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« Contacts privés » les « plus dangereux » : Pourquoi il n’est pas possible de l’affirmer

Pour Macron, le coupable de la reprise exponentielle de l’épidémie est tout trouvé : « les contacts privés (…) sont les contacts les plus dangereux », a-t-il affirmé. Pourtant, s’il est clair qu’ils jouent un rôle important, rien dans les données sanitaires ne permet une telle affirmation. Une manière pour le gouvernement d’éluder les autres foyers de contamination comme le travail, les universités et les transports pour faire reposer entièrement la reprise de l’épidémie sur la responsabilité individuelle.

Homa de la Bahía

17 octobre 2020

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Crédits photos : GETTY IMAGES

Que disent les chiffres ?

Avec 27 000 cas de Covid-19 le 10 octobre dernier, la circulation du virus s’accélère dans le pays et le risque de saturation des hôpitaux est de plus en plus imminent. Le nombre de nouvelles admissions de patients Covid-19 en réanimation a augmenté de 14% lors de la première semaine d’octobre. Aujourd’hui, de nombreux experts scientifiques confirment que les prochaines semaines seront très critiques car les hôpitaux, en particulier en Ile-de-France, ne sont pas préparés pour accueillir la vague de patients. Si les grands médias font reposer la faute sur la responsabilité individuelle, notamment sur les réunions privées, il est pourtant impossible de le prouver avec les données des agences de santé car plus de 90% des cas positifs sont hors-cluster, ce qui ne permet pas d’identifier la chaine de contamination.

Le dernier rapport hebdomadaire épidémiologique national confirme que la circulation du virus est élevée, les cas positifs ont évolué de 7% entre la dernière semaine de septembre et la première d’octobre. Le taux d’incidence national est de 116/100 000, celui-ci a augmenté, d’une semaine à l’autre, plus fortement chez les personnes âgées : de 15% chez les personnes entre 64 et 74 ans, de 14% chez les personnes entre 45 et 64 ans ainsi que chez les 74 ans et plus. Cette augmentation des contaminations chez les personnes âgées est notamment à l’origine de l’augmentation des hospitalisations. Pour expliquer ces chiffres, la dernière note d’Alerte du Conseil scientifique affirme que « Tout en regrettant l’insuffisance des études permettant de connaitre les modes de contamination des personnes à risque ayant été hospitalisées, le Conseil scientifique estime, sur la base des études disponibles, que leur survenue est liée à des réunions familiales ou entre amis ». Une « estimation » qui ne se base sur aucun chiffre précis qui puisse permettre de la confirmer, et qui est même dans une certaine mesure contradictoire avec les données disponibles.

Parmi les 3 207 clusters identifiés depuis le 9 mai, dont 33% sont encore en cours d’investigation, un quart (soit la part la plus importante) surviendraient dans les entreprises hors établissements de santé (un chiffre qui n’existe quasiment pas dans les médias), puis 21% en milieu scolaire et universitaire, 10% dans les évènements publics ou privés et 6% dans le milieu familial élargi. Selon les chiffres fournis par Santé publique France concernant la localisation des clusters, bien qu’ils admettent que le nombre de ces derniers soient « sous-estimés », il y aurait près de deux fois plus de clusters survenus dans les EHPAD (574 parmi 3 207 identifiés depuis le 9 mai) que dans les « évènements public ou privés » (331). De plus, uniquement 6% du total des clusters sont recensés dans le « Milieu familial élargi ». Des chiffres qui ne permettent pas du tout de montrer, comme l’affirmait encore mercredi soir Macron dans son interview, que « les moments les plus dangereux seraient les moments passés en famille ».

En ce qui concerne le milieu scolaire et universitaire, on y trouve 35% des clusters en cours d’investigation. Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, affirmait même le 28 septembre sur LCP, que les clusters « ne sont pas des clusters par promotion mais des clusters par groupe d’amis. Rien ne nous dit que les contaminations se fassent au sein des établissements de l’enseignement supérieur ». Mais rien ne nous dit non plus que l’inverse soit vrai. Les données fournies par les autorités sanitaires englobent tous les élèves, depuis la maternelle jusqu’à l’enseignement supérieur, en passant par les collèges et lycées, ce qui rend impossible de savoir avec précision l’état réel du virus dans les universités et encore moins l’état par promotion, et donc d’établir avec certitude le mode de contamination dans les établissements universitaires.

Quand la production des données sanitaires sert à justifier la gestion sanitaire du gouvernement

Comme l’affirme justement le rapport de Santé publique France, « les données des clusters […] contribue[nt] à guider les mesures de gestion ». Pourtant, la production et la diffusion des données concernant la circulation et la localisation du virus (notamment celles identifiant les clusters) ne permettent pas aujourd’hui d’avoir une vision scientifique de la manière et des endroits où les contaminations se font, ce qui serait pourtant essentiel pour avoir une véritable stratégie de gestion de l’épidémie. Cette absence de données fiables laisse toute latitude aux grands médias et au gouvernement pour produire un discours qui cherche à poser d’abord et avant tout la question des responsabilités individuelles. Pour donner un exemple, en plus de la catégorie fourre-tout du « milieu scolaire et universitaire » empêchant toute investigation précise sur la circulation réelle du virus dans les locaux universitaires, la catégorie de cluster « Évènement public ou privé : rassemblements temporaires de personnes » inclut des évènements très différents, depuis les congrès ou séminaires, les cérémonies religieuses, les rassemblements ou les réunions privées de tout type. Ce formatage arbitraire des données permet de justifier la gestion sanitaire du gouvernement qui consiste à mettre en place « un contrôle renforcé de l’épidémie pour ‘mieux vivre avec le virus’ », pour citer textuellement l’avis du Conseil Scientifique, et dont l’exemple le plus abouti a été la déclaration du couvre-feu dans 8 métropoles.

