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Cadeau empoisonné

Contrat d’engagement : Macron veut contraindre les jeunes à accepter des jobs précaires

Annoncé sur Facebook ce mardi par Macron, le contrat d’engagement jeune a tout d’un cadeau empoisonné. Pour cause, en forçant les jeunes qui en « bénéficieront » à travailler 15 à 20h par semaine pour un montant maximum de 500 euros, le dispositif s’inscrit dans une dynamique néolibérale plus générale de contractualisation des aides sociales et vient institutionnaliser la précarisation de la jeunesse.

Irène Karalis


et Nathan Deas

3 novembre 2021

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Photo : Capture d’écran du discours de Castex à Vitry-sur-Seine, ce mardi 2 novembre

Annoncé sur Facebook ce mardi par Macron et décrit minutieusement par Castex lors de son allocution à la mission locale de Vitry-sur-Seine, le « contrat d’engagement jeune » prévoit une allocation de 500€ maximum pour tous les jeunes de moins de 26 ans sans formation ni emploi qui accepteront de suivre un parcours de 15 à 20 heures « d’accompagnement » par semaine. Le dispositif, prévu pour un an, pourra être prolongé de six mois et être rompu pour « non-respect des engagements » ou « refus injustifié » d’une offre d’emploi ou de formation. Selon le gouvernement, l’objectif de la mesure est d’« accompagner au moins 400 000 jeunes vers l’emploi en 2022 » et d’aider les jeunes à « découvrir un métier, se former, trouver un apprentissage ou un emploi ». En réalité, ces annonces constituent un cadeau empoisonné pour la jeunesse et une nouvelle offensive néo-libérale conditionnant le versement d’aides minimales au respect de « devoirs ». En arrière-plan, c’est à nouveau et ce dans la continuité de la réforme de l’assurance chômage, une rhétorique pro-patronale contre toute forme « d’assistanat » qui est mobilisée au service de la constitution d’emplois ultra-précarisés.

Face à la précarité et à la crise économique, une opération de com’ pour pousser la jeunesse au travail

« 500 000 jeunes en situation d’éloignement durable de l’emploi ne pourront bénéficier au mieux de la reprise économique », peut-on lire sur le site du gouvernement. Conscient que la reprise économique est fragile, le gouvernement explique vouloir « éviter que la jeunesse soit la principale victime de la crise ». A quelques mois des présidentielles, la question de la jeunesse est devenue un sujet important pour le gouvernement. Les images de jeunes étudiants faisant la queue sur des kilomètres devant des banques alimentaires l’année dernière et à nouveau depuis la rentrée scolaire sont porteuses d’une symbolique politique forte et d’un efficace à charge pour le gouvernement. Celui-ci, après une campagne de séduction sur les réseaux sociaux, se devait donc d’agir.

Derrière les effets d’annonce et alors que la macronie par la voix de Stanislas Guerini, alors le patron de la République en marche, était allée jusqu’à évoquer en mai dernier un possible RSA jeune, le contrat d’engagement est très en deçà des attentes. Et depuis hier la plupart des syndicats et organisations de jeunesse font part de leur déception. Pour cause, loin de concerner l’ensemble des jeunes qui vivent dans une situation de précarité - les jeunes sans emploi ni formation sont plus d’1,5 millions - le dispositif ne touchera que 400 000 d’entre eux, dont 200 000 qui étaient déjà concernés par la Garantie jeunes. De même, l’allocution de 500 euros, semble terriblement dérisoire au regard du seuil de pauvreté qui s’élève à 1041 euros.

Plus largement, c’est la logique elle-même du dispositif qui interroge. Loin de répondre à la précarité de la jeunesse, le gouvernement semble vouloir la remettre au travail à tout prix. A quelques mois des présidentielles, la macronie reprend donc à son compte un vocable de droite et un triptyque, « travail, mérite et responsabilité » qui lui est familier, comme le note Cécile Cornudet dans un édito pour Les Échos, pour conclure à l’élaboration d’un projet néolibéral dont les habillages communicationnels – le chef de l’Etat a estimé que « les jeunes valaient mieux que l’assistanat »- ne convainquent pas.

