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Anti-impérialisme

Guerre en Ukraine. Le NPA à la remorque de la gauche pro-OTAN

A un an du début de la guerre en Ukraine, une partie de la gauche (y compris anticapitaliste), n’a pas résisté à la pression politique de l’impérialisme. C’est le cas du NPA qui, avec une posture « critique », finit par adopter une vision le situant objectivement dans le camp pro-OTAN.

Philippe Alcoy

6 mars 2023

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Guerre en Ukraine. Le NPA à la remorque de la gauche pro-OTAN

Crédits photo : manifestation à Paris le 25 février - AFP

Samedi 25 février dernier des organisations de la gauche sociale, politique et syndicale appelaient à manifester dans toute la France. A Paris, à peine quelques centaines de personnes ont répondu présents. Cette manifestation émanait en effet d’une certaine « gauche » française, qui, avec des discours plus ou moins enveloppés d’humanisme et d’un soi-disant « anti-impérialisme » mène concrètement une politique favorable aux positions de l’OTAN et des gouvernements impérialistes occidentaux qui soutiennent le camp ukrainien face à l’agression de l’armée russe. Parmi les signataires de cet appel on retrouve le PS, Les Verts, Ensemble mais aussi le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) de Philippe Poutou et Olivier Besancenot.

Une caution de gauche à la politique de l’OTAN

En effet, malgré une phraséologie pseudo de gauche, le communique du « Comité français du Réseau européen de solidarité avec l’Ukraine » se résume dans un premier temps à s’attaquer à ceux et celles qui s’opposent à la guerre en faisant un amalgame entre les diverses positions existantes. En effet, s’il existe un véritable « campisme » pro-Poutine dans une frange marginale de l’extrême-gauche et de la gauche radicale, les positions de ceux qui s’opposent à la guerre sont loin de se résumer à un soutien direct ou indirect à la politique réactionnaire de Poutine.

D’autre part, le communiqué cherche à légitimer les envois d’armes et l’escalade menée par l’OTAN. Et les arguments sont assez « originaux ». Ainsi, s’ils s’opposent à l’augmentation des budgets militaires et à l’armement des dictateurs c’est… pour mieux armer l’Ukraine : « combattre la hausse des budgets militaires et la militarisation de la société est nécessaire et va avec le soutien à la résistance ukrainienne armée et non armée. L’Ukraine ne représente pas grand-chose dans ces budgets. Exigeons de la France qu’au lieu de vendre des armes aux dictatures, elle aide sérieusement la résistance ukrainienne, sans augmenter ses propres dépenses militaires ».

Ce soutien moral et matériel au camp ukrainien est justifié par des pirouettes argumentatives et des déformations historiques : « fallait-il réclamer le désarmement du peuple algérien pour mettre fin plus vite à la guerre d’Algérie due à la colonisation française  ? Fallait-il empêcher l’armement du peuple vietnamien pour que cesse la guerre du Vietnam provoquée par l’intervention étatsunienne  ? Était-il juste de refuser des avions et des canons à la République espagnole contre Franco  ? Au nom de la paix, faut-il exiger que les peuples kurde et palestinien cessent de se battre contre les agressions qu’ils subissent  ? ».

En effet, ces exemples historiques de résistances révolutionnaires et de luttes anticoloniales et anti-impérialistes, comme nous le verrons plus tard, n’ont rien à voir avec la guerre en Ukraine actuelle. Cependant, tous ces discours sont complètement fonctionnels à la politique que mènent les puissances impérialistes de l’OTAN, dont la France, en Ukraine. Plus encore, les mentions à la lutte contre l’impérialisme et le colonialisme offrent de fait une couverture sur la gauche à leur politique. Une couverture souvent utilisée pour décrédibiliser les courants politiques, les associations et syndicats défendant une position anti-impérialiste indépendante, dénonçant l’agression réactionnaire de Poutine mais aussi l’impérialisme de l’OTAN. Ces positions politiques sont souvent dénoncées comme « complices du Kremlin », ou accusées de nier le droit à l’auto-détermination de l’Ukraine.

Une capitulation du NPA

Dans ce contexte, la participation du NPA à ces manifestations représente une capitulation à l’égard de cette « gauche » pro-impérialiste et, en dernière instance, une capitulation face à la politique de l’OTAN. La « gauche » pro-impérialiste sait le reconnaître et s’en féliciter publiquement. Ainsi, Edwy Plenel, fondateur de Mediapart, qui est devenu au cours de la guerre l’une des figures politico-médiatiques de cette « gauche » pro-OTAN, a remercié le NPA sur Twitter pour ses prises de position, relayant une vidéo du NPA en expliquant : « Quand la gauche est à l’épreuve dans ses certitudes, ce sont des minoritaires qui sauvent les principes. Ce fut le cas pour l’opposition au stalinisme comme pour la solidarité anticolonialiste. C’est le cas sur l’Ukraine avec cette position limpide du NPA ».

