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Du mauvais côté de la barricade

Délire sécuritaire sur M6 : quand La Villardière fait (encore) la propagande réactionnaire du gouvernement

M6 diffusait ce dimanche soir le dernier reportage présenté par Bernard de La Villardière pour son émission Dossier Tabou. L'émission présente tour à tour les habitants des quartiers populaires, les militants antiracistes et de gauche comme de véritables ennemis de l’intérieur. Une attaque directe contre ceux qui osent dénoncer le racisme d’État, dans la droite lignée de l’offensive sécuritaire et islamophobe que mène le gouvernement.

Julien Anchaing

10 novembre 2020

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Crédits photo : Benjamin Decoin/M6

Le présentateur et la chaîne sont connus pour leurs émissions « d’investigation » qui sert de base aux discours de droite et d’extrême-droite les plus nauséabonds. Le contenu vise la plupart du temps à dépeindre les quartiers populaires comme des lieux malfamés et des repères de criminels. A ce discours malheureusement classique se sont ajoutés de véritables attaques contre les familles de victimes de violences policières et des militants antiracistes des quartiers populaires.

« Ensauvagement » et « policiers victimes » : des thèmes chers à l’extrême droite et au gouvernement

Pendant près d’une heure et demi, l’émission s’adonne à un recyclage des discours chers au gouvernement et à l’extrême-droite : « ensauvagement », l’islamo-gauchisme, représentation de supposés « ennemis intérieurs de la république » tout y passe pour faire de ce reportage M6 sauce Darmanin un véritable condensé de propagande, qui vient justifier les réformes sécuritaires et réactionnaire actuellement menée par le gouvernement.

Sur le plan esthétique, on reste sur une note assez habituelle pour l’équipe de « Dossier Tabou » : caméra embarquée depuis les voitures de police, suivi de patrouilles, interviews de commissaires qui expliquent la “souffrance” quotidienne de leurs troupes. Et quoi de mieux pour cela que de commencer le reportage le soir du 14 juillet en couvrant des violences en banlieue parisienne…

Par l’usage d’images chocs, on essaie de faire le jeu du discours de quartiers « ensauvagés » par les plus jeunes, capables de s’en prendre par simple « abus de virilisme » aux forces de l’ordre et aux pompiers. Des officiers de police comme le commissaire Fréderic Lauze, en vont même jusqu’à dépeindre le rôle des policiers dans le quartiers comme suit : « nos collègues jouent à la fois le rôle d’agent de l’ordre public, mais aussi d’assistants sociaux voire parfois d’enseignant ! ». Des enseignants armés de taser, LBD et flashball et qui arborent comme méthodes pédagogiques le placage ventral et des clés d’étranglement ?

On pourrait presque en rire si la réalité de l’intervention policière dans les quartiers populaires ne se résumait pas en réalité à un harcèlement quotidien qui vise principalement des jeunes noirs ou arabes de banlieues, et à des violences policières systémiques qui vont jusqu’à la mort de ces mêmes jeunes.

Les thématiques ressassées dans ce « documentaire » sont assez habituelles, policiers fatigués, parfois dégoûtés d’une justice trop « laxiste ». Un panorama dessiné qui rend très clair l’objectif de cette émission : tenter d’opérer un renversement qui consiste à démontrer que la violence n’est pas celle de la police, ou de l’État, mais bel et bien des « sauvages » des quartiers populaires capables des pires violences gratuites et irrationnelles. Et pour maquiller le tout d’une (très) fine pellicule de scientificité, il suffit d’interviewer quelques charlatans, tels qu’un pédopsychiatre et éducateur qui le rappelle de lui-même « on pourrait avoir la tentation de parler de précarité ou de ghettoïsation mais ce n’est pas la raison ». Mais en fait non. Sa solution ? Renforcer le code de justice pénal et mettre « rapidement fin aux actes » de ces « voyous ». Comme en revendiquant par exemple la réforme du code pénal de 2021 préparée par le gouvernement ?

C’est donc bel et bien une heure et demi d’émission qui s’adonne à faire du « voyou » de quartiers le dangereux ennemi de la France, une thématique chère à l’extrême droite et à Darmanin alors même que la gestion criminelle de la crise sanitaire ainsi que les conséquences de la crise économique ne font que renforcer la défiance envers le gouvernement et que celui-ci ne propose que la surenchère sécuritaire et raciste pour y faire face.

De La Villardière sert donc largement la propagande sécuritaire du gouvernement. Comme nous le rappelait déjà Laurent Muchielli, sociologue et chercheur au CNRS le 13 août dernier dans une interview pour Révolution Permanente : « Si le gouvernement décide de mettre l’accent sur tel thème cette semaine, en multipliant les annonces et les conférences de presse, alors les médias vont parler de ce thème. [...] Un nouveau Premier ministre est nommé, il fait des annonces sur le thème de « l’insécurité » ou du « communautarisme », du coup les médias sont mis en alerte sur ces sujets ».

