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Afrique

Egypte : le régime emprisonne et torture les opposants

Plus de 3000 personnes ont été arrêtées en moins d’un mois en Egypte, et des témoignages font état de tortures. C’est ainsi que le gouvernement du maréchal Al-Sissi tente de contenir la contestation sur fond de misère sociale et de musellement des droits démocratiques.

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Le coup d’Etat du 3 juillet 2013, mené par le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi, incarnait le zénith de la contre-révolution égyptienne. Un coup de force sanglant – l’armée massacrait alors plus de 2.600 manifestants opposés au coup d’Etat place Rabia El-Adaouïa – qui permettait à l’appareil militaire de sauver le régime ébranlé par la poussée révolutionnaire de 2011 et la chute de Moubarak, et de reprendre le pouvoir politique, avec l’abrogation de la Constitution de 2012 et l’élection d’Al-Sissi à la magistrature suprême, qui obtenait alors 96,1% des suffrages, un score qui en disait long sur la nature du scrutin...

Le régime d’Al-Sissi et la crise de l’impérialisme

Il est à ce titre édifiant de constater à quel point dans les périodes de crise – la séquence de lutte des classes dans la région dit des « printemps arabes » suivait de près le déclenchement de crise économique de 2008 – les classes dominantes sont non seulement réfractaires mais même incapables de concéder ne serait-ce que le moindre compromis social ou démocratique sans affrontements aigus. D’autant plus dans un pays comme l’Egypte, central pour le commerce mondial avec 8% du commerce international transitant par le Canal de Suez, et stratégique pour l’impérialisme de par sa position géographique dans le Grand Moyen-Orient.

La crise de 2008, véritable crise du projet néolibéral, n’a laissé d’autre choix à l’impérialisme et au régime égyptien – en proie à une crise monétaire en 2016 – que d’étouffer toutes les aspirations sociales et démocratiques exprimées en 2011 par les peuples de la région. Le sauvetage à tout prix du modèle néolibéral a signifié, en Egypte, la répression sauvage du mouvement populaire, et la mise en place d’un plan d’austérité drastique en 2016. Suppression des subventions sur l’énergie et les produits de première nécessité, dévaluation de la livre égyptienne et inflation à plus de 30% frappant de plein fouet le porte-monnaie des foyers dans un pays où un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté et un autre tiers est considéré « vulnérable » par la Banque Mondiale, privatisations des entreprises publiques dans le secteur bancaire, pétrolier, et immobilier, autant de mesures impopulaires qui ont pour effet d’effriter la base sociale d’Al-Sissi, perçu à juste titre comme la réincarnation de l’ancien régime que certains avaient eu l’illusion de voir tomber avec Moubarak.

« Les enfants de la révolution »

C’est dans cette contradiction que les manifestations de septembre trouvent leur origine, de même que la répression féroce d’un régime à bout de souffle qui ne dirige que par la matraque et le fusil. Depuis le coup d’Etat militaire de 2013, on estime ainsi qu’il y a plus de 60.000 prisonniers politiques dans les prisons égyptiennes. Et alors qu’une grande partie des militants qui avaient organisé la mobilisation en 2011 sont aujourd’hui en prison, en exil, ou en retrait craignant de disparaître à leur tour, les manifestants des 20 et 27 septembre sont plutôt jeunes et n’atteignent pas la trentaine, c’est-à-dire qu’ils étaient âgés de 8 à 15 ans en 2011, d’où le surnom des « enfants de la révolution ».

Pour le régime il s’agit donc, faute d’être en mesure de susciter l’adhésion, de créer la peur chez cette nouvelle génération. Plus de 3000 personnes ont ainsi été arrêtées depuis le 20 septembre, et l’usage de la torture est fréquent. Parmi eux, de jeunes militants donc, mais aussi les quelques activistes de 2011 qui osent encore sortir dans les rues, et des intellectuels et avocats. A l’image d’Esraa Abdel Fattah, bloggeuse et journaliste, cofondatrice en 2008 du mouvement du 6 février, qui avait organisé un secteur d’avant-garde de la jeunesse en allant soutenir les grévistes e la zone industrielle de Mahala, arrêtée le 13 octobre avec son avocat, accusée « d’appartenir à un groupe terroriste », de le financer, de « répandre de fausses nouvelles portant atteinte à la sécurité nationale » et d’« utiliser les médias sociaux pour commettre des délits de publication ». Battue par les forces de répression après son arrestation, pour avoir refusé de déverrouiller son téléphone, elle a été obligée à rester debout face à un mur pendant sept heures. Selon le Haut-Commissariat de l’ONU chargé des Droits de l’Homme, les gardiens de prison lui ont également bandé les yeux et lui ont fait traverser un couloir en la frappant au dos et au cou.

Les signes d’un régime à bout de souffle

Le 8 octobre dernier, le Premier Ministre, Mostafa Madbouly, était applaudi par les parlementaires égyptiens après un discours où il se félicitait en ces termes : « je veux féliciter les courageux policiers qui ont géré ce problème énergiquement. Nous n’avons eu vent d’aucune violation, ni de problèmes majeurs durant ces manifestations ». Niant donc les accusations de violences et mauvais traitements contre les manifestants, il continuait en vantant que : « les égyptiens n’admettront pas que le scénario du chaos se répète » en référence au soulèvement de 2011. Cependant, si ces arrestations semblent avoir temporairement étouffées le mouvement de contestation, tous les efforts du régime pour réprimer les opposants ne pourront fonctionner éternellement.

Et si les manifestations de fin septembre ont été imputées à Mohamed Ali, homme d’affaire égyptien en exil, ayant appelé à manifester pour dénoncer la corruption systémique en prétendant que « certains officiers seraient prêts à lâcher Al-Sissi ». La réalité est plus contradictoire, et fait plutôt penser à un mouvement de masse spontané. C’est à l’occasion d’un match de football, derby des équipes cairotes le vendredi 20 septembre, que des cortèges se sont formés dans les rues de la rive gauche du Nil, dans le quartier populaire de Ard Al-Liwa. Si le peuple avait peur de sortir manifester depuis tout ce temps, le voilà qu’il se retrouvait dans les rues, et en profiter pour exprimer sa colère.

Le soulèvement algérien, tout comme l’affaiblissement des deux principaux alliés de l’impérialisme américain au Moyen-Orient, Israël et l’Arabie Saoudite, semblent redonner de l’espoir aux peuples de la région, à l’instar du peuple égyptien, mais aussi libanais, et un second souffle aux « printemps arabes ». Et si, ce qu’il y a de plus tragique dans l’Histoire, ce n’est pas la barbarie des puissants, mais les espoirs trahis des opprimés, l’issue de ces affrontements dans ce nouveau cycle de lutte des classes qui s’ouvre sur la scène internationale, dépendra de la capacité des travailleurs à s’organiser en toute indépendance de classe, pour répondre aux aspirations sociales et démocratiques de l’ensemble des couches populaires, et à faire preuve de solidarité pour affronter le monde pourrissant des Trump, Macron, et autres Al-Sissi, afin de transformer les révoltes en révolutions, et les révolutions en victoire pour l’ensemble du genre humain.


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