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Etats-Unis

Femmes, minorités ethniques, jeunes, travailleurs : qui a voté contre Trump ?

Nous relayons la traduction de cet article de Michael Roberts, marxiste anglais. « Le candidat du parti démocrate, Joe Biden, a battu le candidat du parti républicain Donald Trump pour la présidence des Etats-Unis en 2020. Que nous apprennent les résultats des élections sur les États-Unis d'Amérique, la plus grande puissance impérialiste du monde au XXIe siècle ? »

Michael Roberts

11 novembre 2020

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Trad. : Thaïs Cheynet

Cet article est traduit du blog de Michael Roberts, économiste marxiste anglais.

Le candidat du parti démocrate, Joe Biden, a battu le candidat du parti républicain Donald Trump pour la présidence des Etats-Unis en 2020. Que pouvons-nous apprendre des résultats des élections sur les États-Unis d’Amérique, la plus grande puissance impérialiste du monde au XXIe siècle ?

Tout d’abord, il y la question de la participation des électeurs. Tous les votes n’ont pas encore été comptés, mais il semble qu’environ 150 millions d’Américains en âge de voter ont voté. Étant donné que 239 millions de personnes avaient le droit de voter, cela signifie que le taux de participation s’élevait à 62 %.

C’est mieux qu’en 2016, avec 59 % de participation, et il s’agit donc de l’élection avec la plus forte participation depuis 1960, même si les chiffres ne sont pas aussi élevés que ce que de nombreux médias prévoyaient le jour de l’élection. Cela signifie par ailleurs que 37 % d’électeurs Américains n’ont pas voté. A titre de comparaison, 31,4 % des électeurs ont voté pour Biden et 29,6 % pour Trump. Une fois de plus, le parti du vote blanc a donc obtenu le plus grand nombre de voix au niveau national lors de ces élections.

De plus, 20 millions d’électeurs ont été exclus du scrutin pour diverses raisons (ils avaient un casier judiciaire ou l’administration de l’État avait refusé leur inscription). Le taux de participation n’a donc en réalité été que de 58 %, ce qui signifie qu’une partie importante des classes populaires américaines n’a pas voté et/ou n’a pas été autorisée à voter. En effet, la « plus grande démocratie du monde » a l’un des taux de participation électorale parmi les plus faibles des grandes « démocraties libérales ».

Il y a un large secteur de la population qui n’exerce pas son droit de vote : les jeunes Américains. Moins de la moitié des électeurs Américains de moins de 30 ans, 43,4 % seulement, ont voté lors de l’élection présidentielle de 2016. C’est beaucoup moins que les 71,4 % des plus de 60 ans qui ont voté. Ce chiffre était même encore plus bas lors de cette élection.

Trump n’a pas arrêté de dire que l’élection a été truquée et, d’une certaine manière, il a raison. Elle est toujours truquée, car le candidat qui a obtenu la majorité des voix ne gagne pas toujours. Lors de cette élection, Trump a recueilli plus de 71 millions de voix, soit le plus grand nombre de voix jamais obtenu par un Républicain. Mais Biden a obtenu 75 millions de voix, le plus grand nombre de voix jamais obtenu par un président. Mais c’est tout simplement parce que beaucoup plus de gens ont voté lors de cette élection.

Lors des huit dernières élections présidentielles américaines, le vainqueur a obtenu moins de voix que son principal adversaire. Cela s’explique par le fait que le vainqueur est celui qui reçoit le plus de voix du « collège électoral » – le système des grands électeurs - et ces votes sont enregistrés dans chacun des 50 Etats.. Il est important de rappeler que les Etats-Unis fonctionnent comme une union fédérale d’États souverains, tels qu’ils se s’est formée lors de la révolution américaine du XVIIIe siècle, chaque État ayant ses propres lois et procédures électorales. Ainsi, accumuler des masses de voix à New York et en Californie, les États les plus peuplés, ne garantit pas la victoire pour le candidat démocrate quand le candidat républicain gagne avec une marge plus serrée beaucoup de petits Etats et cumule ainsi des grands électeurs qui le rapprochent de la majorité à atteindre.

