre à couteaux tirés ».

Il existe un autre acteur qui s’est renforcé ces dernières années et qui semble appelé à jouer un rôle politique important, là aussi poussant vers la droite l’échiquier politique : les forces armées. Au cours de son mandat Bolsonaro a rempli les ministères de militaires, de réserve ou d’active. On estime qu’ils sont 8 000 dans des postes civils de l’appareil d’Etat. Même si le haut commandement semble prendre ses distances vis-à-vis de Bolsonaro face à un probable gouvernement Lula, l’influence du bolsonarisme parmi la base des forces armées et de la police (ainsi que sur les groupes paramilitaires) reste très importante. Mais surtout, face aux menaces de ne pas reconnaître les résultats en cas de défaite de la part de Bolsonaro, l’armée a obtenu un rôle officiel de superviseur des élections.

Comme pour le congrès, même en cas de victoire de Lula-Alckmin, la relation du nouveau gouvernement avec l’armée va être déterminante pour la stabilité du régime ; sans aucun doute ce nouveau rôle sera une pression supplémentaire à la droitisation du régime dans son ensemble.

Tous ces éléments auront des effets immédiats. En effet, pour faire face à Bolsonaro, Lula et le Parti des Travailleurs (PT) se sont alliés à une série de partis politiques y compris des formations de la droite néolibérale traditionnelle, dont Geraldo Alckmin, le candidat à la vice-présidence de Lula, est l’un des exemples les plus parlants et aberrants. La logique de ces alliances est opportuniste et en même temps purement parlementaire. S’allier à la droite serait soi-disant une garantie pour se débarrasser de Bolsonaro et du bolsonarisme. De ce point de vue, l’une des leçons de ces élections est précisément que les travailleurs et les classes populaires ne pourront jamais vaincre l’extrême-droite de la main de la droite néolibérale, même électoralement. Car le pari était de gagner l’élection dès le premier tour, ce qui a été raté. Mais comme on l’a vu, même une possible victoire au second tour à la présidentielle n’est pas suffisante pour se débarrasser de Bolsonaro et encore moins du bolsonarisme. Au contraire, les résultats généraux du premier tour vont pousser Lula et le PT à faire une campagne encore plus à droite afin de gagner les voix des électeurs du centre.

Cette situation est très dangereuse pour la classe ouvrière, pour la jeunesse, pour les femmes et les couches opprimées de la société comme les personnes LGBT et les Noirs. Lula et le PT ont créé et alimenté un récit illusoire selon lequel il serait « simple » de se débarrasser du bolsonarisme à travers les élections. Cela en plus du fait que la politique menée par les mouvements sociaux et les centrales syndicales liées au PT et ses alliés ont contribué en grande partie désarmer le mouvement ouvrier. Leur politique de « pacification » de la classe ouvrière et des secteurs populaires a enfermé ces secteurs dans une stratégie purement parlementaire alors qu’en face les soutiens du bolsonarisme menacent même de garder le pouvoir par la force.

La violence politique a marqué la campagne, et elle risque d’augmenter dans le prochain mois qui nous sépare du second tour. Face à cette situation, le mouvement ouvrier, la jeunesse et les secteurs opprimés de la société ne peuvent pas rester passifs. C’est pour cela que dès maintenant le mouvement ouvrier et ses alliés doivent préparer la résistance face au bolsonarisme dans les rues, dans les usines et entreprises, dans les lieux d’étude et dans les quartiers ouvriers. La stratégie parlementaire est impuissante pour faire face aux attaques du bolsonarisme mais aussi à celles du patronat et des capitaux impérialistes. La lutte pour la construction d’une organisation révolutionnaire des travailleurs et travailleuses est centrale pour dépasser la politique de collaboration avec la bourgeoisie et l’impérialisme du PT.


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