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Catastrophe climatique

"De nombreuses usines ferment à cause des inondations et du FMI" Entretien avec un militant pakistanais

L'inondation au Pakistan est l'un des événements climatiques les plus violents de l'histoire récente. Un révolutionnaire pakistanais décrit les conséquences de la catastrophe, ainsi que les crises économiques auxquelles le pays est confronté, sous les politiques austéritaires du FMI.

Klasse Gegen Klasse

4 octobre 2022

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Crédits photo : A M Syed

Cet article est la traduction d’un entretien publié le 19 septembre dans Klasse gegen Klasse.

L’inondation au Pakistan est l’une des catastrophes climatiques les plus violentes de l’histoire récente. A la suite d’une forte sécheresse, de fortes pluies ont entraîné une inondation qui a touché jusqu’à présent plus de 35 millions de personnes. Environ un tiers du pays est sous les eaux. Avant la catastrophe, la situation du pays était déjà marquée par une profonde crise gouvernementale et économique, associée à de sévères mesures d’austérité sous les auspices du Fonds Monétaire International. Klasse gegen Klasse a discuté de la catastrophe et de ses conséquences avec le socialiste pakistanais Shezhad Arshad, membre du Mouvement socialiste révolutionnaire.

Klasse gegen Klasse : Tout d’abord, comment s’est passée ta journée aujourd’hui ?

Shezhad Arshad : En ce moment, je suis à Lahore. Je reviens d’une réunion avec des syndicalistes pour organiser une de nos campagnes de secours. Il est triste de constater que ce n’est que récemment que l’on s’est intéressé à la souffrance au Pakistan. Et même maintenant, l’attention se déplace déjà. Pourtant, au Baloutchistan, les gens sont touchés depuis des mois maintenant. Là-bas, les inondations ont commencé à la mi-juin. Il y a quelques semaines, l’inondation a atteint d’autres régions comme le Sind, le Khyber Pakhtunkhwa et le sud du Pendjab. Aujourd’hui, d’importantes usines sont touchées donc l’économie est en danger. Certaines usines ont tout simplement été détruites, ce qui entraîne un chômage de masse et des licenciements. Les grandes villes sont et étaient également menacées. Et même si l’attention internationale se détourne de notre situation, la crise dans laquelle on est actuellement restera présente pendant des mois. Les familles pauvres seront affectées pendant des années, voire des décennies. Nous continuerons donc à être actifs dans ce domaine. Et j’appelle la gauche mondiale, les travailleurs et le mouvement pour le climat, à continuer à nous soutenir.

KgK : Qu’en est-il de la disponibilité de la nourriture et de l’eau potable ?

Shezhad Arshad : Comme le montrent les vidéos sur Internet, la situation dans les zones inondées est très mauvaise. Il fait extrêmement chaud, il y a une grave pénurie de nourriture. L’eau potable est pratiquement indisponible, ne laissant à de nombreuses personnes que le choix de faire bouillir et de boire de l’eau sale, ce qui contribue à la propagation massive de maladies. Même les grandes villes sont touchées. Déjà à cause de l’accord du FMI, la nourriture était devenue plus chère. Maintenant, les gens ont faim, beaucoup n’ont pas assez de nourriture pour leurs enfants. Certains ne peuvent manger qu’une fois par jour, voire pas du tout.

KgK : Qui est responsable de cette catastrophe ?

Shezhad Arshad : Si vous regardez les statistiques sur le changement climatique, il est clair que le Pakistan n’est qu’un contributeur mineur. C’est à cause du changement climatique que nous subissons cette catastrophe. C’est parce que les glaciers fondent que les inondations augmentent. Mais le gouvernement est également responsable. Il savait depuis des mois qu’une catastrophe se préparait et n’a rien fait, alors qu’il aurait pu tirer les leçons de l’expérience des inondations de 2010, qui ont touché 20 millions de personnes. La politique menée ces dernières années montre qu’ils n’en ont pas tenu compte. Ils ne se soucient pas des gens ordinaires. Par exemple, ils ont détourné les rivières pour que les inondations touchent les zones résidentielles des pauvres plutôt que les grandes usines et les maisons des riches.

KgK : Peux-tu nous parler de l’impact des inondations sur les conditions de travail ?

