La peur de l’après

Gestion policière de la crise covid et crainte d’une gilet-jaunisation XXL

Juan Chingo

Gestion policière de la crise covid et crainte d’une gilet-jaunisation XXL

Juan Chingo

La pandémie met à rude épreuve les gouvernements à travers le monde : défaut de préparation, manque de matériel sanitaire, crise structurelle de l’hôpital public après des décennies de réformes néo-libérales. Il s’agit là d’autant de points communs qui caractérisent, de façon plus ou moins aiguë, la grande majorité des pays de l’économie mondiale capitaliste. C’est donc l’ensemble des gouvernements capitalistes qui seront durement secoués par les conséquences de la tempête actuelle, compte-tenu de l’ampleur de la crise sanitaire couplée à une récession économique qui s’annonce et dont le seul point de comparaison serait celle de 1929, mais pourrait s’avérer être pire encore. La France, elle, a cette particularité que la crise va se décliner sur un terrain politique et social déjà miné.

Un terrain particulier, dans le cas français, avec cette étroitesse qui caractérise la base sociale du gouvernement Macron, depuis le début du quinquennat, couplée à cette image de « président des riches » à laquelle l’assimile le plus grand nombre, mais également avec cette succession absolument inédite de mouvements de contestation de portée historique, allant du soulèvement des Gilets jaunes – la crise la plus importante depuis 1968 – jusqu’au mouvement de grève contre la réforme des retraites – avec la grève des transports la plus longue de l’histoire – et que Macron a été obligé de mettre entre parenthèse. Tout ceci est bien la preuve d’un climat social en ébullition mais également la démonstration de l’émergence d’un nouveau cycle de lutte de classe qui s’est ouvert en 2016 lors du mouvement contre la loi Travail et s’est approfondi sous le macronisme [1].

Une unité nationale de façade qui ne saurait contenir le ras-le-bol social qui s’accumule

Au tout début de la montée de la pandémie du coronavirus en France, la popularité du chef de l’Etat a remonté. Il s’agit-là d’un mécanisme presque physiologique en temps de crise. Hollande, lui aussi, avait raffermi sa popularité à la suite des attentats de 2015 mais cela ne l’avait pas empêché de finir comme le président le plus impopulaire de la V° République. Par ailleurs, cette progression de la cote de popularité de Macron ne saurait faire illusion. Comme le souligne Bernard Sananès, président d’Elabe, dans Les Echos, Macron se renforce parmi ses soutiens : « C’est une hausse forte et sensible qui se produit principalement sur son socle électoral et ses zones de forces comme chez les cadres et les retraités. Cette progression ne signifie pas union nationale ».

Plus globalement, la communication gouvernementale n’inspire aucune confiance. La transparence des informations données par les canaux officiels est de plus en plus remise en question. Les choix du gouvernement en matière sanitaire divisent très fortement. Aujourd’hui, après quasiment un mois de confinement et avec la perspective de sa prolongation, jamais la défiance vis-à-vis de l’exécutif par rapport à sa gestion de la crise n’a été aussi forte. Elle atteint jusqu’à 56% de l’opinion, selon certains sondages. La raison de cela est à chercher du côté de la façon dont, pour la première fois depuis les principaux conflits dans lesquels la bourgeoisie a embarqué le pays au XX°, la bourgeoisie et son gouvernement mettent en danger la vie et la santé de millions de personnes en mentant de façon délibérée et éhontée. Ainsi, on appelle la population à se confiner et on fait respecter le confinement avec des méthodes policières tout en poussant une fraction significative du salariat à aller travailler la boule au ventre par peur de la contagion et en raison du manque de matériel de protection à disposition. En d’autres termes, la pandémie exacerbe les inégalités et suscite, plus que jamais, un ressentiment à l’égard de la classe dominante [2]. C’est d’ailleurs ce qu’observe le quotidien suisse Le Temps dans un article au titre assez révélateur « Covid -19 : un coronavirus français en Gilet jaune » : « Il fallait un nouveau détonateur. Une bonne raison de rebrancher, en France, le haut-parleur des colères et des ressentiments. Or voilà que le Covid-19, et la prolifération des angoisses consécutives au confinement strict mis en place par le gouvernement depuis le 16 mars, est en train de jouer ce rôle. Colère contre l’absence d’équipements de protection de la part des fantassins de l’état d’urgence sanitaire que sont les soignants, mais aussi des éboueurs, des caissières, des livreurs ou des facteurs. Droit de retrait de plus en plus souvent demandé par la CGT, doublé d’un appel à la grève. Procès politiques à tous les étages contre le chef de l’État et le gouvernement, accusés d’avoir gâché les mois de janvier et de février en se focalisant sur la réforme des retraites – aujourd’hui suspendue – plutôt que sur les préparatifs sanitaires indispensables face à l’épidémie. Désarroi des électeurs et des élus locaux, piégés par l’organisation plus que contestable, le 15 mars, du premier tour d’un scrutin municipal dont le second tour, annoncé pour la fin juin, paraît assez irréaliste. Offensive antinomenklatura médicale menée par l’infectiologue marseillais dissident Didier Raoult… »

