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Blanquer démission

« Embaucher 8000 précaires en première ligne, c’est du mépris ». Camille, professeure des écoles

Jeudi 13 janvier, face à la colère dans les écoles, Blanquer a tenté d’éteindre le feu avec l’annonce de 8000 embauches de contractuels et l’ouverture des listes complémentaires dans le premier degré. Quelle est la valeur de ce recrutement ? Camille, professeure des écoles dans le 93 et militante à SUD éducation a accepté de répondre à nos questions.

Louis McKinson

15 janvier 2022

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Révolution Permanente : S’il ne devait y avoir qu’une seule vraie satisfaction dans ce qu’a lâché le gouvernement face à la grève de jeudi, c’est l’ouverture des listes complémentaires, peux-tu nous expliquer de quoi il s’agit et pourquoi c’est important ?

Camille : Moi je suis professeur des écoles à Saint-Denis dans une REP+ et ce dont on souffre le plus dans le premier degré c’est du manque de moyens pour les remplacements depuis des années, et ça s’est accentué avec la crise sanitaire. Avant, après chaque session de concours, on ouvrait une liste complémentaire. Elle regroupait sur une liste d’attente tous les gens qui n’étaient pas admis par rapport au nombre de places du concours mais qui pouvaient être appelés, au fur et à mesure, pour répondre aux besoins. Et donc qu’on était amené à titulariser fonctionnaire. Ils ont fermé cette liste complémentaire il y a quelques années parce que ça générait un surcout et maintenant ils ne font plus qu’appel à des contractuels. Dans le département on a que des contractuels pour assurer les remplacements. Dans le premier degré, dans le 93, on en a 700, et donc avec des contrats ultra précaires.

Révolution Permanente : C’est quoi le besoin réel en matière de remplacements ? Quelle différence peuvent faire les embauches annoncées ?

Camille : Nous on a chiffré un besoin d’environ 1000 remplaçants en plus dans le premier degré. Voilà pourquoi on réclame l’ouverture de cette liste depuis des années et pourquoi, oui, clairement, c’est une bonne nouvelle. Mais Blanquer n’a pas du tout chiffré à combien elle va s’élever, combien de personnes seront recrutés sur cette liste complémentaire, on n’en sait rien. Ou plutôt, comme on a sabré ces listes et qu’on ne comptaient plus sur eux, il y a en fait fort à parier que ce sera encore très insuffisant. Globalement pour le remplacement, il a annoncé le recrutement de 3300 contractuels, pour toute la France. Mais, pour te donner une idée et répondre à ta question, rien que dans le 93, il nous manque, comme je te disais : environ 1000 remplaçants dans le 1er degré, mais aussi 3000 postes en collèges et 3000 postes en lycée. Donc voilà (rires) : même si on mettait le chiffre national rien que dans le 93 ce serait carrément insuffisant, donc 3300 postes dans toute la France c’est n’importe quoi. Et en plus ce ne sont que des contractuels.

Révolution permanente : Et dans le 93, à côté du manque de moyens de remplacement, et peut-être dans le premier degré en particulier, vous manquez de quoi d’autre ?

Camille : Clairement notre premier problème c’est le manque de remplacements, mais ils nous manque aussi des postes de RASED ( Le réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté ). Pour rappel, c’est un pôle avec trois enseignants spécialisés : un enseignant spécialisé pour les difficultés d’apprentissage, un à dominante rééducative et un ou une psychologue scolaire. Les gouvernements successifs depuis 15 ans ont complètement décimé les RASED. On en a presque plus dans les écoles dans le 93. Les enseignants spécialisés pour les élèves en difficulté d’apprentissage on en a un pour huit écoles, c’est que dalle. Les enseignants spécialisés à dominante éducative c’est un pour dix écoles, et des psychologues scolaires, on en a presque plus. Ce dont on manque aussi cruellement c’est d’assistantes sociales. On est sur un territoire complètement abandonné, où il y a des problématiques socio-économiques supérieures. Sauf que des assistantes sociales il n’y en tout simplement pas dans le premier degré, et dans le second degré, elles ont été décimées. Il y a plein de bahuts qui n’ont pas du tout d’assistante sociale. Donc ça il n’en parle pas, il n’a pas parlé non plus des infirmière scolaires… or, pareil, y’en presque jamais dans les bahuts.