Ainsi, en 2016, la démocrate Hillary Clinton a recueilli 3 millions de voix de plus que Trump dans l’ensemble, mais Trump a obtenu 306 grands électeurs, car il a remporté une victoire très serrée dans une série d’États de petite et moyenne taille du Middle West. Cette fois-ci, Biden a obtenu une majorité encore plus importante, probablement 4 millions de voix, mais le résultat semble serré en raison des écarts très serrés dans les principaux Swing States – les « Etats pivots » qui ne sont à dominante ni démocrate ni républicaine. Cette fois-ci cependant, Biden a repris ces États à Trump et le 6 janvier, lorsque le collège électoral se réunira, il devrait obtenir 306 voix lui permettant de remporter l’élection, comme pour Trump en 2016.

Une autre raison pour laquelle le résultat de l’élection a été serré est que dans les États dirigés par les républicains, il y a eu un important remaniement des limites des circonscriptions électorales, ce qui a délibérément bloqué l’inscription de nombreux électeurs. Une tentative désespérée de mettre des bâtons dans les roues au vote par correspondance qui a été massif pour cette élection en raison de la pandémie du COVID. La « démocratie » américaine est une vaste blague. Selon The Economist, elle est en bas du classement en tant que "démocratie libérale", seule l’Albanie ayant obtenu un score inférieur !

Si le taux de participation a été plus élevé cette fois-ci, c’est en partie à cause de la polarisation politique intense qui a eu lieu aux Etats-Unis pendant la pandémie de COVID, mais également de l’effondrement économique. Le confinement mis en place dans de nombreux Etats à cause de la pandémie a également entraîné une augmentation massive du vote par correspondance, un processus plus pratique pour les électeurs que d’aller au bureau de vote. D’importantes campagnes ont également été menées dans les grandes villes pour que les gens s’inscrivent sur les listes électorales et votent.

Pouvons-nous tirer des enseignements de la composition démographique et économique de ceux qui ont voté ? Le sondage Votecast [NdT : réalisé auprès de 110.000 votants] auprès des électeurs nous donne quelques indices. Selon le sondage, les hommes (47 %) ont voté à 52% en faveur Trump, mais les femmes (53 %) ont voté à 55% pour Biden. Ce sont donc les électrices qui ont assuré la victoire de Biden.

La participation des jeunes, comme d’habitude, a été faible, seulement 13% du vote total, mais 61% des moins de 29 ans ont voté pour Biden. 54% des électeurs âgés de 30 à 44 ans (23 % des votes) ont également soutenu Biden. Les 45-64 ans (36% des voix) ont voté majoritairement pour Trump (51%). Les plus de 65 ans (une autre part importante, 27 %) ont de nouveau voté de justesse majoritairement pour Trump (51% aussi). Pour résumer, 63 % des électeurs de plus de 44 ans ont soutenu Trump (51%), tandis que les moins de 45 ans (37 % des votes) ont fortement soutenu Biden. Cela a suffi pour surmonter les petites majorités en faveur de Trump dans les tranches d’âge supérieures.

Qu’en est-il des groupes ethniques ? Le sondage a révélé que 74% des électeurs étaient blancs et qu’ils soutenaient Trump à 55%, mais que tous les autres groupes ethniques ont soutenu Biden à une écrasante majorité. Les Noirs américains ne représentaient que 11% des votants, mais ils ont soutenu Biden à 90% ; les électeurs latinos ne représentaient que 10% du total, mais ils ont soutenu Biden 63% et pour ce qui est des électeurs asiatiques, ils comptaient pour seulement 2 % des voix, mais ont voté Biden à 70%. Ces 25% d’électeurs (et ce chiffre augmente à chaque élection) ont soutenu Biden à une telle majorité que cela à suffit pour contrebalancer la petite majorité des électeurs blancs qui ont voté pour Trump.

On a beaucoup parlé de l’augmentation supposée du vote pour Trump par les Noirs et les Hispano-Américains à cette élection par rapport à 2016. Mais les preuves de cette augmentation sont douteuses et même s’il s’avère que c’est vrai, le changement est minime. Selon le sondage Edison, le soutien des hommes blancs pour Trump a diminué par rapport à 2012, passant de 62 % à 57 %, et celui des femmes blanches a légèrement augmenté, passant de 52 % à 54 %. L’augmentation supposée du soutien à Trump par les hommes noirs est de 13% à 17% et par les femmes noires de 4% à 8%. Mais si l’on considère que les électeurs blancs représentent 75 % des voix et les électeurs noirs seulement 11 %, le passage supposé des électeurs noirs à Trump représente moins de la moitié de la perte de Trump par rapport aux électeurs blancs. Cette fois-ci, les électeurs hispaniques aurait été plus nombreux à soutenir Trump, cependant ce n’est toujours pas le cas pour environ deux tiers d’entre eux.