La peur du revanchisme des prolétaires

Comme nous le disions, la combinaison de crise sanitaire aux dimensions inédites et de dépression économique majeure, le tout dans le cadre de fortes frictions géopolitiques entre grandes puissances et entre ces dernières et les pays de la périphérie capitaliste – que l’on peut voir à l’œuvre dans la lutte pour l’accaparement des équipements et des ressources sanitaires anti-covid -, pourrait fort bien déboucher sur une explosion sociale à échelle mondiale. En France, ce sont tous les voyants qui sont au rouge. Entre, d’un côté, la peur de la contagion et, de l’autre, la colère face aux décisions prises par « ceux d’en haut », les « travailleurs essentiels » ou les « premiers ou seconds de tranchée », comme peut les appeler la presse, commencent à sentir le pouvoir qui pourrait être le leur. Il sera compliqué, pour eux, d’oublier tout cela, une fois que le pire de la crise sera derrière nous. C’est ce possible changement dans le rapport de force qui a conduit, par exemple, le gouvernement portugais à ne pas hésiter un seul instant à suspendre le droit de grève. En France, le gouvernement, lui, est très inquiet. C’est en tout cas ce que semble croire Le Monde qui souligne combien « au sommet de l’Etat et de la majorité, certains ont fait le même constat et redoutent que la crise sanitaire débouche sur une crise sociale, en évoquant une potentielle forme de giletjaunisation de la crise ». Ainsi, selon Guillaume Chiche, député LREM des Deux-Sèvres, « l’épreuve actuelle peut faire resurgir un phénomène de lutte des classes. Aujourd’hui, les fonctions vitales du pays sont assurées exclusivement par des employés et des ouvriers. Ce sont donc les catégories les plus précaires qui occupent les métiers les plus essentiels à la bonne marche du pays et qui sont en outre les plus exposées au risque sanitaire de contamination. Cela devrait accentuer de manière légitime leurs revendications ». Cette situation, toujours selon Le Monde, serait jugée « périlleuse » selon certains macronistes. Pour le délégué général de LREM, Stanislas Guerini, « il ne faut pas laisser s’installer l’idée qu’il y aurait deux France, celle des travailleurs sur le terrain et celle du télétravail ; celle confinée dans les HLM et celle des résidences secondaires ; celle des PME et celle des grands groupes (…). Le risque que les fractures s’exacerbent entre ces deux France est réel ».

