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Débats sur la Loi Séparatisme : la machine liberticide et islamophobe est relancée

Mardi 2 février ont été ouverts les débats sur la loi Séparatisme à l'Assemblée nationale. Après les mobilisations de novembre et décembre contre la loi Sécurité Globale, le gouvernement relance la machine de son agenda liberticide et islamophobe.

Simon Derrerof

5 février 2021

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(Photo Alain JOCARD / AFP)

L’ouverture des débats sur la Loi Séparatisme, un nouveau tournant sécuritaire et islamophobe

« Notre pays est malade d’un séparatisme, dont le premier d’entre eux, l’islamisme, gangrène notre unité nationale, il faut savoir nommer la maladie, il faut trouver les médicaments », voilà comment le ministre Darmanin a ouvert, ce lundi 1er Février, à l’Assemblée Nationale, les débats autour du fortement polémique projet de loi Séparatisme. Derrière la volonté affichée par le gouvernement de combattre un « islam radical », c’est un renforcement de la politique islamophobe et sécuritaire du gouvernement qui est proposé. En effet, il n’aura fallu que quelques secondes pour que les masques tombent, pour Darmanin « séparatisme » = « islamisme » uniquement.

Dans les faits, ce projet de loi, qui prétend lutter contre le séparatisme, vise des pratiques ordinaires pour une grande partie des musulmans pratiquants lambdas en France. Le texte fait ainsi défiler une série de mesures plus ou moins polémiques et qui dans les faits se retrouve à renforcer des discriminations sur des personnes déjà stigmatisées par la xénophobie, le racisme et l’islamophobie. Dans une longue série de mesures répressives, que ce soit l’obligation de neutralité étendue aux salariés du privé assurant des délégations de service public, le renforcement du contrôle des associations et des possibilités de les dissoudre, ou encore l’ingérence accrue de l’État dans le culte musulman, le projet de loi montre ce qu’il est véritablement, un texte islamophobe.

Plus largement, le projet de loi s’attaque aux libertés dans leur ensemble, un aspect admis par le Conseil d’État : « Les mesures du projet de loi concernent pratiquement tous les droits et libertés publiques ». Un aspect liberticide particulièrement flagrant, comme le montrait Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à l’université de Paris Ouest-Nanterre - La Défense, spécialiste du droit des libertés fondamentales et membre de l’Institut universitaire de France (IUF), en rappelant dans une interview pour Le Nouvel Obs que la défenseure des droits Claire Hédon avait fait ce calcul : plus d’un tiers des articles visent à renforcer des dispositifs de contrôle, et près d’un quart définissent des peines d’emprisonnement.

Et en effet, la liberté de la presse, des associations, la neutralité des services publics, des droits civils comme le mariage, et des droits sociaux sont directement attaqués par le texte. Au menu, 70 articles sont examinés selon un temps législatif programmé de quarante heures pour cadrer le débat. Et nombreux sont les points polémiques : l’article 21, qui restreint l’enseignement à domicile, impose un encadrement bien plus strict, et faciliter les possibilités de fermeture des écoles hors contrat, l’article 18, qui crée un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui pour lutter contre « la haine en ligne » et vu par beaucoup comme une nouvelle mouture de l’article 24 de la loi Sécurité Globale, ou encore le délit de séparatisme, sont parmi d’autres au centre des critiques et de la polémique.

Un tournant dans la stratégie sécuritaire du gouvernement pour mieux accomplir son agenda répressif

Après avoir été contraint de reculer sur la forme, face aux mobilisations massives provoquées par la Loi Sécurité Globale et dénonçant les dérives sécuritaires de la Macronie, le gouvernement a une nouvelle fois enclenché la marche avant de son agenda répressif et islamophobe. Pour autant, il semble avoir retenu les leçons d’un mois de novembre agité, du moins sur la forme. Exit la figure d’un Darmanin omniprésent et tapageur, la stratégie du gouvernement se veut apaisée pour mieux développer son agenda répressif. « On ne m’y reprendra plus » assure le ministre de l’Intérieur au Monde à la suite de la polémique qui avait éclaté fin 2020, autour de l’article 24.

En effet, le ministre avait été particulièrement mis en cause au sein de sa majorité, lui reprochant d’ « hystérisé » le débat, et d’être la figure la plus détestée par les manifestants. Mis sous pression par Macron et tenu à l’écart des réunions de crise se déroulant dans les salons présidentiels, le lendemain de l’énorme mobilisation du 28 novembre, Darmanin a fait une autocritique de façade : « Avec du recul, je me rends compte qu’il aurait fallu porter cet article différemment, en excluant plus clairement les journalistes de la loi. On ne m’y reprendra plus. Nous avons commis quelques erreurs. On aurait sûrement pu faire autrement. »

Pour autant, ces déclarations n’ont jamais montré un recul sur les projets liberticides. Le recul de façade sur la Loi de Sécurité Globale et sur l’article 24 n’ont pas changé son but, renforcer les forces de répression et attaquer nos libertés. La transposition de l’article 24 dans l’article 18 de la loi Séparatisme montre que si le discours a changé, l’aspect liberticide est lui inchangé.