Dans cette vidéo, Christian Varquat, membre de la direction du NPA, expose la position de son parti à un an du début de la guerre. La lecture qui y est faite est purement unilatérale. Elle dénonce certes l’agression russe contre l’Ukraine et l’atteinte que cela implique pour l’auto-détermination ukrainienne, mais elle s’arrête là. Elle dédouane ainsi complètement la responsabilité de l’OTAN dans la situation actuelle et la politique d’encerclement de la Russie qu’elle mène depuis le milieu des années 1990. Le seul passage où l’on évoque cette question, c’est pour laisser entendre que ceux qui dénonceraient l’agressivité de l’OTAN seraient des « complices » directs ou indirects de Poutine.

Cette dénonciation unilatérale de la politique réactionnaire de Poutine en Ukraine ne relève pas de « l’anti-impérialisme » et l’internationalisme, mais plutôt de la mobilisation d’un discours anti-impérialiste au profit de la politique de l’alliance militaire impérialiste la plus puissante au monde : l’OTAN. Cette approche est liée à la caractérisation erronée de la guerre en cours que défend le NPA, fruit de son adaptation à l’hypocrisie sur « l’humanisme » et la « démocratie » des pays impérialistes, répétant, en pire, la position qu’il avait défendu en faveur d’une intervention « humanitaire » de l’impérialisme en Libye. Le NPA n’a pas tiré les bonnes leçons de ce positionnement désastreux à l’égard d’une intervention impérialiste qui a eu des conséquences profondément négatives pour toute la région.

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Une compréhension totalement erronée de la guerre en Ukraine

Le conflit en Ukraine n’est en effet pas comparable à ceux de la guerre d’Algérie, du Vietnam ou d’autres guerres anticoloniales et anti-impérialistes, car ce qui se joue en Ukraine ne se réduit pas juste à un affrontement entre Kiev et Moscou. La guerre dépasse de loin la seule question de l’auto-détermination ukrainienne. Elle s’inscrit dans le contexte d’un tournant de la situation internationale où les tensions entre les puissances mondiales tendent de plus en plus à se « régler » sur le terrain militaire. De ce point de vue, l’invasion lancée il y a un an par Poutine constitue une réponse réactionnaire à la politique d’encerclement de la Russie mise en place par l’OTAN. C’est pour cela que nous dénonçons et nous opposons à la politique du Kremlin en Ukraine depuis bien avant le déclenchement de son invasion.

De leur côté, les impérialistes occidentaux sont en train d’utiliser la guerre en Ukraine pour affaiblir la Russie (mais aussi la Chine dont la Russie est devenue le principal allié) et préserver l’ordre mondial dominé par les Etats-Unis. Autrement dit, l’OTAN s’est accaparée la cause ukrainienne, afin d’y mener une guerre par procuration, même si pour le moment ils tentent d’éviter un affrontement direct avec la Russie, y compris en limitant les capacités ukrainiennes d’attaquer le territoire russe. Ainsi, les impérialistes occidentaux agissent en armant en fonction de ces objectifs Kiev, en formant l’armée ukrainienne, en lui fournissant des renseignements déterminants, en imposant des sanctions antipopulaires à la population russe, tout en n’envoyant aucun soldat se battre sur le terrain.

De cette façon, si le camp russe est clairement réactionnaire, le « camp ukrainien » ne l’est pas moins. Le gouvernement a clairement l’objectif de transformer l’Ukraine dans une sorte de protectorat ou « Etat vassal » de l’impérialisme occidental, ce qui n’a rien à voir avec la lutte pour le droit à l’auto-détermination. C’est pour cela que la guerre qui se mène actuellement en Ukraine n’est pas une guerre de libération nationale mais une guerre réactionnaire, un conflit par procuration de plus en plus clair entre puissances, sans aucun camp progressiste, et qui se mène sur le dos de la population ukrainienne.

La question de la livraison d’armes et l’enjeu d’une politique d’indépendance de classe

Cependant, même s’il s’agissait d’une guerre de libération nationale, à aucun moment le NPA n’évoque l’importance d’une position d’indépendance de classe, au-delà de vagues références à des « solidarités par en bas ». Pire encore, concernant les envois d’armes, en plus du communiqué commun que nous avons déjà cité, dans un tract du NPA qui reprend pratiquement le même texte que la vidéo déjà mentionnée, la question est évoquée avec une légèreté incroyable : « la résistance armée et non armée ukrainienne mérite le soutien de la gauche et des anticapitalistes du monde, au-delà de ce qu’on peut penser du gouvernement ukrainien, au-delà des arrière-pensées des pouvoirs occidentaux – à qui Zelensky ne cesse de demander l’aide militaire permettant aux UkrainienEs de repousser les assauts de l’armée de Poutine et d’empêcher sa victoire ». Comme si l’envoi d’armes n’était pas conditionné à la soumission du gouvernement ukrainien aux intérêts de l’OTAN ! L’Ukraine, est aujourd’hui complètement dépendante militairement et économiquement des puissances impérialistes occidentales, c’est cela l’auto-détermination ukrainienne pour le NPA ?