En d’autres termes, la crise sanitaire actuelle ne renforce pas seulement la position sociale des secteurs les plus exploités de notre classe. Parallèlement, elle génère un sentiment, à l’heure actuelle encore diffus, d’opposition à la France du CAC 40 qui, elle, n’est appuyée que par une base très étroite des classes moyennes supérieures. C’est le sentiment que relaient les principaux sondeurs. Ainsi, selon Jérôme Fourquet, directeur du pôle opinion à l’IFOP, « on constate une très forte grogne contre le manque de masques et des tests, avec l’idée que les premiers à en pâtir sont les salariés, qui continuent à travailler sur le terrain. Cela réactive un ressentiment de la France d’en bas contre les technos, accusés de ne pas avoir suffisamment préparé le pays à affronter une telle crise. On retrouve un syndrome du mouvement des Gilets jaunes, avec l’idée que la classe politique aurait collectivement failli ».

Les pièges tendus par les faux amis du peuple

Il est très probable, donc, que de nouvelles révoltes à grande échelle se préparent. Elles pourront éclater face aux problèmes de pénurie alimentaire, de renchérissement des prix des produits de première nécessité ou, très probablement, parce que la crise économique risque de frapper, avant tout, les « premiers de tranchées » de cette crise sanitaire et qui sont, généralement, les premiers sacrifiés en temps de crise. C’est ce qui pourrait générer une vague de grande colère au sein des secteurs les plus précarisés et exploités du monde du travail qui, durant la période de confinement, ont pu jouir d’une certaine reconnaissance symbolique vis-à-vis du rôle social qui a été le leur ou, parfois, ont même pu bénéficier de primes. On songera à la « prime exceptionnelle au pouvoir d’achat », également appelée « prime Macron », mise en place en décembre 2018 pour faire face au soulèvement des Gilets jaunes et empêcher son élargissement aux salariés des grandes entreprises et qui figurait à nouveau dans la loi de Finances 2020. Elle a été portée, pendant la crise actuelle, à 1200 euros. Bien entendu, personne ne parle d’augmentation de salaires, au sein du patronat, plus encore tenant compte du fait que dans plusieurs entreprises où l’activité est maintenue des débrayages ont eu lieu pour exiger le versement de la « prime Macron », comme chez les travailleurs de Gestamp (sous-traitance auto) à Theil-sur-Huisne, dans l’Orne, de Marie Surgelés, à Maribeau, dans la Vienne, de Comdata (centre d’appel) de Chalon-sur-Saône, de Agis (agro-alimentaire), à Herbignac, en Loire Atlantique, ou encore chez les éboueurs du Grand-Poitiers. Un signe que la radicalité est loin d’avoir été mise entre parenthèse, malgré le climat actuel.

C’est cette question économique qui pourrait être l’ingrédient décisif d’un cocktail social explosif dans le cadre d’une défiance aiguë vis-à-vis du personnel politique et des élites au pouvoir. Cela pourrait conduire à une situation pré-révolutionnaire ou révolutionnaire à l’instar de celle que connut la Russie, conséquence – toutes proportions gardées – des épreuves traversées par le pays au cours de la Première guerre mondiale et dans le cadre de laquelle les bolcheviks étaient les mieux préparés et décidés – par rapport aux autres partis et fractions de classe – pour apporter une réponse à la catastrophe qui guettait le prolétariat à travers, notamment, la reprise des revendications « la paix, le pain et la terre ».

Les éléments que nous mettons en avant indiquent un degré de maturation embryonnaire de la conscience de classe. Cependant, pour se matérialiser et se cristalliser pleinement en tant que conscience pour soi, cette dernière doit se traduire en un programme prolétarien clair. La crise actuelle offre la possibilité de dépasser certains des angles morts des perspectives qu’ont pu avancer les Gilets jaunes autant vis-à-vis de leur orientation par rapport au grand patronat – dont l’image a été moins écornée que celle du gouvernement par le mouvement – que par rapport à ses ambiguïtés face à la question de l’Etat-nation. Pour ce faire, néanmoins, il faut démasquer les faux-amis du peuple qui souhaitent tirer profit de ce sentiment général et diffus pour mettre en avant leur projet populiste de droite, dans le pire des cas, populiste de gauche, dans le meilleur, ou représentant tout simplement une resucée de gauche bourgeoise. Il s’agit d’autant de projets de conciliation de classe à mettre en œuvre dans le cadre d’un capitalisme français en plein déclin.

