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A la patrie, la jeunesse reconnaissante ?

Conscription citoyenne : le retour du service militaire à la sauce Mélenchon ?

Sur M6, Jean-Luc Mélenchon a récemment revendiqué une mesure de son programme : une « conscription citoyenne » de 9 mois pour les jeunes de 18 à 25 ans. Le candidat veut enrôler la jeunesse dans des activités « utiles à la nation »... à commencer par l’armée et la police, au cœur du dispositif.

Ariane Anemoyannis

31 mars 2022

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Crédits photo : Jean-Luc Mélenchon en Guyane en octobre 2021 - Twitter

A deux semaines du 1e tour, Jean-Luc Mélenchon était l’invité de l’émission M6 Face aux candidats vendredi 25 mars dernier. L’occasion pour lui de revenir sur plusieurs mesures de son programme et notamment celle de la « conscription citoyenne ». Obligatoire pour tous les Français de moins de 25 ans et d’une durée de neuf mois, ce service devrait s’effectuer dans une formation « utile à la nation » à même de « créer du lien social » a expliqué le candidat de La France Insoumise.

« D’abord, il y a des besoins militaires », a-t-il souligné. « Nos armées ont besoin de hauts niveaux de qualification des jeunes qui sortent des facs, notamment pour tout ce qui est numérique ». Jean-Luc Mélenchon a précisé que ce service ne se résumait pas à la formation militaire et a mentionné la santé ou encore l’urgence climatique comme domaine de prédilection de ces « tâches utiles à la nation ».

Le candidat avait déjà eu l’occasion de présenter cette mesure présidentielle, présente dans son programme en 2017 et revendiquée à plusieurs reprises depuis. Si la diversité des missions à accomplir est systématiquement mise en avant – l’épisode de l’incendie dans la vallée de la Roya étant souvent pris en exemple – les formations au sein de la police et de l’armée sont cependant au cœur du dispositif.

La formation militaire, pilier fondamental de la conscription citoyenne

Accusé de vouloir rétablir le service militaire après un entretien sur sa politique de défense et de sécurité pour le quotidien L’Opinion en novembre 2020, Jean-Luc Mélenchon s’était à l’époque efforcé de préciser la nature de sa proposition. « Il s’agit de proposer aux jeunes un service au service de tâches d’utilité publique. Il ne s’agit donc pas nécessairement de tâches militaires » avait-il-indiqué, mettant l’accent sur le caractère non-exclusif de la formation militaire dans le cadre de la conscription citoyenne.

Le candidat poursuivait sur son site : « il peut l’être pour ceux qui auront choisi cette manière de l’effectuer ou si les besoins de l’armée le rendent nécessaire ». Autrement dit, si en principe les jeunes de 18 à 25 ans peuvent tout à fait choisir de réaliser leur service dans l’armée ou dans un autre domaine, cette liberté d’engagement est toutefois conditionnée aux besoins de la Défense.

Cette précision met en exergue un aspect fondamental de la conscription : être « d’utilité publique ». En effet, dès lors que le « service citoyen » doit répondre aux nécessités de l’Etat, le choix de la mission est très relatif puisqu’il semble dépendre des « nécessités » dans chaque domaine. Pour illustrer cela, le candidat de La France Insoumise met en avant « le défi de notre siècle », « le changement climatique ».

L’exemple de la crise écologique est certes moins controversé que celui de l’armée, mais la logique énoncée par Jean-Luc Mélenchon semble poser une constante : les jeunes doivent être mis au service de ce que l’Etat juge essentiel d’un point de vue stratégique. Or, les tensions inter-impérialistes de ces dernières années et récemment l’invasion de l’Ukraine par la Russie donnent lieu à une nouvelle course à l’armement en Europe et remettent la Défense et la guerre au cœur des préoccupations stratégiques et politiques des puissances occidentales.

A ce titre, dans son allocution à l’Assemblée nationale du 1e mars 2022, le leader de La France insoumise analysait la dangerosité « d’un conflit qui peut dégénérer à tout instant en guerre nucléaire, détruisant plus vite encore [que les catastrophes climatiques] toute l’humanité », poursuivant que « la menace que contient cette invasion est une guerre mondiale totale ». Dans ce cadre, la possibilité que « les besoins de l’armée rendent nécessaire » une conscription citoyenne au service de tâches militaires semble forte.

Une mesure intégrée au livret défense de l’Avenir en commun

Dans le programme L’Avenir en commun, la conscription citoyenne est d’ailleurs intégrée au livret thématique sur la défense et développe uniquement la formation militaire. Partant du constat que la défense « ne peut reposer que sur une armée professionnelle, aussi loyale et compétente soit-elle » et de « l’érosion du lien armée-nation provoquée par la suspension de la conscription en 1997 », l’AEC propose la conscription citoyenne dans la continuité du service national, « un acquis de la Révolution française ».

