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Palestine vivra

Comment Joseph Staline a soutenu la création de l’État d’Israël

Staline a commis de multiples crimes contre la classe ouvrière dans le monde entier. Un de ses crimes fut le soutien apporté à la fondation de l’Etat d’Israël, à l’époque où les trotskystes dénonçaient le sionisme et ses conséquences pour les populations arabes comme pour les travailleurs juifs.

Nathaniel Flakin 

24 mai 2021

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Manifestation pro-Staline du Parti Communiste d’Israël à Tel-Aviv, 1948

En réponse aux attaques meurtrières d’Israël contre Gaza, des manifestations massives ont eu lieu dans le monde entier et une grève générale a été lancée en Palestine. Le mouvement de solidarité comprend notamment des communistes, qui considèrent Joseph Staline comme un modèle. Les staliniens contemporains se considèrent probablement comme des anti-impérialistes et des opposants au sionisme. Ils pourront à ce titre citer une note de bas de page dans le pamphlet de Staline de 1913 sur la question nationale, écrit sous l’influence de Nikolaï Boukharine et de V.I. Lénine, dans lequel le futur dictateur décrit le sionisme comme « une tendance nationaliste réactionnaire de la bourgeoisie juive, qui a des partisans parmi les intellectuels et les sections les plus arriérées des travailleurs juifs. Les sionistes s’efforcent d’isoler les masses ouvrières juives de la lutte générale du prolétariat. »

Mais comment l’Union soviétique sous Staline a-t-elle réagi à la fondation de l’État d’Israël en 1948 ? Et quel effet cela a-t-il eu sur les partis communistes fidèles à Moscou ?

L’Union soviétique a accordé une reconnaissance diplomatique à Israël le 17 mai 1948, trois jours seulement après sa déclaration d’indépendance. Elle a été le premier État au monde à le faire, bien avant les États-Unis.

Dans un article récent paru dans Jewish Currents, Dorothy M. Zellner raconte en détail l’effet que cela a eu sur le parti communiste stalinisé des États-Unis. Le CPUSA et les publications associées destinées au peuple juif avaient toujours rejeté le sionisme et l’idée d’un État juif. Lorsque le « syndicat » sioniste en Palestine, la Histadrut, a voulu boycotter les travailleurs palestiniens, les communistes américains l’ont qualifié - à juste titre - d’institution « Jim Crow » [NdT : en référence aux lois ségrégationnistes aux Etats-Unis]. Le CPUSA, malgré sa politique stalinienne, avait une forte tradition de lutte contre le racisme - et il dénonçait le racisme du projet de colonisation sioniste.

En 1947, cependant, l’Union soviétique a surpris le monde en annonçant qu’elle soutiendrait le plan de l’ONU visant à partager la Palestine et à créer un État juif.

Le changement de position de Staline en faveur du sionisme était vital. On pourrait même dire qu’Israël n’existerait peut-être pas sous sa forme actuelle si l’Union soviétique n’avait pas offert son soutien. Les historiens soupçonnent Staline d’avoir espéré affaiblir la position de l’impérialisme britannique dans la région, peut-être voyait-il les colons juifs comme une sorte de mouvement de libération nationale. Mais en réalité, la prédiction de tous les marxistes sérieux s’est réalisée : le nouvel État juif est devenu un gendarme pour l’impérialisme.

Le soutien soviétique à Israël ne se limitait pas non plus à des moyens diplomatiques. Via la Tchécoslovaquie, le bloc soviétique a envoyé des armes à la milice sioniste Haganah, qui les a utilisées pour commencer le nettoyage ethnique de la Palestine. En d’autres termes, Staline a apporté un soutien matériel à la Nakba. Le parti communiste d’obédience soviétique, le MAKI, est devenu un important vecteur de soutien à l’établissement de l’État sioniste.

En conséquence de cette politique criminelle, les idées de socialisme et de communisme, qui avaient autrefois un grand attrait pour les masses arabes, ont été discréditées dans toute la région. Aux États-Unis, les communistes officiels étaient déjà habitués à accepter des zigzags soudains dans leur ligne politique. En quelques mois, le CPUSA offrait un soutien inconditionnel au nettoyage ethnique des sionistes et diffusait de faux rapports sur de prétendues atrocités arabes afin de le justifier.

