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Enquête

Électricité coupée, serrures changées, racisme : à Bordeaux, le Crous intimide des étudiants pour les expulser

Depuis début septembre, 23 étudiants bordelais subissent les expulsions Crous. Face à la résistance de six d’entre eux, le Crous n’a pas hésité à déployer les pires méthodes d’intimidations. Enquête.

Yann Causs

16 septembre 2022

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Photo : site Crous Bordeaux

Depuis maintenant trois mois, un bras de fer oppose des étudiants bordelais au Crous qui veut les expulser de leur résidence universitaire. La situation commence fin juin, lorsque 8 étudiants recevaient l’ordre de quitter une des résidences universitaires pour cause de rénovation, sans solution de relogement. Sous la pression et les menaces d’entamer une grève de la faim, le Crous fini par leur délivrer un logement temporaire pour l’été jusqu’au 31 août.

Depuis cette date ils sont à nouveau menacés d’expulsion. Mais ils sont loin d’être les seuls. En effet, d’après nos informations, ce sont 23 étudiants qui depuis septembre ont été visés par une menace d’expulsion ou ont été expulsés par le Crous. Aujourd’hui, la majorité d’entre eux a déjà quitté sous la pression du Crous leur logement. Certains vivent à présent dans des squats ou sont hébergés chez d’autres habitants.

Pourtant, 6 étudiants résistent et ont refusé de rendre leurs clefs. Confinés chez eux par crainte que le Crous profite de leur absence pour les expulser de forces, ce que vivent ces étudiants depuis trois mois agit comme un révélateur plus global des méthodes difficilement imaginables auxquelles le Crous a recours dans la gestion des logements étudiants.

Un cauchemar qui a commencé dès juin

Le point de départ de cette affaire date en réalité de février. Alors que le Crous s’apprête à entamer la rénovation d’un des bâtiments insalubres, le village 6, pour l’été, l’institution envoie un questionnaire à ses habitants afin qu’ils puissent informer le Crous de leur volonté de conserver un logement en résidence universitaire durant cette période. C’est par ce même questionnaire que les étudiants apprennent que le village 6 fermera le 30 juin et que la durée de leur contrat est donc raccourcie de deux mois. Le début de la galère pour huit étudiants.

En effet, parmi eux, beaucoup sont confrontés à des erreurs administratives du Crous lors de demandes de relogement, que l’institution va utiliser pour justifier la menace d’expulsion actuelle. Un étudiant raconte : « J’avais tout rempli en temps et en heure mais j’ai été refusé. Même eux m’ont dit lors du rendez-vous que nous avons eu fin juin que c’était une erreur de leur part et que cela allait se régler. Aujourd’hui ils disent que je n’ai pas respecté la décision d’admission et le règlement intérieur : c’est incompréhensible pour moi. » Il fait aujourd’hui partie des six étudiants qui résistent au Crous.

D’autres étudiants font face à des propositions de relogement absurdes voire illégales. Karim, étudiant en situation de handicap raconte avoir refusé la proposition de relogement proposée pour des raisons médicales (un logement au 4ᵉ étage sans ascenseur alors qu’il est à mobilité réduite) et financière (le loyer passait de 148 à 248 euros). Le lendemain il reçoit la décision du Crous qui rejette sa demande de réadmission et le 17 juin une « sommation de déguerpir » des mains d’un huissier de justice.

De son côté, Aurélien, étudiant réunionnais, en 3ᵉ année d’informatique à l’université de Bordeaux s’est vu proposer fin août par le biais des services sociaux évoqué une chambre en location chez une personne âgée… pour plus de 600 euros ! « En réalité, ils ne nous ont jamais véritablement aidé, ils m’ont envoyé des sites et me disait de me débrouiller. Ils m’ont même proposé une auberge de jeunesse ! Ils ont fait un minimum pour pouvoir s’en laver les mains aujourd’hui ». En effet, aujourd’hui ces refus servent au Crous d’argument contre sa réadmission prétextant qu’il n’a pas respecté les procédures de renouvellement.

