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Guerre en Ukraine

Embargo de l’UE sur le pétrole russe : un accord qui ne peut pas cacher les divisions

Au terme de deux jours d’un sommet européen extraordinaire, l’accord sur le sixième paquet de sanctions contre la Russie a été conclu. Prévoyant notamment un embargo sur le pétrole russe, il est néanmoins révélateur des tensions qui divisent l’UE.

Joël Malo

1er juin 2022

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Crédits photo : AFP

Plus de trois mois après l’agression russe en Ukraine, l’enlisement du conflit engendre de fortes perturbations économiques et secoue l’équilibre mondial, pendant que les risques d’une catastrophe alimentaire planétaire s’accentuent. Dans ce contexte, les 27 membres de l’Union Européenne se réunissaient pour un sommet extraordinaire les 30 et 31 mai pour conclure l’accord autour du sixième paquet de sanctions contre la Russie. L’accord prévoit entre autres de débrancher la principale banque russe, Sberbank, et deux autres banques, du système de communication financière Swift, l’interdiction de la diffusion dans l’UE de trois radios russes ainsi qu’une extension de la liste des personnalités sanctionnées.

Un sommet traversé par des tensions internes autour des sanctions

Surtout, après avoir sanctionné le charbon russe lors du cinquième train de sanctions, le nouvel accord prévoit un embargo sur le pétrole russe. Les désaccords sur cette question, polarisés autour de la Hongrie, fermement opposée à cette mesure, auront paralysé pendant plusieurs semaines l’UE. En effet, l’unanimité des 27 membres étant obligatoirement requise pour l’adoption des sanctions, la seule opposition de Viktor Orbán aurait suffi à empêcher la validation du sixième train de sanctions. Or, la Hongrie, qui est dépendante à 80 % du pétrole russe, ne semblait pas prête à céder.

Mais un échec des négociations aurait constitué un revers pour l’UE, et les chefs d’État et de gouvernement ont finalement fini par trouver un compromis, en exemptant jusqu’à une durée indéterminée la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie. Dans un premier temps, l’embargo sur le pétrole ne concernera que celui acheminé par voies maritimes, soit plus de deux tiers des importations de pétrole russe en Europe. Sont donc exemptés les États membres n’ayant pas d’accès à la mer comme la Hongrie mais aussi la République tchèque et la Slovaquie, qui sont approvisionnés par oléoduc. L’extension des sanctions aux oléoducs sera discutée plus tard. L’accord prévoit par ailleurs une garantie pour la Hongrie par voie maritime en passant par les ports croates sur l’Adriatique. Quand ces pays devront-ils mettre en œuvre les mêmes sanctions que les autres pays de l’UE ? « Le plus vite possible » répond de manière floue la présidente de la Commission Européenne, traduisant le fait que cet accord a paré au plus pressé et que de nombreux détails restent à régler.

Si selon Ursula Von der Leyen, « cet accord réduira effectivement environ 90 % des importations de pétrole Russe vers l’Union européenne d’ici la fin de l’année », ce dernier constitue en réalité une importante concession au regard des volontés de départ de l’UE. De cette manière se dessinent deux attitudes vis-à-vis des sanctions : celle de la France, de l’Allemagne et de l’Italie favorable à l’arrêt des combats et à des négociations rapides quitte éventuellement à pousser l’Ukraine à des concessions territoriales, et celle des pays qui cherchent à faire payer le prix cher à la Russie, à l’image de la Grande-Bretagne, de la Pologne et des États baltes.

Ces derniers ont récemment émis des critiques à l’encontre des dirigeants français et allemands pour avoir discuté avec Vladimir Poutine du déblocage des ports ukrainiens. En toile de fond, ce sont différentes positions face aux convulsions économiques à venir qui se font face, au sein même du camp occidental. Le blocus imposé par la flotte russe en mer noire est à l’origine des pénuries, des tensions commerciales et douanières, et de la spéculation sur le cours des céréales qui risquent de créer des situations d’insécurité et de crise alimentaire dans les pays les plus pauvres de la planète.

Il est évident que les sanctions européennes sur le pétrole russe vont se répercuter sur le coût du pétrole pour les pays européens, mais aussi sur les cours mondiaux. Les pays de l’Union européenne vont devoir aller chercher leur pétrole en Asie ou au Moyen-Orient, avec des temps de transports plus coûteux, et des prix plus élevés que le pétrole russe. Et ce, alors même que les chaînes logistiques mondiales sont saturées, en partie par une hausse de la demande, en partie par une volonté de faire monter les coûts de la part des transporteurs en restreignant leur offre. Il en va de même de la part des pays de l’OPEP qui profitent de tarifs élevés du pétrole, et n’ont aucune envie d’augmenter les quantités produites. De la même manière, la Russie a pour l’instant compensé la baisse de ses exportations par des prix élevés qui lui ont assuré des revenus importants. Elle peut même se permettre de faire des remises sur le prix du baril (si le Brent se négocie autour de 120$ le baril, la Russie le vend autour de 90$) espérant ainsi gagner des contrats notamment vers l’Asie qui compenseront en partie seulement l’arrêt des importations européennes.