Bertrand Bissuel, écrit pour Le Monde : « Le versement de cette prestation sera soumis à conditions de ressources, mais il faudra aussi que le jeune fasse preuve d’« assiduité » et accepte « les offres d’activité » qui lui seront faites, ajoute le président de la République, conformément à la « logique de devoirs et de droits » qu’il avait défendue dans son allocution du 12 juillet. C’est à cette occasion que le chef de l’Etat avait exprimé son intention de présenter « un revenu d’engagement », vocable qui est donc finalement abandonné au profit de « contrat d’engagement ». Un tel changement de sémantique n’est pas anodin : il vise à couper court à l’idée que le gouvernement chercherait à instaurer un revenu de solidarité active (RSA) pour les moins de 26 ans : cette option, M. Macron l’a lui-même exclue car elle l’exposerait à la critique, énoncée par la droite, que l’exécutif verserait dans l’assistanat. ».

Derrière ce choix, pour le gouvernement, il s’agit donc de mettre en scène le retour de la jeunesse au travail. Et en réalité, ce dispositif d’« insertion » pour les jeunes « les plus éloignés de l’emploi » consiste à fournir de la main-d’œuvre bon marché au patronat. Au regard des 6,25€ par heure obtenus lorsqu’on calcule une paie-type en prenant le montant maximum (500€) pour un temps de « formation » maximum (20h), ce dispositif consiste tout bonnement à renforcer l’exploitation de la jeunesse travailleuse.

Ce nouveau dispositif s’inscrit donc dans la droite lignée des précédents et de la garantie jeunes, du service civique ou encore du dispositif Un jeune Une solution qui prévoyait 4000 euros pour chaque entreprise qui embaucherait un jeune employé. Le gouvernement répond à un double objectif, d’une part faciliter l’embauche en flexibilisant les conditions de travail pour relancer certains secteurs de l’économie, d’autre part répondre ainsi dans une certaine mesure au besoin d’intégrer les jeunes à la reprise économique qui s’avère fragile alors que certains secteurs sont toujours confrontés à une pénurie de la main-d’œuvre. En arrière-plan la marche forcée de la jeunesse vers la précarisation se poursuit, et le gouvernement peut communiquer sur l’aide dont il aurait doté la jeunesse.

Conditionner le versement des aides à l’acceptation des jobs précaires : un nouveau bond en avant dans la précarisation de la jeunesse

Ainsi ce dispositif est avant tout profondément néolibéral puisqu’il s’agit de conditionner le versement d’aides à l’acceptation de jobs précaires. Dès lors le contrat d’engagement pourra être rompu en cas de « non-respect des engagements » ou de « refus injustifié » d’une offre d’emploi ou de formation. Le propos est clair : avant de parler de droits, il faut parler d’obligations.

Dans la continuité de la Garantie jeunes, mise en place en 2013, le gouvernement n’offre que des perspectives éphémères et sans avenir. Lourdes, conseillère en insertion sociale et professionnelle dans une association, expliquait ainsi sur FranceInter dans l’émission Le téléphone sonne : « Je suis très étonnée d’entendre que des gens se posent la question de savoir qui diffuse, qui porte la connaissance de la garantie jeunes alors qu’elle est mise en place depuis 2013. Je suis très préoccupée de l’avenir des jeunes et je me retrouve avec des jeunes qui ont bénéficié de la garantie jeunes et qui se retrouvent sans rien. Ils font des stages et à la fin du stage ils se retrouvent sans rien. Je pense que la crise du Covid a mis en lumière des choses qu’on ne voulait pas voir mais qui étaient déjà là. »

De tels effets ne sont pas étonnants : à rebours de trouver un emploi stable, pérenne et confortable, l’objectif numéro 1 de la garantie jeunes, et aujourd’hui du contrat engagement jeune, est avant tout de conditionner le versement d’aides à l’acceptation de jobs précaires et de courte durée, et ce dans une séquence qui fait planer le spectre du chômage. Une telle logique trouve ses racines dans le modèle néolibéral allemand Hartz qui pour faire face au chômage de masse a permis la multiplication des jobs précaires. Ce conseiller du chancelier Gerhard Schröder, par la suite conseiller de Hollande, avait été employé en 1993 par Volkswagen qui lui avait demandé de se débarrasser de 30 000 des 111 000 salariés. Pour éviter un plan social onéreux et une bronca sociale, la solution de Hartz avait été de réduire le temps de travail en baissant les salaires.