A ces étudiants menacés d’expulsion dès juin se sont ajoutés de nombreux autres étudiants à la rentrée. Et face à la résistance d’une partie d’entre eux, le Crous a choisi la manière brutale pour tenter de les expulser.

Changement de serrure, coupure d’électricité, harcèlement : le Crous opte pour l’intimidation

Depuis le début, cette affaire révèle l’acharnement incroyable dont est capable le Crous afin d’expulser des étudiants. Alors même que ces procédures sont extrêmement encadrées par la justice, le Crous déploie en effet des méthodes d’intimidations face à des étudiants qui dans la plupart des cas sont impuissants.

Depuis le début du mois de septembre, les exemples s’accumulent. « Le 2 septembre, le directeur du Crous nous a coupé l’électricité, alors que la loi dans ce genre de cas stipule qu’on ne peut que diminuer l’intensité de l’électricité. Ce sont des méthodes illégales » raconte un étudiant. Sans électricité dans leurs chambres, les étudiants ont dû improviser et trouver une solution pour suivre leurs études, en branchant par exemple leur ordinateur dans la cuisine.

Autre acte d’intimidation : le Crous a décidé de changer les serrures en profitant de l’absence des habitants. Alors qu’il revenait de l’Espace Santé le 5 septembre, Aurélien raconte ainsi avoir trouvé sa serrure changée : « Pour rentrer dans ma chambre, j’ai dû ruser, j’ai prétexté vouloir récupérer mes affaires pour que les agents du Crous m’ouvrent. Une fois à l’intérieur, je leur ai demandé de sortir de la chambre, j’étais dans mon droit de faire cela et ils le savaient, ils sont donc partis. Maintenant, je me retrouve avec une porte que je ne peux pas fermer, je reste donc par peur qu’ils n’en profitent pour vider ma chambre. Je ne vais plus en cours, sinon je suis à la rue. »

D’autres étudiants ont en effet retrouvé leurs chambres vidées par le Crous note Aurélien. Aurélien note : « pour vider un appartement, il faut faire appel à un huissier pour qu’il fasse un inventaire, ce qui n’a absolument pas été fait. »

Echange mail avec l’association ADIL (Agence Départementale d’Information sur le droit au Logement en Gironde) qui atteste de l’illégalité de ces méthodes

Des méthodes qui ont contraint les étudiants au confinement dans leurs chambres, d’autant plus que le directeur se prête à des portes à portes réguliers afin de vérifier que les étudiants soient présents. Des tournées qui se transforment souvent en moment d’intimidation. « Le directeur m’a pris mes clefs, plus tard, il est venu avec un technicien pour couper l’électricité, donc impossible d’assister aux cours à cause de lui. Je lui dis que j’ai une soutenance en M1 et il me dit qu’il s’en fout, il va passer tous les jeudi, c’est du harcèlement » raconte un étudiant. De son côté, une étudiante du Village 5 rencontrée sur le parvis de l’université Bordeaux Montaigne témoigne avoir entendu hurler le directeur sur les étudiants.

Un ensemble de méthodes qui poussent les étudiants dans des situations matérielles et psychologiques extrêmes. Un étudiant témoigne pour Révolution Permanente : « Je n’ai pas réussi mon année scolaire, ma demande de logement a été refusée sans raison et j’ai dormi pendant des semaines dehors. » Dans le même sens, Aurélien nous explique les conséquences de la situation : « c’est des niveaux d’angoisse que je n’avais jamais connu. Ne pas être sûr de savoir où on va dormir c’est angoissant. C’est vraiment la pression qu’ils mettent pour qu’on dégage, pour qu’on sorte, qui est vraiment insoutenable. Quand je ferme les yeux, j’ai l’impression que je m’évanouis, j’ai des hauts le cœur, ça me réveille, je dors à des heures pas possibles et depuis juin, on m’a prescrit du Xanax pour la première fois de ma vie. »

Des méthodes qui sont par ailleurs illégales puisqu’aucun avis d’expulsion n’a été délivré, seulement des « sommation de déguerpir ». Celles-ci se sont récemment calmées suite à la médiatisation de l’affaire dévoilant les méthodes. Exposé, le Crous a rétabli l’électricité dans les logements concernés et a remis les serrures initiales correspondantes aux clefs des étudiants. Par ailleurs, d’après nos informations, ce n’est que depuis le 12 septembre que le Crous a saisi le Tribunal Administratif, sans doute face à l’échec de ses intimidations.