La gestion du gouvernement, qui a donné des centaines de milliards d’euros pour sauver les grandes entreprises et n’a fait aucun plan d’investissement dans l’hôpital pour se préparer à la deuxième vague depuis longtemps annoncée, n’est autre que l’expression de la gestion sanitaire au profit des capitalistes. Elle permet de faire fonctionner « normalement » les entreprises « avec le virus », même si cela se fait au détriment de la santé et de la vie de millions de travailleurs, tout en utilisant le prétexte du virus pour réduire des libertés démocratiques. En ce qui concerne les universités, la logique des directions, même de celles qui se prétendent les plus progressistes, reste la même. Nombreuses ont été les déclarations de directions universitaires qui confirment que toute contamination des étudiants se ferait en soirée, comme si être contaminé du Covid-19 serait toujours synonyme d’avoir fait la fête. Un bouc émissaire bien pratique qui permet de tout sauf remettre en question la gestion de la crise sanitaire au sein de l’université et de faire peser sur les étudiants les conséquences de leur stratégie catastrophique qui mènent parfois à la fermeture d’université comme à l’Institut de Journalisme de Bordeaux Aquitaine, où suite à l’identification d’un cluster de 36 étudiants en Master, qui entraîné la fermeture de l’établissement, le directeur Arnaud Schwartz a déclaré pour France Bleu Gironde, que « ce n’est pas un cluster lié à l’IJBA car ce n’est pas l’établissement qui est en cause mais le comportement des élèves qui se sont regroupés dans différents lieux festifs » et est même allé jusqu’à dire qu’il envisage « d’éventuelles sanctions » en cas de récidive.

Une véritable stratégie de dépistage pour endiguer l’épidémie

Mais si les « contacts privés » participent évidemment à la circulation du virus, décréter comme le fait Macron qu’ils sont les « plus dangereux » vise à éluder les contacts au travail, à l’université, dans les transports. Plus encore, cette lecture purement « statistique » se refuse à tracer la source de la contamination. Des personnes contaminées sur leur lieu de travail peuvent ainsi apporter le virus à leur domicile et contaminer leurs proches.

Ainsi, en l’absence de traçage fiable et systématique des cas contacts, et d’une transparence des données collectées, il n’est actuellement pas possible de conclure que cela soit le principal mode de contamination.

Et de ce point de vue, l’Allemagne a une longueur d’avance puisqu’elle permet de déterminer de manière beaucoup plus précise les cas comme le mentionne un rapport du Conseil Scientifique : « En Allemagne, une étude portant sur plus de 202 225 cas a permis de rattacher 55 141 (27%) des cas à des clusters. La majorité des cas rapportés à des clusters étaient retrouvés dans le milieu privé, suivi des maisons de retraite, les hôpitaux, les sites professionnels, et les centres d’hébergement de réfugiés. (…) Les clusters familiaux étaient généralement de petite taille (3,2 personnes), tandis que ceux en maisons de retraite étaient de plus grande taille (18,8 personnes). »

On se rappellera à ce propos qu’au moment du déconfinement, on avait vu une poussée de nouveaux clusters, en France et en Allemagne, dans les abattoirs et autres lieux de travail. Une contamination qui semble se prolonger, si on en croit les chiffres des autorités sanitaires, mais qui sont totalement relayés au second plan. La priorité du gouvernement, aujourd’hui, semble être de justifier son absence de stratégie, plutôt que de produire les données qui permettraient de le faire.

C’est ce que soulignent actuellement de nombreux épidémiologistes : il est particulièrement inquiétant et anormal que, plus de six mois depuis le début de l’épidémie, il n’y ait toujours aucune donnée fiable et précise qui permette de comprendre pourquoi et comment se font les contaminations. Plusieurs épidémiologistes affirment aujourd’hui qu’il faudrait multiplier les tests, notamment en mettant en place des « pools », c’est-à-dire en regroupant les échantillons par nombre de 10 pour augmenter la vitesse de détection (dans le contexte où une grande majorité de ceux effectués, 88%, reviennent négatifs). Une pratique de tests massifs qui a déjà été utilisé dans plusieurs pays. Selon Catherine Hill, à rebours de ce qu’affirme le gouvernement, on serait loin de tester assez aujourd’hui : elle affirme que les recensements quotidiens ne représenteraient probablement qu’un cinquième de toutes les contaminations, et que les nouveaux clusters ne seraient que la partie émergée de l’iceberg.

Cela supposerait de mettre les moyens à disposition. En commençant par embaucher massivement dans la santé. Les équipes qui sont chargées de suivre les chaînes de contamination sont aujourd’hui débordées et ne peuvent suivre qu’un nombre très limité de cas contacts à chaque cas positif recensé. Une autre mesure urgente serait d’exproprier l’ensemble des laboratoires d’analyse, sous contrôle des travailleurs et de la population, car, alors qu’ils font des profits sur la catastrophe sanitaire, leur morcellement dans de nombreuses structures éparses ne permet d’avoir le contrôle de la stratégie d’ensemble des tests. Enfin, il faudrait publier en toute transparence les données disponibles. C’est ce que réclament aujourd’hui plusieurs chercheurs afin de pouvoir étudier la manière dont se font les contaminations et établir une véritable stratégie de gestion de l’épidémie.


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