Ce chemin sur lequel s’était engagé l’Allemagne avait déjà été salué par Hollande en 2013 qui, invité à l’anniversaire du SPD, avait affirmé à propos des lois Schröder : « Le progrès, c’est aussi de faire des réformes courageuses pour préserver l’emploi et anticiper les mutations sociales et culturelles. Elles ont permis à votre pays d’être aujourd’hui en avance sur d’autres. Ces décisions ne sont pas faciles à prendre, mais rien ne se construit de solide en ignorant le réel. » Et quand on se rappelle des déclarations de Schröder, on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec le discours du gouvernement : « Ceux qui peuvent mais ne veulent pas travailler ne peuvent pas compter sur la solidarité de l’aide sociale. Personne n’a le droit à la paresse dans notre société. »

Aujourd’hui, les dispositifs d’insertion déjà existants, à savoir la garantie jeunes et le PIC (Plan d’Investissement dans les Compétences), ne suffisent plus à appliquer cette logique et arrivent à un effet de seuil. En ce sens, l’établissement d’une gestion du contrat d’engagement jeune par les missions locales, Pôle emploi et certaines associations locales permet d’approfondir la tendance en répondant à un besoin de nouveaux recrutements.

Cette contractualisation des aides sociales a pour pendant une précarisation approfondie. En ce qui concerne le contrat d’engagement jeune, en s’adressant aux jeunes qui ont moins de 497,50 euros de ressources par mois, ce sont les plus précaires des précaires qui sont visés sans que rien ne soit réellement prévu pour les sortir de cette précarité puisque le montant de l’allocation pourra même diminuer au cours du programme. Le dispositif s’inscrit donc bien dans une logique pro-patronale et constitue un bond en avant dans la précarisation de la jeunesse.

La jeunesse ne paiera pas la crise : partage du temps de travail, augmentation des salaires et universités ouvertes à toutes et tous !

Le contrat d’engagement jeune, produit mûrement réfléchi de l’exécutif, constitue donc une nouvelle attaque contre la jeunesse. Face à un gouvernement qui fait la part belle au patronat précarise toujours plus les jeunes, il s’agit de rejeter cette mesure et toute la logique néolibérale qu’elle représente en bloc. Plus que jamais, refusons les discours pro-patronaux selon lesquels il serait normal de travailler pour une somme misérable et dans des conditions de travail exécrables.

Face à cela nous devons revendiquer contre ceux qui veulent nous vendre des jobs de misère en faisant leur beurre sur le chômage de masse, le partage du temps de travail pour travailler toutes et tous avec maintien des rémunérations et augmentation des salaires les plus bas.

Dans cette optique nous ne pouvons que nous opposer radicalement à toute réduction des prestations allouées aux chômeurs, ou ici à des « aides » qui n’en ont que le nom, et qui sont censées nous « inciter » à accepter n’importe quel emploi. Nous exigeons en ce sens 300€ d’augmentation de salaire pour toutes et tous et la revalorisation du SMIC à 1800€ nets.

Enfin il s’agit de revendiquer une bonne fois pour toutes le retrait de toutes les réformes sélectives à l’université, qui laissent sur le banc des milliers d’étudiants chaque années, ceux-là même qui sont concernés par le contrat d’engagement jeune. Plus que jamais, il faut défendre une université ouverte à toutes et tous. Dans le même sens, il devient plus urgent de jour en jour de revendiquer un revenu étudiant à la hauteur d’un SMIC revalorisé, financé par un impôt fortement progressif sur les grandes fortunes, pour que chaque jeune puisse vivre dignement sans avoir à occuper des emplois précaires pour satisfaire les besoins du patronat, et étudier sans avoir besoin de travailler.


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