Des expulsions au caractère discriminatoire

À tous ces éléments vient s’ajouter des suspicions de discrimination raciste et xénophobe de la part du Crous. En effet, la grande majorité des étudiants concernés sont étrangers et originaires d’Afrique et du Maghreb. Par ailleurs, l’ensemble des annonces d’expulsions depuis début septembre concerne des étudiants étrangers, le dernier étant un étudiant guinéen.

Une accusation qui a pris une autre ampleur depuis qu’un étudiant marocain expulsé a fait l’expérience de solliciter un logement après avoir créé un nouveau compte sur le site du Crous en changeant sa nationalité pour la nationalité française. « J’avais réussi à trouver un logement qui dépassait un peu mon budget, mais au dernier moment l’assistante sociale m’a laissé tomber. Elle avait trouvé quelqu’un d’autre à la dernière minute. Je crois que c’est parce que je suis marocain. J’ai créé un autre compte en changeant juste la nationalité et j’ai été accepté » raconte-t-il.

Un autre étudiant concerné que nous avons interrogé réagit à cette situation : « Avec la nationalité française, il a pu trouver des logements, chose que nous ne trouvons pas. Sur mon compte, quand je cherche il n’y a rien, ni sur Bordeaux, ni sur Talence, ni sur Pessac, rien. Ma question, c’est, s’il n’y a pas de logement comme on nous le dit, pourquoi vous acceptez la demande du compte français ? Là, il n’y a pas l’égalité. »

Stop aux expulsions, pour des logements et des conditions d’études dignes !

Ce bras de fer qui court depuis juin démontre de façon accablante les méthodes du Crous. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que celles-ci sont pointées du doigt. Déjà l’année dernière à Bordeaux, la direction du Crous avait interdit une distribution alimentaire auto-organisée par les étudiants du village 6, sur fond de multiples négligences et marques de mépris autour des signalements de l’insalubrité du logement. Par ailleurs, en janvier 2021, Streetpress dévoilait une affaire d’expulsion similaire à Lille.

Des affaires qui dévoilent le fonctionnement du Crous et la précarité des droits des étudiants en son sein. Ainsi, la législation appliquée au Crous n’est pas concernée par une protection aussi minimale que la trêve hivernale et une simple lettre de résiliation suffit à expulser des étudiants, y compris l’hiver. Des dispositions qui montrent comment l’État organise la possibilité de dégager les étudiants dès qu’il le souhaite et donc leur précarité.

Aujourd’hui, ils sont encore 6 à résister aux pressions du Crous dans leur chambre de 10 m², ils seront auditionnés le 27 septembre prochain par le Tribunal Administratif. Ils revendiquent légitimement leur relogement, ainsi que celui des 17 autres déjà expulsés depuis septembre. Face aux méthodes du Crous, leur victoire serait une démonstration et l’exemple d’une jeunesse précaire qui relève la tête et ne se laisse plus faire, il faudra donc être à leurs côtés !

Enfin, alors que les logements vides et vacants se comptent par dizaine de milliers - 24 000 rien que sur la ville de Bordeaux selon le dernier rapport de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) réalisé en 2019 -, le recours à de telles expulsions est un choix politique. Cette pratique doit être immédiatement interdite, de même que les logements vides doivent être réquisitionnés afin de garantir un logement digne à toutes les personnes qui en ont besoin.

Contacté par Révolution Permanente, le Crous n’a pas répondu à nos propositions d’entretiens.


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