C’est ce que défend, notamment, Yannick Jadot, pour Europe Ecologie-Les Verts, qui met davantage en avant le Conseil National de la Résistance que le Front Populaire, plus cher à Jean-Luc Mélenchon ou à François Ruffin. Soit dit au passage, dans les deux cas, qu’il s’agisse des concessions faites par la bourgeoisie et le patronat en 1945 ou en 1936, il s’agit du sous-produit de ce que les travailleurs et les travailleuses ont pu arracher à travers leur action directe et en raison de la crainte de la bourgeoisie face au péril de la révolution sociale, à savoir les grèves avec occupation de Juin 36 ou pour mettre un terme à la résistance populaire à la fin de la Seconde guerre mondiale. Pour ce qui est de Jadot, l’écologiste macroniste-compatible qui assume pleinement la stratégie de vouloir discuter avec la gauche comme avec la droite, il défend l’idée de « convaincre qu’avec les forces vives de notre pays nous pouvons réparer la société, respecter et protéger les femmes, les hommes et la nature, et promouvoir une économie résiliente, innovante, puissante et juste (…). Que nous sommes capables de rassembler les Français et de les mobiliser autour d’une nouvelle espérance, d’un projet solidaire qui nous projette plus sereinement dans l’avenir [ou encore que pour] contrer les stratégies de repli [proposées par] les nationalistes (…) face à l’option dangereuse du populisme, face à un modèle libéral qui s’est perdu dans les sables de la mondialisation, la voie écologiste est la seule légitime ».

Face à la perspective d’une profonde récession économique seulement comparable, de par son ampleur, à la crise des années 1930, le programme de Jadot, qui se situe à la droite de la vieille gauche institutionnelle, et ce alors que le PS n’est pas remis de sa débâcle, défend l’idée selon laquelle il serait possible de « produire et de consommer différemment » tout en faisant abstraction de la moindre convulsion sociale et dans le cadre du système économique actuel, c’est-à-dire en mettant de côté ce que peut être la lutte de classe. Le discours que porte Jadot trouvait un angle de tir entre le mélenchonisme et le virage à droite du macronisme dans les grandes villes. Il se destine, aujourd’hui, aux secteurs de classe moyenne, impactés par la crise, qui souhaitent un cadre de vie urbain « vert et bio » tout en maintenant les avantages de la globalisation (à savoir les voyages, le tourisme, etc.). De ce point de vue, également, c’est bien le monde de la mondialisation capitaliste qui s’écroule avec le Covid-19.

Face au réformisme bourgeois de Jadot, le discours de Mélenchon a des accents plus radicaux. En effet, le député des Bouches-du-Rhône et leader de La France Insoumise en appelle à une révolution. Cependant, il ne s’agit pas d’une révolution prolétarienne et socialiste pour en finir avec le système capitaliste et la domination du grand capital sur l’économie française. Selon Mélenchon, en effet, « nous ne combattons pas d’autre ennemi que les erreurs, les abus d’une façon de vivre. Le moment est venu d’en changer radicalement. Telle est la Révolution que doit accomplir la civilisation humaine de notre époque ». Son autre cheval de bataille a trait à la planification. En revanche, chez Mélenchon, il n’est pas question de planification socialiste face à l’anarchie inhérente que génère notamment la concurrence capitaliste, exacerbée en temps de crise, mais tout simplement de planification dans le cadre de l’Etat bourgeois. Il s’agit, pour le chef de file de La France Insoumise, de remplacer le libre-échangisme et l’ouverture des marchés chers à l’Etat néo-libéral par un retour au dirigisme gaulliste que n’a jamais véritablement renié le PCF de Georges Marchais. L’enjeu, pour Mélenchon, est de reconstruire son statut de candidat à la présidentielle à la suite des erreurs qu’il a pu commettre et qui lui ont été reprochées au sein même de son mouvement et qui expliqueraient les mauvais résultats de LFI aux élections européennes de 2019. C’est d’ailleurs ce sur quoi Mélenchon revient dans une interview donnée, cette semaine, à La Croix : « On sort des logiques de pure conflictualité, qui est notre méthode habituelle pour créer de la conscience chez les citoyens, pour passer à une stratégie de cause commune ». Alors que les forces du prolétariat devraient se préparer à affronter la brutalité de la crise capitaliste, Mélenchon à l’instar de Bernie Sanders – qui vient de jeter l’éponge dans la course à l’investiture démocrate aux Etats-Unis – en appelle à baisser la garde plutôt qu’à se préparer sérieusement à un combat de classe majeur.

