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Face aux polémiques et aux mobilisations, Darmanin joue la carte de la réforme de la police

Auditionné par les députés face à l’accumulation des violences policières et en réaction à l’importance de la contestation engendrée par le vote de la Loi Sécurité, Darmanin a avancé des éléments de réformes et consenti à ouvrir le débat. Une manœuvre qui vise à calmer la colère exprimée dans la rue et jusque dans sa propre majorité présidentielle.

Nathan Deas

2 décembre 2020

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Crédits : Capture écran LCP

Un gouvernement en crise qui cherche à calmer la colère

Près d’une semaine après le vote de la proposition de loi « sécurité globale » à l’assemblée nationale, le ministre de l’intérieur était convoqué lundi 30 novembre pour une audition devant la commission des lois à l’Assemblée nationale. Dans la continuité de l’annonce par le gouvernement de l’abandon sur la forme de l’article 24, Darmanin dit avoir entendu les inquiétudes et reconnu qu’il y avait « peut-être des problèmes structurels qui ne datent pas d’hier » au sein de l’institution policière.

Une réponse à la double crise que connaît le gouvernement, par le bas ce sont des centaines de milliers de manifestants qui ont exprimé samedi dernier leur rejet du projet de loi, et par le haut puisque jusque dans sa majorité l’offensive sécuritaire et autoritaire du gouvernement peine à convaincre.

« Les sept péchés capitaux de la police »

Le ministre de l’intérieur a commencé son audition par l’identification de « 7 péchés capitaux » dans la gestion des forces de l’ordre par les gouvernements précédents. Du [Violences policières. Ce qu’il faut retenir de l’audition de Gérald Darmanin à l’Assemblée (ouest-france.fr)] « peu de formation que nous offrons à nos policiers », au « fait qu’il n y a pas assez de chefs » en passant par les problèmes de « matériel » et des « des images », la « question des inspections » ou encore le sous-dimensionnement des effectifs de maintien de l’ordre, Darmanin aura tenté d’expliquer les violences policières par des problèmes matériels, rejouant le topos suranné d’une police en sous-effectif et désarmée.

Réformer l’institution policière pour la renforcer

Pour pallier à ces manquements, après les avoir identifiés le ministre a ouvert la potentialité d’un débat vers une réforme de la police expliquant que « Comme toute institution, elle mérite évidemment d’être regardée, interrogée, discutée, améliorée » et égrené une série de propositions allant en ce sens. Des suggestions qui loin d’opérer un basculement visent en réalité à renforcer l’institution policière et sa capacité de répression.

Au lendemain d’une week-end marqué par une très forte mobilisation contre la loi Sécurité Générale et dans la continuité de la séquence entamée cet été de lutte contre les violences policières, le ministre de l’intérieur aura refusé de partager le constat « d’un divorce » entre la police et la population et cette audition aura été pour Darmanin, l’occasion de réaffirmer un « lien de confiance » : « Il y a sans doute, non pas à renouer, ce fil n’a jamais été perdu, mais il y a à faire comprendre les difficultés que peuvent vivre les policiers et à comprendre aussi comment, aujourd’hui, la population souhaite l’exercice de la force légitime. ».

En ce sens l’enjeu est donc de« donner à la police et la gendarmerie nationale les moyens qu’on exige d’eux » alors même que le budget de l’intérieur a pourtant connu d’importantes hausses ces dernières années, et notamment de 325 millions d’euros en octobre de cette année. Dans la même lignée, le ministre de l’intérieur a annoncé la généralisation des caméras-piétons sur les policiers, et préconisé de porter à 30 000 le nombre de policiers réservistes. Si la rhétorique de Darmanin a évolué, jusqu’alors elle consistait à expliquer les violences policières par des comportements individuels problématiques, le fond reste identique. Ainsi l’analyse de « de problèmes systémiques » doit servir pour le ministre à la consolidation matérielle de la force de répression policière.

En ce qui concerne l’IGPN, au centre des critiques actuellement, le ministre s’est dit « le sujet n’est pas tant l’IGPN que les décisions que prend le pouvoir exécutif quand elle fait des recommandations ». Et s’il a dénombré un certain nombre de propositions : nomination d’une personnalité extérieure à la police à sa tête, fusion avec les autres inspections du ministère, il s’agissait une nouvelle fois pour le ministre de défendre l’institution policière :« je ne supporterais pas qu’on attente à l’institution à l’institution, de la police et de la gendarmerie qui font un travail considérable », affirmant à nouveau au sujet de l’article 24, « je ne suis pas fétichiste des numéros [d’articles de lois]. En revanche je suis fétichiste de la protection des policiers et des gendarmes ».

L’illusion de la réforme de la police

Si Darmanin a répondu aux sondages montrant une dégradation de la confiance envers la police par l’identification de l’institution et de ses hommes au peuple :« Les gardiens de la paix sont rarement des enfants de PDG, beaucoup vivent dans des logements sociaux, certains dans leur voiture. Quand ils retirent leur uniforme, ils sont le peuple », pour autant le problème n’est pas de forme mais de fond à savoir le rôle structurel que joue la police. En réalité la police n’a pas d’autre rôle que de maintenir un ordre profondément inégalitaire, injuste et rajuste au profit des classes dominantes. A la lumière des expériences historiques, nous devons défendre l’idée que les policiers ne sont pas des travailleurs comme les autres, mais les garants de l’ordre établi, ce sont les policiers qui répriment les grèves et dans les quartiers populaires, qui servent de rempart à l’état bourgeois. En ce sens toute tentative de réforme de l’institution policière ou de condamnation individuelle des policiers ne peut en réalité servir à faire cesser les violences policières

Darmanin présente ainsi l’institution policière comme un service public comme un autre, qui comme l’hôpital ou l’éducation nationale manquerait de moyens et auquel il faudrait donc allouer plus de moyens nécessaires à son bon fonctionnement. Le problème c’est que si l’hôpital et l’école sont composés de travailleurs dont le rôle est de soigner ou de permettre l’accès à l’alphabétisation par exemple, l’institution policière n’a pas un rôle qui sert le bien commun mais à un rôle principalement répressif. En effet le rôle de l’institution policière est de défendre non pas un prétendu ordre républicain, mais bien un ordre social profondément inégalitaire et raciste. Un rôle qui avait commencé à être mis en lumière de manière très claire par le mouvement contre les violences policières.

L’idée dominante, selon laquelle la police doit être réformée, lorsqu’en arrière-plan se jouerait la nécessité de séparer le bon grain de l’ivraie ou d’expulser les brebis galeuses qui ne font pas honneur aux « vrais policiers » ( comme le réaffirmait Darmanin à propos du rôle de contrôle supposé de l’IGPN) doit en ce sens être combattue. Parce que le problème, n’est pas celui de ceux qui composent l’institution policière, comme veut nous le faire croire le gouvernement. Entre cet autre monde que nous tentons de construire par nos mobilisations, nos luttes et celui du patronat, se trouve l’institution policière et ses hommes. Face à l’illusion de la réforme de la police c’est un tout autre débat qu’il faut ouvrir, il ne sera possible d’en finir avec l’aspect structurel des crimes de la police et du racisme d’état qu’en renversant l’ordre capitaliste et en mettant fin à la police.


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