Trotskysme

Les véritables communistes - ceux qui s’opposent au stalinisme - ont toujours rejeté le sionisme. Alors que la bureaucratie de Staline était occupée à conclure des accords avec les puissances impérialistes - d’abord avec les nazis, puis avec les impérialistes « démocratiques » - c’est l’Opposition de gauche dirigée par Léon Trotsky qui a lutté pour l’indépendance politique de la classe ouvrière. Cela signifiait s’opposer à toute forme d’impérialisme et de colonialisme, y compris le sionisme.

Léon Trotsky a déclaré peu avant d’être assassiné par un agent stalinien : « La tentative de résoudre la question juive par la migration des Juifs vers la Palestine peut maintenant être vue pour ce qu’elle est, une dérision tragique du peuple juif. » Il a ajouté avec clairvoyance : « Le développement futur des événements militaires pourrait bien transformer la Palestine en un piège sanglant pour plusieurs centaines de milliers de Juifs. Jamais il n’a été aussi clair qu’aujourd’hui que le salut du peuple juif est lié inséparablement au renversement du système capitaliste. »

L’ancien sioniste devenu trotskyste Abraham Leon a écrit une étude monumentale sur La question juive, dans laquelle il a démontré de la même manière que l’oppression des Juifs ne pouvait être surmontée par la création d’un nouvel État-nation sous la tutelle des puissances impérialistes. Il a présenté un programme permettant aux révolutionnaires juifs de lutter au sein de la classe ouvrière internationale pour renverser le capitalisme.

Aujourd’hui, il est de plus en plus courant de reconnaître qu’Israël est un projet colonial raciste présentant de nombreuses similitudes avec le régime d’apartheid. Il est intéressant de noter que les trotskystes d’Afrique du Sud ont compris bien avant la fondation d’Israël que la colonisation sioniste créerait un système très similaire. En 1938, The Spark, un journal trotskyste d’Afrique du Sud, écrivait :

« La poursuite de l’ancienne politique sioniste-impérialiste creusera davantage le fossé de la haine et du chauvinisme, élargira le fossé entre les Arabes et les Juifs et favorisera les conflits perpétuels et la guerre civile, mettant en danger l’existence même de la communauté juive. Et en disant cela, ce ne sont pas les sionistes que nous avons à l’esprit. Nous voulons parler de la grande masse des ouvriers et des petits paysans juifs. Ils peuvent résoudre le problème juif de la Palestine très facilement. Ce qu’il faut, c’est la solidarité et la coopération des ouvriers et des paysans juifs et arabes, et une lutte unie pour une Palestine libre et indépendante des ouvriers et des paysans, libérée des chaînes de l’impérialisme-capitalisme. »

Lorsque les plans de partition et de création d’un État exclusivement juif sont devenus plus concrets en 1947, les communistes officiels et les sionistes dits « de gauche » ou « socialistes » ont apporté leur soutien à cette entreprise coloniale. Seule l’organisation trotskyste en Palestine, la Ligue communiste révolutionnaire, s’y est clairement opposée. S’adressant aux travailleurs juifs, elle déclarait qu’un État juif en Palestine serait inévitablement un outil de l’impérialisme. Les trotskystes appelaient alors les travailleurs juifs à lutter contre l’impérialisme aux côtés de leurs frères et sœurs de la classe arabe dans toute la région.

La Ligue communiste révolutionnaire comptait de nombreux révolutionnaires courageux, tels que Yigael Glückstein, qui, sous le nom de Tony Cliff, allait devenir un dirigeant du Socialist Workers Party en Grande-Bretagne, ainsi que Jakob Moneta et Rudolf Segall, qui sont retournés dans leur Allemagne natale où ils ont dirigé le mouvement trotskyste pendant des décennies. Parmi eux figuraient également Jakob Taut et Jabra Nicola, qui sont restés en Palestine et ont été actifs dans la Nouvelle Gauche en Israël après 1968.

Nous publions ci-dessous une déclaration de la Ligue communiste révolutionnaire, la section palestinienne de la Quatrième Internationale, datant de 1947. Merci à l’ancienne Ligue des travailleurs socialistes de Palestine et à Einde O’Callaghan pour la traduction et la publication de cette déclaration.