Qu’en est-il des statistiques en termes de classe et des revenus ? Par niveau d’éducation, ceux qui ont quitté l’école après le secondaire (27 % des électeurs) ont soutenu Trump (46%) ; et ceux qui ont quelques qualifications (34 % des électeurs) ont de nouveau soutenu Trump mais de justesse 50% contre 48% pour Biden. Les diplômés de l’enseignement supérieur (24 % des électeurs) ont fortement soutenu Biden (56%) et les électeurs de troisième cycle (environ 14 %) ont été encore plus fortement favorables à Biden (58%). Plus les gens ont un niveau d’étude important, plus ils sont favorables à Biden.

Mais cela ne signifie pas que la classe ouvrière américaine soutient plus Trump que Biden. Les électeurs qui gagnent 50 000 dollars par an (le revenu moyen médian) ou moins ont soutenu Biden de manière significative (53%), et ils représentaient 38% des électeurs. Ceux qui se situent dans la catégorie des revenus moyens (50 à 99 000 dollars par an, soit 36 % des électeurs) ont soutenu de Trump d’une courte majorité (50% contre 48% pour Biden), tandis que ceux qui gagnent plus de 100 000 dollars par an (25 % des électeurs) ont en fait soutenu Biden à 51%. Les Américains les moins bien payés, le groupe le plus important d’électeurs, ont voté pour Biden avec une bonne marge, tandis que les petits entrepreneurs et les personnes à revenus moyens ont soutenu Trump dans une petite majorité des cas. Les plus aisés ont soutenu Biden (mais on soupçonne que plus les revenus sont élevés, plus les votes pour Trump sont nombreux, car d’autres sondages montrent que les millionnaires ont fortement soutenu Trump).

Certes, il y a une minorité importante de travailleurs américains qui a soutenu Trump, principalement dans les petites villes et les zones rurales. Mais la majorité de la classe ouvrière américaine a rejeté le trumpisme. Les zones urbaines (65% des votes) ont fortement soutenu Biden tandis que les petites villes et les zones rurales ont fortement soutenu Trump. C’est là que la polarisation du vote a été la plus forte.

Le critère religieux a également joué un rôle. Les chrétiens protestants et les évangéliques (45 % des électeurs) ont voté massivement pour Trump, tandis que les catholiques (22 %) étaient divisés à 50-50 et que les musulmans, les juifs et les athées déclarés (25 % des électeurs) soutenaient massivement Biden.

Quels ont été les principaux enjeux de l’élection ? Deux sujets ressortent principalement : la pandémie de COVID-19 et l’état de l’économie. La pandémie a été considérée comme la question plus importante par 41% des électeurs et ceux qui le pensaient ont fortement soutenu Biden. L’économie et l’emploi ont été considérés comme le sujet le plus important par 28 % des électeurs et ceux-là ont fortement soutenu Trump. Voici une autre cause importante de polarisation en Amérique : fermer les commerces et les entreprises et confiner pour sauver des vies ; ou pas de fermetures et sauver des emplois. Voilà comment de nombreux américains voyaient les choses en 2020.

En résumé, les Américains ont participé à cette élection en nombre légèrement supérieur, mais le taux de participation était encore bien inférieur à celui des autres "démocraties libérales". Ils ont voté encore plus fortement pour le candidat démocrate qu’en 2016, mais les particularités du système électoral américain ont rendu le résultat assez serré - bien que plus ou moins conforme aux prévisions des sondeurs. Biden a gagné parce que les minorités ethniques américaines ont vaincu la majorité blanche Biden a gagné parce que les jeunes Américains ont suffisamment voté pour lui pour l’emporter sur la majorité des électeurs plus âgés. Biden a gagné parce que les Américains de la classe ouvrière ont voté pour lui en nombre suffisant pour surmonter les votes des petits commerçants des petites villes et des zones rurales.

Les élections américaines ont été complètement chaotiques, à l’image du chaos dans laquelle se trouve aujourd’hui l’impérialisme américain, avec la pandémie de COVID qui sévit dans toute l’Amérique et l’économie à bout de souffle avec des millions de chômeurs, des salaires réduits et des services publics paralysés. Biden avait le soutien de la majorité des travailleurs, des minorités ethniques, des jeunes et des citadins. Ils ont voté pour se débarrasser de Trump : mais ils n’attendent peut-être pas grand-chose de Biden et ils auraient raison...


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