Shezhad Arshad : De manière générale, le Pakistan traverse depuis longtemps une crise économique. Même si le déficit du commerce extérieur s’est un peu amélioré récemment, le pays est désormais contraint d’importer de nombreux biens à des prix élevés. Des biens qui étaient auparavant produits dans le pays. L’inflation s’élève désormais à 27 % pour cette année. Les prévisions annonçaient déjà avant l’inondation une faible croissance économique. Elles vont encore être revues à la baisse. En raison des conséquences des inondations, mais aussi des mesures prises par le FMI, de nombreuses usines ont été fermées. En particulier dans l’industrie textile, de nombreux travailleurs du secteur signalent qu’ils ont été licenciés. La situation est similaire pour les travailleurs de l’industrie des fours à briques. Partout, les entreprises licencient. Même dans le secteur du développement de logiciels. Ces entreprises agissent ainsi alors qu’elles réalisaient récemment des profits. Elles profitent de la situation pour sauver leurs profits tout en plaidant pour des politiques d’austérité aux dépens de la population.

KgK : Les médias internationaux établissent le nombre de décès dus à l’inondation à partir des informations provenant du gouvernement pakistanais. Il a été rapporté qu’un millier de personnes sont mortes. Ces chiffres sont-ils exacts ?

Shezhad Arshad : Tout d’abord, il faut savoir qu’il y aura très probablement d’autres inondations et moussons à venir. Selon le gouvernement, plus de 1 500 personnes sont mortes à ce jour. D’après les impressions que j’ai pu recueillir et celles des activistes avec lesquels j’échange constamment des informations, les chiffres réels sont beaucoup plus élevés que ce qui est rapporté. Au début, il n’y avait pas ou peu de reportages sur les inondations, alors que les gens mouraient déjà. Compte tenu de l’ampleur des destructions, les chiffres rapportés aujourd’hui sont incroyablement faibles. 45 % des terres agricoles sont détruites, ainsi que des équipements importants pour la production et l’agriculture. 2 millions de maisons, 246 ponts et 6 500 kilomètres de routes ont été dévastés. L’eau ne devrait pas disparaître dans les deux ou trois prochains mois. En fait, la récolte de céréales devrait commencer bientôt, mais il se pourrait qu’elle soit entièrement perdue maintenant. Cela pourrait entraîner une énorme crise de la faim.

En outre, il existait déjà une pratique de sous-déclaration des morts lors de la pandémie de Covid. Le gouvernement a essayé d’éviter toute responsabilité. Il était également difficile pour les médias d’établir une estimation plus précise. Malheureusement, lorsque des pauvres meurent au Pakistan, l’État et les médias bourgeois ne sont pas très intéressés. Mais il faut ajouter qu’il existe des journalistes honnêtes et progressistes qui aimeraient en dire plus. Mais il leur est difficile de le faire dans les circonstances données. Cependant, avec le temps, les statistiques sur la surmortalité pourraient nous en dire plus.

KgK : L’Allemagne continue d’expulser des personnes vers le Pakistan, qu’en penses-tu ?

Shezhad Arshad : C’est tout simplement incroyablement injuste. L’Allemagne fait pression sur le FMI. Pendant ce temps, le capital allemand profite de la mondialisation. Eux aussi ont exploité et exploitent encore nos ressources et nos territoires. Le capital a le droit d’aller partout. Mais les gens n’en ont pas le droit - ils sont "illégaux" et forcés à l’expulsion !

Nous vivons dans de mauvaises conditions qui nous sont imposées par le néolibéralisme. Nous disons non à cette injustice ! Il est toujours injuste de déporter des gens. L’Allemagne devrait le savoir mieux que toute autre société et tout autre État, quelle que soit la situation. En outre, les personnes originaires du Pakistan ont servi l’économie allemande, souvent en fournissant une main-d’œuvre bon marché. C’est le remerciement qu’ils reçoivent.