Face à ces fausses solutions, nous réaffirmons l’idée selon laquelle il ne saurait y avoir d’issue à la catastrophe qui nous guette sans toucher aux intérêts du CAC 40 – à savoir ces grands groupes économiques qui gouvernent le pays et dont la fortune équivaut à 30% du PIB –, à ceux de ces 500 grandes fortunes qui ont multiplié par trois leur patrimoine au cours des dix dernières années et qui avoisinent maintenant les 650 milliards d’euros. Voilà où l’on devrait aller chercher l’argent pour reconstruire l’hôpital public, pour mettre en place un vaste programme de rénovation et de construction pour en finir avec les logements insalubres et exigus, en banlieue et ailleurs, où le confinement est particulièrement pénible pour les habitants, compte-tenu des conditions de vie, une façon également pour améliorer le niveau de vie de toutes celles et ceux qui ont des fins de mois difficiles, pour reprendre l’une des expressions chères aux Gilets jaunes. Cela devrait, bien entendu, se faire dans le cadre d’une économie planifiée, respectueuse de l’Homme autant que de la nature, mais qui devrait également offrir des perspectives aux centaines de milliers de petits producteurs et éleveurs, artisans et commerçants, pris à la gorge par les prêts bancaires, les principaux groupes de la grande distribution et par les grandes entreprises donneuses d’ordre. Un changement radical est inenvisageable sans que les géants du CAC 40, en premier lieu, ne soient expropriés, nationalisés et placés sous le contrôle démocratique des travailleurs. C’est là la condition sine qua non d’une véritable planification démocratique de l’économie.

Face à la crise de la mondialisation capitaliste et aux impasses du patriotisme économiques, nous avons besoin, plus que jamais, d’internationalisme prolétarien

Le dirigisme économique proposé par Mélenchon face aux débordements incontrôlables de la mondialisation néolibérale va de pair avec un retour au bon vieux patriotisme économique. Mélenchon lui-même, d’ailleurs, ne s’est pas privé de féliciter Arnaud Montebourg, chantre de la « démondialisation », au sujet de ses dernières prises de position : « passionnante interview d’Arnaud Montebourg, a-t-il tweeté. Je note la convergence des préoccupations, parfois au mot près ! Bravo ». Dans l’interview en question, publiée sur Libération, l’ancien ministre du « Redressement productif » de François Hollande, responsable, entre autres, de la fermeture des hauts-fourneaux de Florange, attaque durement l’Elysée et se demande, comme l’indique le titre, si « Macron est le mieux placé pour parler de patriotisme économique ». Parallèlement, il appelle l’Etat à engager une « reconstruction écologique » qui devrait passer par « le moins d’importations possible, une économie davantage tournée vers le marché intérieur continental avec des bons salaires et de meilleurs prix pour rémunérer ceux qui produisent ici ».

