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En Équateur, des cadavres jonchent les rues

« S’ils ne coopèrent pas, nous devrons décider de qui vivra ou mourra » a déclaré le vice-président face au non respect du confinement. En Équateur, la crise sanitaire met en évidence la gravité des politiques néolibérales qui ont détruit les services de santé.

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Dans la deuxième ville d’Equateur, Guayaquil, les cadavres s’accumulent dans les rues

En Equateur, depuis quelques jours des témoignages effroyables se multiplient sur les réseaux sociaux : des corps qui s’accumulent dans les maisons, les rues, que personne ne vient chercher. Dans les hôpitaux, on voit des cadavres entassés dans des containers se situant à proximité des patients.

L’Equateur est le pays d’Amérique Latine le plus proportionnellement touché par la crise du coronavirus et le deuxième le plus touché après le Brésil. C’est pourtant le troisième pays le plus petit d’Amérique Latine. La ville de Guayaquil est l’épicentre de cette crise. Ce vendredi matin, le vice-ministre de la santé a annoncé un chiffre de 3747 cas confirmés de coronavirus dans le pays. La province de Guayas dont la ville est le chef-lieu concentrait hier 2524 cas. Guayaquil concentre 25 % de la population urbaine du pays et la majorité des cas dans le pays.

Un cauchemar sanitaire

Dès le 15 mars, le gouvernement annonçait des mesures de confinement, mais en quelques jours, la ville a vu ses services de santé et ses services funéraires saturés. Beaucoup de personnes malades sont renvoyées chez elles, faute de lits et de personnel pouvant les recevoir. Une infirmière en colère déclare : « Nous sommes partis en guerre sans armes », alors que 80 de ses collègues ont été infectés et que 5 sont décédés. Selon la profession, c’est 45 médecins qui seraient morts pendant la période. Le débordement des systèmes de santé provoque également la mort de personnes souffrant d’autres pathologies n’ayant pu être soignées.

Entre le 23 et le 30 mars, selon les chiffres de la police nationale, 300 corps ont été récupérés dans les rues de la ville. Ceci étant bien sûr un chiffre bien en deçà de la situation réelle, un grand nombre de corps gisant encore dans les rues. Des images montrent des familles attendant que le corps d’un de leur proche emballé de manière précaire et exposé au milieu de leur pièce de vie soit récupéré. On voit également des groupes abandonnant des corps dans les rues de peur qu’ils contaminent le reste du foyer. Face à une pénurie de cercueils en bois, on utilise des cercueils en carton comprimé, et certains ont dû se résoudre à verser de la chaux vive sur les corps de leurs proches pour ralentir la putréfaction. Dans les quartiers les plus pauvres, les situations de promiscuité et la chaleur entretiennent une angoisse insoutenable.
 

Pandémie dans un contexte sanitaire et social dramatique

Ainsi, nous pouvons nous interroger sur les raisons de la disparité en matière de cas testés positifs entre cette ville de Guayaquil et le reste de l’Equateur. Selon la chercheuse équatorienne Gabriela Ruiz Agila, la pandémie se serait répandue à partir des secteurs les plus fortunés de la ville revenant des Etats-Unis et d’Europe, épicentres de diffusion du virus. La ville est marquée par les inégalités sociales, avec la présence d’un contraste flagrant entre de riches commerçants et de larges cordons de pauvreté, où beaucoup vivent exposés aux pires conditions sanitaires et d’exclusion. L’épidémiologiste Esteban Ortiz, pointe particulièrement les fortes migrations entre l’Equateur et l’Espagne. Beaucoup de travailleurs en Espagne viennent en vacances pendant le mois de février. Par ailleurs, quand l’épidémie a atteint l’Europe, beaucoup d’étudiants aisés ont décidé de rentrer en Equateur.

Alors que l’épidémiologiste équatorien Estaban Ortiz regrette que les mesures de confinement n’aient pas été respectées, cela semble bien compliqué dans un pays où 60 % de la population vit du secteur informel. Les personnes sont obligées de sortir travailler si elle veulent subvenir à leurs besoins et ceux de leur famille. A Guayaquil, une grande partie de la population vit dans des conditions sanitaires précaires, avec certains quartiers qui n’ont même pas accès à l’eau potable.

Culpabilisation et répression comme réponse du gouvernement

Face à l’impossibilité pour un grand nombre de personnes de rester chez elles, le vice-président Otto Sonnenholzer a déclaré « S’ils ne coopèrent pas, nous devrons décider de qui vivra ou mourra » en ciblant les vendeurs ambulants. Les rues de la ville ont été militarisées avec une répression féroce. Des vidéos montrent des personnes se trouvant dans la rue fouettées pour ne pas avoir respecté le couvre feu. Aucune mesure sociale structurelle de prévention massive n’a par ailleurs été mise en place.

Pas de budget pour la santé, mais remboursement de la dette

En pleine crise sanitaire et contre les demandes de l’Assemblée Nationale, le gouvernement équatorien décide de rembourser une partie de la dette au FMI. Ceci représente plus de 324 millions de dollars. Le gouvernement s’est aussi engagé à rembourser 1200 millions dans le mois qui vient, ce qui représente dix fois le budget de la santé. D’autres pays, comme l’Argentine, avaient au contraire annoncé qu’ils gelaient les remboursements le temps de la crise sanitaire et économique qui va se poursuivre.

Alors que l’Equateur hérite d’une politique de démantèlement du service public depuis l’élection de Lenin Moreno, le 27 mars un groupe de médecins avait demandé le renforcement des politiques au service de la santé. La ministre de la santé avait alors avoué qu’il y a avait un manque de moyens pour affronter la crise. Ainsi, pendant que le gouvernement rembourse sa dette au FMI, ce qui a permis aux élites financières de spéculer sur le prix des bonds de la dette - puisqu’ils ont quadruplé entre le moment où l’Assemblée Nationale a demandé le remboursement et la décision du gouvernement de payer - le ministère public ne vient pas chercher les cadavres dans les rues.

C’est le même Fonds Monétaire International qui avait imposé un plan d’austérité en échange d’un prêt de 4,2 milliards de dollars pour mettre fin a la récession. Ceci avait provoqué il y a quelque mois un soulèvement des travailleurs, des populations autochtones et de la jeunesse - après la mise un place d’une décret réduisant les subventions en matière de carburant - réprimé dans le sang.

Aujourd’hui, comme à l’échelle internationale, après la répression, le gouvernement fait appel à des volontaires dans le secteur de la santé. Ceci alors que depuis 2018, plus de 2000 postes ont été supprimés dans ce secteur.

Dans les pays impérialistes, tels que la France, alors que le système de santé reste encore un des plus dotés du monde, un grand nombre de morts auraient pu être évité ; si l’hôpital n’avait pas été dépecé depuis des années ; ou encore si des mesures adéquates telles que l’arrêt de la production dans les secteurs non essentiels étaient envisagées. La situation de l’Equateur révèle les conséquences démultipliées de l’avancée de la pandémie dans les pays dominés, qui doivent faire face à des mesures d’austérités imposées, des systèmes de santé fragiles et des secteurs entiers de la populations qui vivent dans l’informalité. 

Crédits : AFP / Enrique Ortiz


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