Mais malheureusement, nous pouvons voir des pratiques similaires employées par le gouvernement pakistanais pour sévir contre nos frères et sœurs d’Afghanistan. Les capitalistes pakistanais profitent de leur travail. Et ensuite, l’État utilise des arguments racistes similaires contre eux. En outre, il faut ajouter qu’une expulsion n’affecte pas seulement la personne expulsée elle-même. Souvent, les personnes expulsées font vivre des familles entières au Pakistan ou dans d’autres pays d’origine. En les expulsant maintenant, l’Allemagne prive des familles entières de leurs moyens de subsistance, et ce en pleine crise.

KgK : Que penses-tu de l’aide des Nations Unies ?

Shezhad Arshad : Le secrétaire des Nations Unies était récemment au Pakistan. Il a dit à quel point la situation est mauvaise. Il a déclaré qu’environ 30 milliards de dollars de dommages avaient été infligés au Pakistan jusqu’à présent. Mais l’aide financière que le Pakistan reçoit, comparée à ces dommages, n’est rien. L’aide que nous recevrons ne représente qu’une infime partie de ce que les pays riches vont demander en remboursement de dettes rien que cette année.

Kgk : On a vu dans les médias que les réfugiés seraient mis dans de grands camps où les conditions de vie sont mauvaises. Que sais-tu de la situation dans ces camps ?

Shezhad Arshad : Malheureusement, ces camps ne sont disponibles que pour une petite partie de la population. Mais la situation dans les camps eux-mêmes n’est pas bonne non plus. En raison des conditions climatiques humides et du fléau des moustiques, la situation y est particulièrement difficile pour les personnes âgées, les femmes et les enfants. Mais la situation sera encore pire dans deux mois. Les températures vont alors baisser et ce sera l’hiver. Face à cette situation, il faut que le gouvernement ouvre ses bâtiments aux habitants des régions touchées. Il faut qu’il construise des nouvelles maisons pour donner enfin un abri aux sans-abri.

KgK : Comment penses-tu que la situation va évoluer dans un avenir proche ?

Shezhad Arshad : La situation s’aggrave de jour en jour, des maladies comme le paludisme et la dengue se propagent rapidement et font de nombreuses victimes. Il n’y a aucune amélioration en vue concernant la pénurie de nourriture et d’eau potable non plus. La dengue se propage maintenant dans les villes qui sont proches des zones inondées. Une grave crise sanitaire se profile, alors que les médicaments nécessaires ne sont pas disponibles en raison des coupes de budgets dans le secteur de la santé imposées par le FMI. En outre, l’augmentation des prix fait que les travailleurs, les paysans et les pauvres ne peuvent pas se payer les traitements nécessaires.

KgK : Y a-t-il des initiatives de la population, et si oui, quelles sont-elles ?

Shezhad Arshad : Comme le gouvernement pakistanais ne fait pas assez d’efforts et qu’il abandonne surtout les pauvres, l’entraide est nécessaire. Les organisations locales jouent un rôle important dans les régions inondées. Elles financent la nourriture et les vêtements, et aident à la logistique. De même, elles collectent des dons dans les villes et à l’étranger. Elles apportent une contribution importante. Bien sûr, malgré leur aide, la situation reste très mauvaise. Les ONG, les groupes de gauche et les syndicats tentent de jouer un rôle. Toutefois, les forces de droite sont fortement impliquées et, traditionnellement, plus influentes au Pakistan. Il est donc d’autant plus pertinent pour la gauche pakistanaise de recevoir un soutien pour ses campagnes sur le terrain.

KgK : En Allemagne, la catastrophe est assez peu couverte par les médias. Pourquoi à ton avis ?

Shezhad Arshad : L’une de nos principales revendications, découlant de la catastrophe et de la crise globale, est l’annulation de la dette du Pakistan. Le Pakistan doit rembourser 21 milliards de dollars de dette l’année prochaine, ce qui serait fatal pour la population de notre pays. Bien sûr, les pays impérialistes comme l’Allemagne sont responsables de cette situation injuste. Ils sont l’un des principaux responsables du changement climatique. En même temps, ils sont l’un des principaux acteurs du FMI. Ils devraient payer pour cette catastrophe, car ils l’ont provoquée. Toutes les dettes étrangères du Pakistan devraient être annulées sans délai !

KgK : Il y a eu un changement de gouvernement au Pakistan au début de l’année, qu’est-ce qui a changé ?