Dans la tradition révolutionnaire, il y a eu toujours des tactiques audacieuses qui ont été défendues au cours des guerres anticoloniales, dont l’acceptation éventuelle d’armements livrés par des puissances impérialistes rivales à l’ennemi colonial. Mais les marxistes révolutionnaires comme Trotsky ou Lénine ont toujours mis en avant, dans ces cas-là, une condition centrale pour le prolétariat : la totale indépendance de classe vis-à-vis de la direction nationale bourgeoise, et encore plus vis-à-vis des puissances impérialistes. Si dans les matériaux du NPA les références à l’indépendance de classe, quand elles existent, sont plus que vagues, cette question est complètement absente dans les « appels unitaires » que ce parti signe, n’hésitant pas à prendre part à des actions avec des organisations qui défendent ouvertement une orientation pro-OTAN.

De notre côté, nous continuons à considérer que la seule issue progressiste dans cette guerre ne peut venir que de la main de la classe ouvrière, mobilisée de façon totalement indépendante de Poutine, mais aussi du gouvernement Zelensky, des oligarques ukrainiens et des impérialistes de l’OTAN. Cela signifie que la seule façon pour l’Ukraine de retrouver une véritable auto-détermination nationale c’est à travers la révolution ouvrière et socialiste, qui pose les bases de la création d’une Ukraine socialiste et véritablement indépendante. Dans le cadre du capitalisme semi-colonial, il est impensable que l’Ukraine puisse être indépendante réellement de la Russie ou des impérialistes occidentaux.

Cette tâche ne peut pas reposer seulement sur le dos de la classe ouvrière ukrainienne. Ses premiers alliés sont les travailleurs et travailleuses de Russie. C’est pour cela que nous devons encourager la mobilisation des travailleurs et de la jeunesse, alliés aux minorités opprimées, en Russie contre la guerre réactionnaire de Poutine et son gouvernement mais aussi contre les conséquences économiques de celle-ci. En Ukraine, cette unité internationaliste et de classe ne pourra se faire que si, malgré la situation très difficile d’une population bombardée quotidiennement, la classe ouvrière et les secteurs populaires ne font aucune confiance au gouvernement de Zelensky, aux partis nationalistes réactionnaires et encore moins aux impérialistes « amis ». Toute tentative d’une réelle auto-organisation, indépendante et de classe, devrait être soutenue et encouragée.

Dans les pays occidentaux, à commencer par la France, le mouvement ouvrier, tout en dénonçant l’agression russe, doit adopter une position de totale indépendance vis-à-vis des plans de l’impérialisme. Contrairement aux regroupements de cette « gauche » pro-impérialiste, il y a urgence à commencer à regrouper les forces qui s’opposent à la guerre et qui dénoncent aussi bien le Kremlin que l’OTAN d’un point de vue de classe. Cette position est incompatible avec celle de ceux qui prônent le pacifisme diplomatique par en haut. La diplomatie impérialiste a le même objectif que le bellicisme impérialiste : bénéficier à l’impérialisme ou aux impérialismes les mieux positionnés.

Dans le cas de l’Ukraine, il est frappant de voir comment depuis 2014 comment la diplomatie par en haut et les accords de Minsk n’ont permis aucunement d’empêcher le déclenchement d’une guerre réactionnaire. Mais notre position est également incompatible avec ces secteurs qui considèrent que l’opposition de la Russie et de la Chine à l’ordre mondial dominé par les Etats-Unis fait d’elles des « puissances anti-impérialistes ». Le prétendu « monde multipolaire » que certain prônent serait aussi un monde réactionnaire d’exploitation et oppression, certes mieux réparties entre puissances rivales, non moins prêtes à régler leurs conflits à travers des guerres meurtrières.

Pour la classe ouvrière européenne et du monde entier, il s’agit d’empêcher le déclenchement d’autres guerres par les puissances mondiales enfermées dans une concurrence réactionnaire. En ce sens, parler d’une issue ouvrière indépendante ne consiste pas seulement à poser la question de quelle serait la voie pour mettre fin à la guerre, mais aussi d’empêcher que la guerre reprenne plus largement, en cherchant à renforcer le rapport de forces en faveur des travailleurs face aux capitalistes. Cela signifie transformer le mouvement anti-guerre en quelque chose qui aille au-delà, qui ouvre la voie à la remise en cause du capitalisme, à la concurrence réactionnaire entre États jusqu’à la guerre et à la destruction de la vie. De façon regrettable, le NPA est enfermé dans une logique « possibiliste » et opportuniste qui l’amène à se mettre à la remorque de politiques réactionnaires.


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