Ces faux amis du peuple face à la crise de la mondialisation capitaliste ne défendent pas uniquement un retour au cadre étroit du souverainisme, à savoir un retour au cadre absolument dépassé et caduque de l’Etat-nation alors que la pandémie actuelle ainsi que la crise capitaliste exigent plus que jamais la nécessité d’une coordination et d’une solidarité à échelle internationale. Cet impératif entre en contradiction avec l’obstination de chaque Etat et de chaque bourgeoisie au sein des grandes puissances impérialistes et capitalistes à vouloir prioriser sa propre planche de salut, y compris en piétinant les revendications légitimes formulées par les pays les plus faibles comme le montre la guerre sans pitié pour les masques et autres matériels médicaux qui se livre aux dépens des pays d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie. La façon dont les pays centraux, à l’instar de la France, organisent l’accaparement pour l’achat des tests ou des masques n’est qu’une manifestation moderne de la plus pathétique des pratiques de piraterie.

Par ailleurs, ces faux radicaux ne cherchent qu’à recycler la production nationale. Ils se couvrent, sur leur gauche, en invoquant une soi-disant planification à laquelle ils associent, souvent, les syndicats. C’est ainsi qu’ils cherchent à concurrencer, quasiment sur son terrain, le souverainisme réactionnaire d’une Marine Le Pen. De façon plus structurelle, ce patriotisme économique n’est aucunement en contradiction avec certaines des prises de position émanant des secteurs les plus concentrées du patronat face à la crise que traverse la mondialisation capitaliste. C’est ce que soutient, par exemple, Philippe Varin, actuellement président de France Industrie et président, entre 2009 et 2013, du directoire de PSA – pour le compte de qui il a fait fermer l’usine d’Aulnay, en 2014 : «  la question fondamentale est celle de la relocalisation d’activités en France. Il y a dans cette crise une véritable opportunité mettant en avant certaines tendances lourdes, à savoir une inévitable taxe carbone renchérissant les transports, l’importance de matières premières ou de biens intermédiaires pour notre souveraineté, le numérique permettant de fabriquer en plus petites séries, une meilleure réponse aux demandes de clients proches ».

Alors que la crise actuelle a démontré l’impuissance des autorités et des Etats-nations, en général, à faire face à la propagation de la crise sanitaire, alors que la pandémie a fait surgir une conscience universelle qui pose le fait que la vie ou la mort de millions de personnes dépendent de nos décisions collectives, placer nos vies entre les mains d’un Etat et d’une classe uniquement capables de défendre mesquinement leurs intérêts nationaux ne pourrait que nous mener dans une nouvelle impasse. Sans même parler de celles et ceux qui, une fois de plus, continuent à exiger de l’Europe du capital davantage de solidarité comme l’y invite cette nouvelle pétition d’intellectuels, d’économistes et d’artistes allemands, signée, entre autres, par Jürgen Habermas, Daniel Cohn-Bendit et Joshka Fischer, et qui demande à la Commission la création de « bonds Corona » de façon à assumer, à échelle de l’Union, l’endettement que ne pourra que générer la crise.

Face à la crise du Covid et face à l’impuissance de la bourgeoisie pour la conjurer, la définition que Marx donne de la révolution prolétarienne, pour la distinguer de toutes les autres révolutions antérieures, résonne avec un écho particulier : « toutes les classes qui, dans le passé, se sont emparées du pouvoir, essayaient de consolider leur situation acquise en soumettant la société aux conditions qui leur assuraient leurs revenus propres. Les prolétaires ne peuvent se rendre maîtres des forces productives sociales qu’en abolissant leur propre mode d’appropriation d’aujourd’hui et, par suite, tout le mode d’appropriation en vigueur jusqu’à nos jours. Les prolétaires n’ont rien à sauvegarder qui leur appartienne, ils ont à détruire toute garantie privée, toute sécurité privée antérieure… Tous les mouvements historiques ont été, jusqu’ici, accomplis par des minorités ou au profit des minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement spontané de l’immense majorité au profit de l’immense majorité. Le prolétariat, couche inférieure de la société actuelle, ne peut se soulever, se redresser, sans faire sauter toute la superstructure des couches qui constituent la société officielle ». Face à la conscience universelle que la crise écologique comme la pandémie actualisent, seule une classe tel que le prolétariat, basé sur sa solidarité internationale, à savoir l’internationalisme prolétarien, saura être à la hauteur des défis que nous affrontons, aujourd’hui. Toute autre « solution » ne peut que nous mener, tôt ou tard, à la barbarie.