Shezhad Arshad : En principe, rien n’a changé. Le gouvernement précédent a adopté le programme du FMI, et le gouvernement actuel le met en œuvre. Ils ont dit à la population qu’ils évitaient une crise. Ils ont peur d’être renversés, comme au Sri Lanka. Mais ça ne les a pas empêchés de procéder à des privatisations, à des coupes budgétaires et à des augmentations d’impôts, frappant principalement les classes populaires. Le coût de l’électricité et de l’essence a augmenté massivement. Certains produits ont connu une hausse de prix de 500 %. Il n’y a donc aucun changement positif. Ce gouvernement continue d’être le gouvernement des capitalistes. Ils financent les grandes entreprises et n’ont aucun problème à vendre le pays à des pays comme l’Arabie Saoudite et Dubaï. Lorsque la vie des gens ordinaires se détériore, ils en profitent. Même avant l’inondation, les gens étaient affamés. Mais maintenant, pour la première fois, la situation est si mauvaise qu’il y a des pénuries de nourriture partout, même à Lahore. Dans les zones ouvrières, les gens n’envoient pas leurs enfants à l’école. Ils n’ont pas d’argent pour les médecins et les visites à l’hôpital.

KgK : Quelles sont vos revendications au gouvernement ?

Shezhad Arshad : Le gouvernement subventionne les grandes entreprises des capitalistes à hauteur d’environ 27 milliards de dollars chaque année. Au lieu de cela, cet argent devrait aller aux victimes des inondations. De plus, nous demandons qu’ils taxent les riches et les capitalistes. Le gouvernement doit utiliser un système d’imposition progressive du capital et de la richesse, augmenter le budget du secteur de la santé et envoyer de l’aide dans les zones touchées. Il doit également fournir de nouveaux logements. Car, pour financer une maison, les gens d’ici doivent travailler pendant plus de 30 ans. Il est important que les comités locaux participent à la distribution et au contrôle des campagnes de secours. Nous ne pouvons pas faire confiance aux fonctionnaires : il y a déjà des rapports selon lesquels des fonctionnaires défavorisent les pauvres. Mais ce sont surtout les plus pauvres et les plus faibles qui devraient être la priorité !

Kgk : Que souhaitez-vous ajouter ?

Shezhad Arshad : Je voudrais souligner la situation des femmes, qui souffrent particulièrement et reçoivent moins d’aide et sont confrontées à plus d’obstacles. Plus de 600 000 femmes sont actuellement enceintes dans les zones inondées, ce qui est une situation dramatique. La catastrophe est un grand défi pour le mouvement féministe du Pakistan, relativement petit. Mais nous voulons le relever ensemble et en solidarité avec différentes forces.

Bien sûr, le gouvernement et la bourgeoisie du Pakistan ont une responsabilité. Ils auraient pu évacuer les gens à temps, aider davantage, etc. D’autant plus qu’en ce moment, ils sont moins préoccupés par la gestion de la crise que par la lutte entre eux pour le pouvoir.

Cependant, comme je l’ai dit, le changement climatique est à l’origine de l’inondation. Il est donc important que le mouvement international pour le climat et la classe ouvrière s’emparent immédiatement de la demande d’annulation de la dette du Pakistan. Ils doivent comprendre que cette catastrophe au Pakistan, à laquelle nous sommes actuellement confrontés, n’est que le début d’une ère de dévastation écologique. Selon les précédents rapports climatiques, l’intensité des inondations au Pakistan devait augmenter de 30 à 40 %. Aujourd’hui, nous avons assisté à une augmentation de 400 à 500 %. Si l’économie mondiale ne change pas, cette situation ne sera pas seulement permanente, elle s’aggravera.

Nous avons besoin d’un changement systémique pour empêcher l’effondrement de l’ensemble de la civilisation mondiale. À cet égard, la classe ouvrière de l’Occident a une responsabilité gigantesque. Une responsabilité dont elle n’est pas encore consciente et sur laquelle elle n’agit pas. Mais il est grand temps !

Par ailleurs, les dons sont bien sûr utiles pour apporter une aide immédiate aux victimes des inondations. Les syndicats, les organisations de gauche et les organisations climatiques qui souhaitent apporter leur aide sont invités à nous contacter.


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