Au-delà des problèmes d’acheminement, il y a aussi une nécessité d’adaptation des infrastructures de raffinage pour le pétrole du Golfe persique plus léger. Cette nécessité d’adaptation se lit dans le rythme d’application des sanctions sur l’importation de pétrole russe : d’ici six mois pour le pétrole brut, d’ici huit mois pour les produits raffinés.

Enfin les dérogations prévues pour certains pays font grincer quelques dents au sein de l’Union européenne et font craindre aux plus fidèles tenants des règles du marché unique, une concurrence déloyale entre des pays pouvant se fournir en pétrole moins cher que les autres. Les pays les plus orthodoxes en la matière sont essentiellement les tenants d’une ligne plus dure face à Moscou, et certains, à l’image de la Pologne, la Finlande, la Bulgarie, les Pays-Bas ou le Danemark sont allés plus loin et ont déjà arrêté leurs achats de gaz à la Russie. Le gaz, prochain dossier de sanctions qui sera sur la table de l’UE, mais qui risque d’accentuer encore les divisions entre les membres de l’UE. D’autant que des dérogations en appellent d’autres, la Grèce, Malte ou Chypre obtenant ainsi l’abandon de certaines sanctions sur l’accueil de bateaux russes dans les ports de l’UE.

Derrière l’explosion des prix, la menace d’explosions sociales

Dans la zone euro, l’inflation a grimpé jusqu’à 8,1 % le mois passé, notamment portée par la hausse des prix de l’énergie qui se répercutent sur de nombreux autres biens de consommation. D’ici à l’été, le cours du baril pourrait atteindre selon certaines estimations les 150$. L’inflation crée déjà une contraction de la demande, et menace les économies européennes de tendances à la récession. Si pour le moment, la hausse des prix grignote déjà le salaire réel de millions de travailleurs, une récession impliquerait une baisse de l’activité, et donc des coupes plus sèches dans le budget des classes populaires : chômage partiel, fermetures d’usines, licenciements, chômage tout court !

Une dynamique de grèves pour les salaires se fait jour dans les pays européens. Nous les documentons quotidiennement en France mais cette tendance est notable, pour ne prendre que des exemples partiels, en Allemagne également où le syndicat IG Metall menace de la grève pour des hausses de salaires, les cheminots britanniques se préparent à une grève qui pourrait être historique, des blocages routiers massifs ont eu lieu en Espagne fin mars etc. Tous les dirigeants capitalistes ont en tête qu’il n’a pas fallu d’augmentations aussi importantes pour qu’explose le mouvement des Gilets jaunes à la fin 2018. Les deux années précédant la pandémie ont été ponctuées de révoltes qui ont commencé à cause de l’augmentation des prix du carburant, au Liban, en Irak, en Equateur, au Chili il s’agissait du prix du ticket de métro. Sauf qu’aujourd’hui la hausse des prix est généralisée, et touche tous les produits de première nécessité.

Même si la Russie peut trouver des marchés de substitution, notamment vers les économies asiatiques, les sanctions successives, le coût de la guerre, et désormais les sanctions européennes sur le pétrole ont des impacts sur les conditions de vie de la population. L’économie russe n’est pas encore au sol, comme le souhaitait Bruno Le Maire début mars, mais la perspective d’une guerre qui s’enlise, est aussi une promesse de nouvelles sanctions plus lourdes. La récente enveloppe étasunienne de 40 milliards de dollars, l’envoi d’armes toujours plus puissantes sont le signe d’une volonté d’aller plus loin dans la volonté d’affaiblir la Russie. Mais tout cela ne peut assurer aucunement que Poutine mette fin à la guerre, au contraire cela pourrait approfondir la violence et brutalité de celle-ci.

En parallèle du conflit militaire barbare que livre la Russie à l’Ukraine, les États impérialistes livrent une guerre économique d’ampleur à la Russie, dont les sanctions et contre-sanctions touchent en premier lieu la population russe et les populations des pays dépendant du commerce agricole et/ou énergétique avec la Russie. Ce sont des centaines de millions de personnes à travers la planète, qui subissent les contrecoups de cet affrontement et voient leur niveau de vie se dégrader, qui affrontent les pénuries ou même voit ressurgir le spectre de la famine. Les sanctions de l’Union Européenne ne sont en aucun cas des mesures prises pour la paix ou la liberté d’aucun peuple. Il ne s’agit pas non plus de sacrifices auxquels les classes populaires de l’Union Européenne devraient consentir par solidarité avec les Ukrainiens. Il s’agit de mesures réactionnaires et anti-ouvrières qui visent à mettre le Russie à genoux, peu importe le prix que devront payer les classes ouvrières et populaires de tous les pays, et qui au lieu de la paix n’ont jamais amené que la misère.


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