Il est indiqué que celle-ci comprendra « une formation militaire initiale (…) au maniement des armes et aux manœuvres, et des formations ponctuelles dans d’autres secteurs (aux côtés des effectifs professionnels de la police, gendarmerie, sécurité civile (pompiers, agents des eaux et forêts), premiers secours) ». L’objectif est de constituer par là une « Garde nationale » qui puisse notamment intervenir dans les crises « sécuritaire, écologique, industrielle ».

Ainsi, la formation militaire est largement dominante dans la conscription citoyenne, où les missions civiles sont totalement subordonnées aux objectifs de défense. D’ailleurs, si l’urgence climatique est effectivement mentionnée parmi les tâches éventuelles des jeunes conscrits, il n’y a pas de différence de nature avec ce qu’effectue déjà l’armée en matière de catastrophe environnementale.

Sans parler directement de "service militaire", Jean Luc Mélenchon, qui s’était opposé à sa suspension en 1996, pose donc les fondements d’un retour progressif à la conscription. Une perspective qui l’amène d’ailleurs à critiquer le Service National Universel d’Emmanuel Macron, qu’il juge folklorique : « ça, ce n’est pas la conscription, c’est la colonie de vacances ! » avait-il ainsi pointé en 2017 à propos de la mesure du candidat de LREM.

La conscription dans la police pour redorer une institution délégitimée

Un autre domaine de la conscription citoyenne plébiscité par Jean-Luc Mélenchon est la police. Sur M6, le candidat explique le « besoin d’un approfondissement de tout ce qui permet de créer du lien social », logique qu’il avait déjà développée à plusieurs reprises. La clé du problème est selon lui « de mettre du sang neuf dans les rangs de la police et d’éviter les effets de vase clos, d’omerta face au racisme et à la violence ».

Le leader de La France insoumise pointe vraisemblablement l’état de délégitimation de la police par les nouvelles générations, du fait des violences policières et du racisme. En indiquant qu’il résultera de la conscription jeune dans la police une « amélioration de son image », Jean-Luc Mélenchon rejette l’analyse systémique de l’institution policière et individualise la question des violences policières en en faisant un problème générationnel qu’il faudrait résoudre par le service obligatoire des 18-25 ans.

Ce serait donc à eux de contribuer à « redorer » une institution qui violente et tue les jeunes des quartiers populaires, réprime les manifestations antiracistes ou contre les lois sécuritaires, mutile les Gilets Jaunes. Une réalité que le candidat tente d’enjoliver en résumant la conscription dans la police à des « tâches de lien avec la population » tandis que les policiers professionnels se concentreraient sur le « travail de police judiciaire d’enquête et de démantèlement des réseaux criminels d’autre part ». Une formule bien floue qui masque le rôle répressif intrinsèque à l’institution policière, peu importe les missions ou les termes employés.

Armée, police, patrie : la jeunesse vaut mieux que ça

Pour conclure son entretien avec le Youtubeur Hugo Décrypte, le candidat a annoncé « Moi président les jeunes seront amenés à se rendre utiles ». Cette déclaration met en lumière la logique politique derrière la conscription citoyenne, à savoir que les jeunes sont redevables de l’Etat et qu’ils doivent être mis au service de ce dernier. Lorsqu’il traçait le fil de continuité entre la conscription militaire et la conscription citoyenne, Jean-Luc Mélenchon rappelait ainsi une essence commune : « l’impôt du temps au service de la patrie ».

On est cependant en droit d’être sceptique sur l’alignement supposé par Jean-Luc Mélenchon entre le fait d’« être utile » et celui d’« être au service de la patrie ». Contrairement à ce qu’avance le candidat, rappelant son attachement au régime, les intérêts de l’Etat français sont en effet loin d’être ceux de sa population. Un constat d’ailleurs particulièrement évident en ce qui concerne ses forces armées, qu’il s’agisse des militaires, garants des intérêts des capitalistes français à l’étranger, ou de la police, au service de la prévention et de la répression de la révolte et des conséquences de la misère générée par ce système.

La jeunesse s’engage déjà contre la crise climatique, les violences policières, les violences patriarcales, la sélection à l’université ou la précarité, et elle mérite autre chose que les discours patriotiques et les promesses d’encasernement, mal déguisées derrière les références floues à « l’utilité publique ». Plutôt que de se mettre au service de l’Etat français, c’est par une lutte résolue contre le système capitaliste, aux côtés de la classe ouvrière, que la jeunesse pourra réaliser ses aspirations à s’émanciper et à transformer la société.

En ce sens, comme avec le SNU, il est urgent de s’opposer à toute initiative de mise au pas de la jeunesse. A l’inverse, nous défendons la nécessité que la jeunesse prenne ses affaires en main, en toute indépendance de l’Etat, et prépare les luttes de demain. En cohérence avec cette perspective, nous soutiendrons le 10 avril les deux candidatures d’extrême-gauche, qui ont l’intérêt d’insister sur l’idée d’une transformation sociale par la lutte, en indépendance du régime.


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