Cette histoire offre des leçons importantes pour aujourd’hui. La politique stalinienne consistant à rechercher des alliances avec des puissances impérialistes « progressistes » ne peut que conduire à des défaites. Pour libérer la Palestine, la classe ouvrière doit se constituer en force politique indépendante luttant pour la révolution socialiste.

Contre la Partition ! – Déclaration de la Ligue communiste révolutionnaire (1947)

Les membres du comité de l’ONU ont fait preuve de "compréhension" et "ont fait un travail formidable en très peu de temps". C’est par ces mots que le représentant de l’Agence juive, Golda Meier, approuve la proposition de partition. La plupart des partis sionistes sont d’accord avec eux, avec certaines réserves concernant la "forme" de la solution.

Le ministre américain des Affaires étrangères Marshall partage également cet avis. Il est cependant bien connu que le sort des peuples persécutés n’est généralement pas la préoccupation principale du ministre américain des Affaires étrangères. Sa réaction pourrait donc susciter l’appréhension de ceux qui croyaient aux bonnes intentions du comité de l’ONU.

Que donne la proposition de l’ONU aux Juifs ? À première vue, tout : un quota d’immigration de 150 000 personnes et plus ; l’indépendance politique ; environ deux tiers de la Palestine ; trois grands ports et presque tout le littoral. C’est plus que ce que les optimistes parmi les membres de l’Agence juive osaient demander.

Cette « compréhension » et cette « amabilité » ne sont-elles pas un peu suspectes ? Pourquoi les représentants du Canada, de la Hollande et de la Suède, qui ont des liens étroits avec les puissances anglo-saxonnes, ont-ils voté pour cette proposition ? Et pourquoi les représentants du Guatemala, du Pérou et de l’Uruguay, dont la politique est dictée depuis Washington ont-ils voté pour ? Tous les journaux sionistes, ainsi que les semi-sionistes (les organes du Parti communiste de Palestine) ont refusé de poser cette question. Et bien sûr, ils n’y ont pas répondu.

Mais c’est précisément la question déterminante. Plus important que le contenu de la proposition, ce sont les motivations de ceux qui l’ont soumise. Ne nous y trompons pas ! Derrière les pays « neutres », selon l’expression de Marshall, se trouvent les puissances les plus intéressées par cette question. Les calculs à l’origine de la proposition de partition sont précisément les mêmes que ceux qui ont conduit à la partition de l’Inde.

Quels sont ces calculs ? À notre époque, celle des révolutions sociales et des révoltes des peuples asservis, l’impérialisme gouverne au moyen de deux méthodes principales : une répression impitoyable et brutale (comme en Indonésie, en Indochine et en Grèce), ou en brisant la guerre de classe par des conflits nationaux. La seconde méthode est moins coûteuse et plus sûre, et permet à l’impérialisme de se cacher derrière les rideaux.

L’impérialisme a jusqu’à présent utilisé avec succès les méthodes de divide et impera dans ce pays, en utilisant l’immigration sioniste comme facteur de division. De cette façon, une tension nationale a été créée, qui, dans une large mesure, a dirigé la colère causée par l’impérialisme parmi les masses arabes en Palestine et au Moyen-Orient contre les Juifs. Mais dernièrement, cette méthode a cessé de produire les résultats escomptés. En dépit de la tension nationale, une classe ouvrière arabe forte et combative s’est développée dans le pays. Un nouveau chapitre de l’histoire de la Palestine s’est ouvert lorsque les travailleurs arabes et juifs ont coopéré dans des grèves à grande échelle, afin de forcer les exploiteurs impérialistes à faire des concessions. Et l’échec de la dernière tentative, visant à forcer les habitants de la Palestine à entrer dans un nouveau tourbillon de sang mutuel au moyen de provocations, a donné une nouvelle leçon aux impérialistes. Ils en ont tiré les conclusions suivantes : si vous refusez de vous battre entre vous, nous vous mettrons dans une position économique et politique qui vous forcera à le faire ! Voilà le véritable contenu de la proposition de partition.

