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Moyen-Orient

Des travailleurs migrants se rebellent au Qatar pour exiger leurs salaires

Les travailleurs migrants se lèvent au Qatar et le gouvernement s’inquiète au milieu d’une situation économique tendue.

Philippe Alcoy

25 mai 2020

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Vendredi dernier des images ont circulé sur les réseaux sociaux montrant autour d’une centaine de travailleurs migrants bloquant une artère importante de la zone industrielle à Doha, capitale qatarie. Les salariés, originaires du Bangladesh, d’Inde, du Sri Lanka ou encore du Pakistan, réclament leurs salaires impayés.

Il s’agit d’images très rares dans un pays où la main d’œuvre étrangère, environ 2 millions de personnes, représente autour de 95% du total de la force de travail mais dont les conditions de travail et de vie sont des plus déplorables : pratiquement sans aucun droit, totalement dépendantes de leurs patrons pour leurs permis de séjour, exposées à des conditions de travail et de vie dégradantes et dangereuses, certaines de ces personnes sont même dans des conditions de semi-esclavage. Cependant, cette fois, la pandémie de Covid-19 à laquelle ces ouvriers ont été très exposés et les effets économiques des mesures de confinement, c’en fut trop pour eux. Et ils ont décidé de lever la tête et de se battre pour leurs droits.

Le gouvernement a très rapidement réagi. Avec un ton rarement conciliant, le ministre du travail qatari a déclaré qu’« en réaction au règlement tardif des salaires, un petit nombre de travailleurs expatriés ont organisé une manifestation pacifique dans la région de Msheireb le 22 mai (...) Suite à une enquête immédiate (le ministère) a pris des mesures pour garantir que tous les salaires seront payés rapidement dans les prochains jours ». Selon la presse, des sanctions ont été également prises contre les entreprises qui n’ont pas payé les salaires.

En effet, le Qatar se trouve en pleine phase de construction de plusieurs stades et d’infrastructures pour la Coupe du Monde de 2022 ; et il se trouve sous les regards du monde entier puisque plusieurs dénonciations ont été lancées pointant les mauvais traitements envers les travailleurs. Le gouvernement indien estime qu’entre 2012 et 2018, 1 678 de ses citoyens travaillant au Qatar, y sont morts ; le Népal dit y avoir perdu 1 025 des siens entre 2012 et 2017. Tout le monde sait que ces salariés sont exposés effectivement à des conditions de travail très dures, sous le soleil, parfois les températures atteignant 45 degrés !

Mais il y a une raison plus structurelle qui explique la promptitude de la part des autorités qataries à agir. Comme l’ensemble de ses voisins de la région du Golfe, le Qatar est un Etat basé sur un « modèle » de surexploitation de la main d’œuvre étrangère. Cependant, cela est en même temps l’un des points faibles du système car cela rend le pays complètement dépendant de cette main d’œuvre étrangère. On estime que 90% de la population qatarie est composée de ces travailleurs. En ce sens, une très dure répression et contrôle sur ces ouvriers et ouvrières migrants devient fondamentale pour prévenir toute contestation afin de préserver les privilèges des classes dominantes, des roitelets du pétrole et toutes ces castes parasitaires qui gouvernent les pays du Golfe.

Cependant, quand les travailleurs décident de se battre, défiant la répression, tout l’édifice est ébranlé. Les options s’ouvrent alors pour le régime. Une très forte répression, dans une situation économique très tendue, pourrait ouvrir une situation inouïe avec des milliers de travailleurs risquant de s’arrêter en solidarité. Le gouvernement a donc choisi la voie du dialogue, en tout cas pour l’instant.

Quoi qu’il en soit, la lutte de ces travailleurs est en train de révéler une profonde vérité : les capitalistes, qu’ils soient des princes ou pas, puisent leurs privilèges du travail des ouvriers et ouvrières. C’est également ce que sont en train de dévoiler les travailleurs migrants du service de ramassage d’ordures au Liban en lutte depuis fin avril pour leurs salaires (ils sont arrivés à un accord temporaire avec l’entreprise). Mais c’est aussi ce que la lutte des travailleurs agricoles étrangers pour leurs droits est en train de révéler en Italie, où la semaine dernière des milliers de grévistes ont arrêté les campagnes du pays.

Avec la chute du prix du brut, la crise sanitaire et la crise économique mondiale, la situation sociale dans les pays du Golfe va être soumise à une dure épreuve. Les 35 millions de travailleurs et travailleuses étrangers, surexploités, dispersés dans la région pourraient devenir un facteur important de contestation des régimes réactionnaires instaurés dans ces pays depuis des décennies avec le soutien et la complicité des puissances impérialistes. Mais les différentes contestations de ces travailleurs, même si elles restent petites et ponctuelles pour le moment, pourraient encourager des secteurs importants des populations nationales qui vont, elles aussi, subir le poids de la crise économique et de l’austérité. L’unité et la solidarité avec les travailleurs migrants sera fondamentale si les travailleurs « nationaux » de ces pays ne veulent pas se trouver à la remorque de factions réactionnaires des classes dominantes qui déclencheront ensuite leurs attaques contre eux. Une leçon qui est aussi valable pour les travailleurs dans les pays impérialistes d’Europe.


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