Révolution Permanente : Je reviens aux 3300 contractuels et aux remplacements, on a compris que les 3300 contractuels annoncés sont dérisoires quantitativement, mais la question se pose également de savoir de quel type d’embauche on parle.

Camille : Et bien c’est des contrats précaires, c’est des CDD mal payés, pas formés. Ils sont balancés dans les classes comme ça. En plus, ils et elles sont sommés d’obéir, de se taire, de ne pas faire grève, parce qu’à tout moment on peut rompre leur contrat. Des fois, ils sont embauchés pour des périodes de quelques semaines. Tu es vraiment ultra précaire. Et puis voilà, là il va les embaucher pour la période de la crise et quand la crise sera terminée, il va les éjecter.

Révolution Permanente : C’est quoi la période Banquer pour les écoles ?

Camille : Moi ça fait 10 ans que je travaille dans l’Éducation nationale et d’année en année je vois l’école publique se dégrader, mais là les 5 ans de Blanquer, ça a vraiment été une catastrophe. J’ai jamais vu ça en terme de conditions de travail, en termes de manque de moyens humains, de manque de remplacements. Par exemple, en début de carrière, quand j’étais absente, j’étais remplacée. Mais en fait, là, systématiquement, je ne le suis pas, je ne suis jamais remplacé. Donc les élèves ils sont sur le carreau tout le temps, les élèves perdent des heures, des heures et des heures de classe tout le temps. Le défenseur des droits avait fait une étude dans le 93 il y a quelques années, à cause du manque de remplacements les élèves perdent environ, dans leur scolarité, une année, l’équivalent d’une année entière de scolarité. C’est vraiment dégueulasse. Il y a ça, il y a le recrutement massif de contractuels. Pareil, quand je suis arrivé, il n’y avait pas de contractuels il y a 10 ans dans le 93, aujourd’hui on en a 700 ! Et je t’ai dit il n’y plus de Rased, plus de psychologues scolaires, plus d’infirmières scolaires, on n’a pas de médecin scolaire. Il y a même plus de médecine de prévention pour les enseignants du premier degré. La dernière médecin du travail elle a démissionnée il y a quelques semaines. Aujourd’hui l’école publique elle est vraiment complètement exsangue et laissée à l’abandon. Et particulièrement dans le 93 et là où il y en a le plus besoin (parce que nos élèves sont les premières victimes de la crise économique et des politiques libérales).

Révolution permanente : Il y avait beaucoup de petites mains de l’éduc en grève ce jeudi, et on sait que pour beaucoup ce sont eux qui tiennent les écoles à bout de bras.

Camille : Bah c’est ça ! Et on n’a pas parlé des AESH (les accompagnants d’élèves en situation de handicap).

Révolution Permanente : C’est quoi leur situation à l’heure actuelle ?

Camille : Elles sont hyper précaires, c’est pratiquement que des femmes, dans des situations sociales compliquées, souvent racisées également. Elles sont payées 800 euros par mois alors qu’elles font un temps plein. Enfin, elles font 24 heures par semaine mais ce n’est pas considéré comme un temps plein. Elles bossent comme des malades. En plus aujourd’hui ce qui se passe c’est qu’on mutualise les moyens dans des PIAL (pôles inclusifs d’accompagnements localisés) qui regroupent plusieurs établissements.

Révolution Permanente : tu peux nous expliquer ce que les PIAL ont changé ?