Peut-être la proposition de partage matérialisera-t-elle le rêve d’indépendance politique du peuple juif ? L’« indépendance » de l’État juif se résumera à choisir, de manière « libre » et « indépendante », entre deux options : mourir de faim ou se vendre à l’impérialisme. Le commerce extérieur - importations et exportations - reste comme auparavant sous le contrôle de l’impérialisme. Les secteurs clés de l’économie - pétrole, électricité et minéraux - restent aux mains des monopoles étrangers. Et les profits continueront à couler dans les poches des capitalistes étrangers.

Un petit État juif au cœur du Moyen-Orient peut être un excellent instrument entre les mains des États impérialistes. Isolé des masses arabes, cet État sera sans défense et complètement à la merci des impérialistes. Ils s’en serviront pour renforcer leurs positions, tout en faisant la leçon aux États arabes sur le « danger juif », c’est-à-dire la menace représentée par les inévitables tendances expansionnistes du petit État juif. Et un jour, lorsque la tension sera à son comble, les « amis » impérialistes abandonneront l’État juif à son sort.

Les Arabes recevront également une « indépendance politique ». La partition entraînera la création d’un État arabe féodal et arriéré, une sorte de Transjordanie à l’ouest du Jourdain. De cette façon, ils espèrent isoler et paralyser le prolétariat arabe dans la région de Haïfa, un centre stratégique important avec des raffineries de pétrole, ainsi que diviser et paralyser la guerre de classe de tous les travailleurs de Palestine.

Qu’en est-il du « salut des réfugiés des camps de concentration » ? L’impérialisme a créé le problème des réfugiés des camps de concentration lorsqu’il leur a fermé les portes de tous les pays. Le sort des réfugiés est de sa responsabilité. L’impérialisme n’est pas philanthropique. S’il envoie comme « cadeau » les réfugiés en Palestine, il le fera pour une seule raison : les utiliser à ses propres fins.

La proposition de partage, apparemment si « favorable » aux Juifs, contient plusieurs aspects qui sont hautement souhaitables du point de vue de l’impérialisme : 1) Les concessions au sionisme seront utilisées comme appât afin d’obtenir l’approbation de la majorité juive ; 2) Elle comprend plusieurs provocations, telles que l’incorporation de Jaffa à l’État juif et le refus de tout port à l’État arabe, qui rendent les Arabes furieux ; 3) Ces provocations permettent à la Grande-Bretagne d’apparaître comme un « ami des Arabes », qui « lutteront » pour une deuxième partition plus juste. Cela les aidera à leur tour à avaler la pilule amère. En d’autres termes, nous avons ici une division du travail préétablie.

Pour résumer : la proposition du comité de l’ONU n’est une solution ni pour les Juifs ni pour les Arabes ; c’est une solution purement et exclusivement pour les pays impérialistes. Les décideurs sionistes ont avidement saisi l’os que l’impérialisme leur a jeté. Et les critiques sionistes « de gauche », au nom de la suppression du masque du jeu des impérialistes, attaquent sans enthousiasme la proposition de partage, et demandent ... un État juif dans toute la Palestine ! Un État binational selon la proposition de Shomer HaTsa’ir (Jeune Garde) n’est qu’une feuille de vigne pour le droit des Juifs à imposer aux Arabes - sans leur consentement et contre leur volonté - l’immigration juive et les politiques sionistes.

Qu’en est-il du Parti communiste de Palestine ? Il attend apparemment une solution « juste » de l’ONU. En tout cas, il continue à semer des illusions sur l’ONU et, en ce sens, il aide à cacher et à mettre en œuvre les programmes impérialistes.

Contre tout cela, nous disons : Ne tombons pas dans le piège ! La solution du problème juif, comme la solution des problèmes du pays, ne viendra pas « d’en haut », de l’ONU ou de toute autre institution impérialiste. Aucune « lutte », aucune « terreur », aucune « pression » morale ne fera renoncer l’impérialisme à ses intérêts vitaux dans la région (les actions pétrolières ont donné 60% de dividendes cette année !).

Pour résoudre le problème juif, pour nous libérer du fardeau de l’impérialisme, il n’y a qu’un seul moyen : la guerre de classe commune avec nos frères arabes ; une guerre qui est un lien inséparable de la guerre anti-impérialiste des masses opprimées dans tout l’Orient arabe et dans le monde entier.

La force de l’impérialisme réside dans la partition - notre force dans l’unité de classe internationale.


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