En effet, le but du gouvernement est clair, aller jusqu’au bout de son agenda répressif et bétonner sur la droite, tout en tentant de ne pas s’aliéner l’aile gauche pour 2022. Alors que Darmanin a délaissé l’omniprésence médiatique, c’est dans les réunions de préparation de l’examen à l’Assemblée Nationale que le ministre est présent, selon Le Monde : « M. Darmanin s’est aussi plongé dans la préparation de l’examen à l’Assemblée nationale, au dire de François de Rugy, président (La République en marche, LRM) de la commission spéciale chargée d’examiner le texte, l’ex-député du Nord s’est montré « très présent » dans cette instance, « quasiment de bout en bout, alors qu’un certain nombre d’articles ne le concernaient pas » .

Pousser la Macronie sur la droite et jouer sur son terrain

Lundi 1er février, soit un jour avant l’ouverture des débats sur La Loi Séparatisme, s’ouvrait en grande pompe le « Beauvau de la Sécurité », sorte de Grenelle de la police qui vise à préparer une future réforme sur la base de quatre mois de débats avec les syndicats de police et gendarmerie. Visant à faire une multitude de cadeaux à son bras armé, le gouvernement cherche à s’assurer son soutien pour faire passer facilement ses réformes de droite. L’ouverture simultanée du Beauvau de la Sécurité et de la loi Séparatisme montre le retour au premier plan de la politique très droitière du gouvernement. Une politique et un rôle exprimé parfaitement par Darmanin au Monde : « J’essaie de faire ce pourquoi j’ai été choisi par le président : porter une voix d’autorité, en incarnant la jambe régalienne et populaire du macronisme ».

Pour autant, le nouveau virage à droite crée des divisions au sein même de la majorité, le bloc majoritaire LREM faisant lui-même l’objet de divisions. En témoignent les propositions d’amendements particulièrement à droite d’Aurore Bergé, qui ne semble pas faire l’unanimité au sein de la majorité. Un cadre LREM aurait ainsi affirmé que « Aurore Bergé a fini par exaspérer tout le groupe ». D’autres députés, comme François Cormier-Bouligeon, témoignent également d’une certaine prise de distance avec la majorité, le député du Cher affirmant ainsi que «  Ça n’est pas fracturer la majorité que de vouloir consolider le texte » et demandant «  un débat politique au sein du groupe et la liberté de vote  ». Pour le reste de la majorité, qui souhaite limiter le débat autour du texte et ne pas faire d’éclats, la pression se renforce.

Notamment face à Marine Le Pen et de nombreux députés républicains qui poussent pour interdire le voile dans l’espace public et aller plus loin encore dans l’islamophobie. Mardi, les députés Républicains ont poussé pour interdire le port du voile pour les mère accompagnatrices en sortie scolaire et les étudiantes à l’université : « le voile n’a pas sa place dans les amphithéâtres de nos universités » a affirmé Eric Ciotti ; quant à la députée LR du Doubs Annie Genevard, elle a dénoncé une « faute majeure du gouvernement de ne pas parler de ces dispositions dans le projet de loi ».

Lutter contre les projets liberticides et islamophobes en pensant un plan à la hauteur

Il n’est pas anodin de voir le gouvernement multiplier les cadeaux aux forces de police ces dernières semaines. L’ouverture du « Beauvau de la Sécurité » lundi 1er février, et la satisfaction affichée par les syndicats policiers, Alliance en tête, par son secrétaire général Fabien Vanhemelryck (« pour l’instant le ministre a répondu en tout point à nos attentes »), répondent au besoin direct de s’assurer le soutien du bras armé de l’État. En effet les mobilisations de décembre et novembre dernier contre la Loi Sécurité Globale ont à l’époque ébranlé un gouvernement qui a depuis changé de stratégie pour faire passer son agenda répressif.

Exit un Darmanin agressif et accusé de viol, sur le devant de la scène, c’est désormais un gouvernement qui prend une posture apaisé qui fait passer ses réformes racistes et répressives. Pourtant, le projet reste le même, ni la réécriture de l’article 24 de la Loi Sécurité Globale, ni la posture différente du gouvernement n’ont changé la nature du projet des réformes, celui d’un accroissement des politiques islamophobes et sécuritaires.

En plein couvre-feu, alors que la gestion sanitaire montre semaine après semaine l’incompétence de ce gouvernement, c’est un rapport de force à la hauteur qui sera indispensable pour le faire reculer sur ces projets. A l’encontre de certains secteurs de la Coordination Stop Loi Sécurité Globale, qui pensaient le dialogue possible, ou qui faisaient peu de lien entre la loi Sécurité Globale et la loi Séparatisme, c’est contre l’ensemble des lois sécuritaires et liberticide qu’il faut lutter, tout en refusant toute illusion de dialogue ou de négociations avec le gouvernement.

À l’inverse, il faudra construire le front le plus large possible pour construire le rapport de force dans la rue. Une perspective que l’exigence du retrait de l’ensemble des lois liberticides et racistes, sans négociation, est la plus à même de permettre de rendre tangible.


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