Camille : Avant, les élèves avaient une notification avec un nombre d’heures d’AESH qui leur était destiné. Maintenant avec les PIAL on n’alloue plus un nombre d’heure on notifie juste « AESH » et chaque pôle divise ses AESH par le nombre d’enfants en situation de handicap dans les établissements qu’il regroupe. Donc tu fais deux heures dans tel école, 3 heures dans tel autre, et 2 heures dans tel collège, etc. Et comme ça on dit « tous les élèves en situation de handicap sont pris en charge ». Alors qu’ils ne sont pris en charge qu’à raison de quelques heures chacun. Ça ne répond pas à l’aide dont ils ont besoin. Et les AESH sont baladées sur plusieurs établissements. Ça dégrade considérablement leurs conditions de travail, c’est épuisant, elles sont dans plusieurs équipes etc. et tout ça payé au lance-pierre : elles sont payées 800 balles ! Pour la plupart elles sont obligées de faire un double emploi ; elles sont obligées de faire des cantines le midi ; elles ont même pas le temps de bouffer. A ce niveau-là c’est de la maltraitance. De manière générale on précarise tous les métiers de l’enseignement pour faire des économies, il [Blanquer] est en train de défoncer l’école publique. Et il met en danger la santé élèves et la santé des personnels.

Révolution permanente : On a bien vu que les revendications de jeudi débordaient largement du cadre d’une grève sanitaire, la colère de la base tu la vois perdurer ?

Camille : Ce qui est sûr c’est que la colère elle est là, elle s’est manifestée dans la rue jeudi. On voit que Blanquer recule et que c’est le moment pour amplifier la mobilisation et taper fort. En tout cas faut pas s’imaginer que les petites annonces d’hier soir elles vont calmer les collègues. 8000 embauches de précaires en première ligne c’est du mépris en fait, il ne sait faire que ça de nous mépriser.

Révolution permanente : Surtout qu’en laissant les écoles ouvertes aujourd’hui, on a l’impression que Blanquer fait tout pour le medef et rien pour l’école, tu partages ce sentiment ?

Camille : Bien sûr, il l’a bien dit de toute façon, il veut laisser les écoles ouvertes coûte que coûte en nous faisant croire que c’est pour le bien être des élèves. Avec Sud, on n’a jamais revendiqué la fermeture des écoles, mais ça fait deux ans qu’on réclame des moyens supplémentaires pour faire face. En deux ans ils n’ont pas été capable de nous fournir des masques, de nous fournir du gel hydroalcolique, des capteurs de CO2, et surtout de recruter massivement des personnels titulaires - pour les remplacements, et travailler en effectifs réduits, comme il le faudrait pour gérer les dédoublements de classe tels qu’on les a connus dans le second degré. Faute de ça, en ce moment dans les écoles, ça ne ressemble à rien. Déjà il y a plein d’enseignants qui sont covidés, et pas remplacés, donc ces élèves là ils doivent rentrer chez eux - notamment parce qu’on n’a pas le droit de les brasser et de les mettre dans d’autres classes. Donc eux ils sont à la maison. Et dans les classes où l’enseignant est présent, il y a la moitié des élèves qui sont absents. Donc oui, clairement, on sait très bien que c’est pour faire fonctionner l’économie capitaliste, on n’est pas dupe de ça, l’école elle ne ressemble à rien en ce moment. C’est des vrais clusters. Ils mettent tout le monde en danger là.

Révolution permanente : Une dernière chose à dire sur les annonces gouvernementales ?

Camille : Il y avait aussi la question des reports des examens. Parce que tu sais qu’en ce moment, là, c’est les évaluations de CP, les évaluations nationales. Ça aussi c’est une mesure phare de Blanquer : évaluer les gamins en CP. Donc mettre en compétition les gamins, les mettre dans des situations de stress. Avec des compétences comme le syllabique en lecture qui correspond à une pédagogie totalement obsolète, rétrograde et conservatrice. Et donc ces évaluations, elles sont nationales, elles sont obligatoires, et elles sont passées pour une partie en septembre et pour l’autre en janvier. Donc là, dans cette cacophonie générale, on est censé mettre les élèves de CP en situation d’évaluation pendant des heures, en plus pour leur faire passer des évaluations hyper longues et sur une semaine d’épreuves. On parle bien d’enfants de 6 ans. Et cette question du report s’impose aussi pour les épreuves du brevet et du bac.

NB : Les évaluations de mi-CP ont finalement été reportées suite à la réunion du ministre avec l’intersyndicale.


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