Crédits photo : O’Phil des contrastes

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NOTES DE BAS DE PAGE

[1C’est ainsi, par exemple, qu’un éditorialiste comme Alain Duhamel souligne que Macron « a été élu parce que la France était en crise, une crise politique intense qui a balayé une génération, atomisé les deux partis de gouvernement, a enregistré l’ascension de deux mouvements antisystèmes, les insoumis et surtout le Rassemblement national, entrouvrant une brèche inopinée dans laquelle il a su et osé s’engouffrer. On pouvait alors imaginer qu’un équilibre allait en remplacer un autre. Il n’en est rien. Depuis, Emmanuel Macron vogue implacablement de crise en crise, sans répit, comme aucun de ses prédécesseurs. Certes, tous les présidents de la Ve République ont dû faire face à des épreuves, mais jamais de façon aussi continue, sans respiration. De Gaulle a été admiré, Georges Pompidou a été apprécié, Valéry Giscard d’Estaing a été populaire six années sur sept. Inimaginable aujourd’hui. François Mitterrand et Jacques Chirac ont eu leurs heures de gloire, le premier plus que le second. Nicolas Sarkozy a impressionné face aux crises économiques et financières, François Hollande a su incarner la République devant les attentats. Tous ont bénéficié à un moment ou à un autre d’un répit, parfois même d’un consensus, ce métal si rare en France. Emmanuel Macron, non. Il est né dans et par une crise, et depuis il bataille de crise en crise. Cela a commencé, à peine élu, sur un mode piteux avec l’affaire Benalla. Cela s’est poursuivi sur un mode bien plus grave, bien plus troublant, bien plus préoccupant avec la crise des Gilets jaunes, d’une durée et d’une forme sans précédent depuis plus de deux siècles. A cette occasion, c’est comme un rideau qui s’est déchiré, découvrant une France malheureuse, anxieuse et ulcérée dont on sous-estimait l’ampleur et les souffrances. Une crise qui n’est pas vraiment apaisée, encore moins conjurée. Et puis, sans transition, la crise de la réforme des retraites, elle aussi sans précédent dans la mémoire des luttes sociales par sa durée, sa popularité, son acharnement. Et maintenant, la crise du coronavirus ». Pour approfondir, on pourra se référer à certains de nos articles sur la crise organique du capitalisme français, notamment ici et ici, entre autres.

[2Selon une étude récente réalisée par Odoxa-Adviso Partners pour franceinfo, France Bleu et Challenges, un peu moins de la moitié des salariés ont cessé tout travail depuis le début du confinement, 20% sont, aujourd’hui, en télétravail, notamment les catégories supérieures du salariat, et un quart des salariés continuent à se rendre régulièrement sur leur lieu de travail. L’étude souligne des disparités, d’une région à l’autre, en fonction de l’insertion de chaque territoire dans la chaîne de production et d’accumulation. Selon l’étude, les salariés appartenant aux catégories populaires sont 56% à avoir totalement arrêté leur activité professionnelle depuis le début du confinement et sont aussi les plus nombreux à devoir se rendre quotidiennement ou presque sur leur lieu de travail (31% des CSP- et 35% des ouvriers). A contrario, les catégories dites supérieures et plus particulièrement les cadres, pour qui le télé-travail est plus facile à mettre en œuvre, ont beaucoup moins souvent dû arrêter de travailler (seulement 34% des CSP+, soit 22 points de moins que les CSP
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