De La Villardière rappelle de lui-même dans son interview pour Pure Médias que la nomination du nouveau ministre de l’intérieur aurait permis de lever les blocages posés par le ministère alors dirigé par Castaner. Ce dernier faisait face à une importante délégitimation de l’institution policière en plein mouvement contre les violences policières cet été, au moment de tourner l’émission. Le présentateur parle de la porte ouverte par la préfecture de police de Paris : « Nous avons eu la préfecture de police de Paris, avec qui nous avons de bons rapports depuis longtemps. Elle nous a fait confiance. Nous avons notamment pu tourner avec la bac de Nanterre les nuits des 13 et 14 juillet. Les soirées autour de la Fête nationale sont chaudes ».

Une insulte aux familles des victimes de violences policières et un relais des fantasmes sur l’« islamo-gauchisme »

Cette émission aurait pu être un reportage droitier de plus du « journaliste » historique de M6. La différence cette fois ci, c’est qu’il ne s’est pas contentés de quelques images spectaculaires accompagnées de commentaires droitiers servant avant tout aux discours les plus immondes tels que celui du « grand remplacement » ou de « l’ensauvagement ». Non, cette émission a bien un caractère encore plus conscient, plus politique. Très vite, on passe des violences « irrationnelles » à leurs racines et leurs incitateurs : les militants de quartiers, les rappeurs, les musulmans et la gauche. Le problème ne seraient donc pas les violences policières, mais ceux qui les dénoncent et les combattent.

L’exemple choisi n’est autre que celui du collectif « Lumières pour Sabri » créé par la famille et les proches suite à la disparition du jeune de 18 ans à Argenteuil, mort après avoir croisé une unité de la BAC de nuit. Le « documentaire » vient nous resservir la version policière du drame qui bien entendu cherche à disculper les flics. Pire encore, le documentaire en vient à accuser des militants proche du collectif de « chercher à l’instrumentaliser ». Ces mêmes militants qui avec la famille de Sabri rejettent la version policière et mènent actuellement une lutte admirable pour la justice et la dignité. Un proche de la famille rappelle que « Sabri ne serait pas mort s’il n’avait pas croisé la route des policiers ce soir-là ». Comme l’indique le collectif Vies Volées qui mène depuis plusieurs année une lutte exemplaire contre les violences policières, suite à la diffusion du documentaire la famille et le collectif a reçu une déferlante de « trolls », sans doute d’extrême-droite, sur les réseaux sociaux.

Derrière tout cela, ce n’est donc pas que la famille de Sabri qui est coupable, mais bel et bien le spectre de « l’islamo-gauchisme » déjà bien agité par le gouvernement. Omar Slaouti, militant antiraciste des quartiers populaires est présenté comme un militant de gauche proche de la France Insoumise déterminé à instrumentaliser la mort de Sabri pour en faire une lutte contre les violences policières et la colonisation. Insulté comme un « marchands de haine » par l’émission, comme tous les autres militants dénoncent les violences policières et le racisme systémique.

On assiste alors à un mélange de genre qui passe d’Omar Slaouti au Parti des Indigènes de la République puis au CCIF et Taha Bouhafs. En un clin d’œil, une bonne partie des militants de l’antiracisme politique, de la lutte contre l’islamophobie en France et tous ceux qui osent dénoncer la colonisation et l’impérialisme deviennent les membres d’un vaste complot. De quoi rappeler ce dont parlait déjà Youcef Brakni dans le live organisé par Révolution Permanente « Conflans, Après l’horreur refuser l’instrumentalisation » qui comparait ce genre de jeux discursifs au judéo-bolchévisme agité par la propagande nazie et qui vise à faire croire en un complot organisé par les musulmans et la gauche radicale en France.

Un discours que Castex, Darmanin, Blanquer et Macron ont largement alimenté ces dernières semaines contre « l’ennemi intérieur » que représenteraient les musulmans mais aussi l’ensemble des militants ou intellectuels qui dénoncent et luttent contre les oppressions et l’exploitation. L’émission cherche à dénoncer un vaste complot qui viserait la gauche institutionnelle et la France Insoumise, lesquels seraient manipulés par des figures telles que Taha Bouhafs ou Omar Slaouti afin de remplacer « la lutte sociale » par la « lutte raciale ». C’est mal connaître ces personnalités qui sont-elles mêmes en première ligne des luttes sociales de notre classe. De plus la diffusion de cette véritable diffamation a entrainé une vague de haine et de menaces contre ces militants sur les réseaux sociaux par l’extrême droite, que nous condamnons fermement.

Un discours loin d’être innocent dans la période actuelle et qui s’inscrit dans la propagande actuelle du gouvernement qui voudrait responsabiliser les journalistes alternatifs ainsi que les organisations de défense des musulmans et de l’antiracisme comme les responsables de la « haine contre les représentants de l’ordre ». Une opération médiatique qui a avant tout pour objectif de légitimer ouvertement les réformes sécuritaires du gouvernement, les attaques contre les droits démocratiques comme la liberté de la presse ainsi que la liberté de culte. Des réformes qui visent à museler toute contestation avec la loi Sécurité globale qui vise à interdire la diffusion des images de violences policières. Un projet de loi qui a déjà fait l’objet d’un fort rejet avec une pétition de rejet de près de 600 000 signataires.

Face à cette propagande honteuse, Révolution Permanente, affirme son soutien aux familles de victimes et sa solidarité entière aux militants visés par l’extrême droite et le gouvernement, comme le collectif Lumière pour Sabri, Taha Bouhafs et Omar Slaouti, contre toutes les attaques et menaces dont ceux-ci font l’objet.


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