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Haïti : les manifestations massives se poursuivent contre le gouvernement et la vie chère

Les manifestations contre la hausse des prix de l’essence continuent à Haïti et ont pris de l’ampleur ces derniers jours . Les rassemblements, consécutifs à l’annonce par le premier ministre d’un doublement du prix de l'essence, sont en réalité le dernier épisode de mobilisations contre un gouvernement rapace à la solde des États-Unis, dans un contexte de guerre des gangs.

Wolfgang Mandelbaum

3 octobre 2022

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Crédit photo : AFP

Les manifestations qui ont eu lieu à Haïti ces dernières jours et ces dernières semaines ont pour élément déclencheur la hausse brutale des prix du carburant, annoncée par le premier ministre Ariel Henry le 11 septembre dernier.

Depuis, des manifestations massives ont eu lieu dans la capitale, ainsi qu’à Carrefour, Gonaïve, Jacmel et se sont mercredi propagées à Okap (Cap-Haïtien), mais l’épicentre de la contestation se trouve dans la ville de Petit-Goâve, au sud-est de Port-au-Prince. Une grève organisée par les syndicats du 26 au 28 septembre a été très suivie, notamment dans le secteur des transports, évidemment très touché par l’augmentation du prix du pétrole. Pour Jacques Anderson Desroches, président de Fós Sendikal pou Sove Ayiti, « si l’État ne se résout pas à mettre fin à la libéralisation du marché du pétrole en faveur des compagnies pétrolières, et ne reprend pas la main dessus, [rien de bon n’en sortira] ». D’autres appels à la grève et à la mobilisation ont été lancé à la fin de la semaine.

La décision du gouvernement Henry de doubler le prix de l’essence à la pompe est un énorme coup dur pour les classes populaires du pays (la majorité des Haïtiens). L’essence est une denrée essentielle pour tous les Haïtiens, puisqu’en plus d’être utilisé comme carburant de véhicules, la plupart des hôpitaux, antennes-relais, en bref tout le pays, utilise des générateurs d’électricité fonctionnant à l’essence depuis les tremblement de terre de 2010 et de 2021 qui ont rendu inopérante ou instable une partie du réseau de production électrique du pays.

Mais les revendications des manifestants dépassent largement la seule question de la vie chère. L’assassinat, encore non élucidé, du premier ministre Moïse Jovenel en juillet dernier, a plongé dans une nouvelle crise politique un pays déjà très instable depuis le coup d’État de 2004 contre Jean-Bertrand Aristide, fomenté par les États-Unis et la France. Le premier ministre par intérim, Ariel Henry, s’accroche au pouvoir malgré l’absence de tout mandat, mais garde le soutien du CORE Group, une ONG créée à la suite du tremblement de terre de 2010, et pilotée par les États-Unis, la France et le Canada.

Les manifestations se sont accélérées ces dernières semaines, mais depuis 2018 au moins, le pays est régulièrement paralysé par des grèves et des manifestations massives qui vont bien au-delà du coût de l’essence  ; les mots d’ordres les plus fréquents sont très politiques : les revendications que l’on retrouve le plus souvent sont en effet une fin de l’ingérence des États-Unis et des autres puissances impérialistes et, depuis quelques mois, la démission du premier ministre non élu, corrompu et pion des États-Unis.

La fragilité de l’exécutif a facilité la mainmise d’une partie du pays dans les mains de plusieurs gangs, qui se livrent une guerre de territoire acharnée et ont causé la mort de milliers de personnes depuis le début de l’année, essentiellement dans la capitale Port-au-Prince, avec la complicité de policiers et de politiciens. Le gouvernement Henry n’a pas été en mesure de résoudre cette crise, et la voit même comme une aubaine, rejetant sur les gangs tous les malheurs du pays dont il est pour grande partie responsable.

Le pays est en outre paralysé par une crise économique permanente, qui s’est encore accentuée ces derniers mois avec la crise inflationniste mondiale. L’inflation a dépassé en juillet les 30 %, tandis que les salaires n’ont observé aucune augmentation. Haïti dépend beaucoup d’aides extérieures, mais le gros du pactole est soit détourné, soit accaparé par des gangs. Cette aide extérieure est de toute manière en grande partie distribuée à des ONG, très nombreuses dans le pays depuis le tremblement de terre de 2010, mais émaillées par des scandales : corruption, abus sexuels, non-distribution des stocks alimentaires... Au final, une partie infime de cet argent se retrouve dans les poches des Haïtiens qui en ont le plus besoin.

L’aide extérieure, à travers l’accord PetroCaribe, qui permettait à Haïti et aux pays des Caraïbes d’acheter du pétrole au Venezuela à des prix très avantageux, s’est tarie en raison des sanctions imposées par les États-Unis à l’encontre du régime castriste. Ce n’est là que le dernier des malheurs causés aux Haïtiens par l’empire étasunien, puisque le pays est toujours soumis à une dette indigne contractée après l’invasion du pays par les États-Unis en 1915 . Depuis, ces derniers n’ont eu de cesse de plonger le pays dans la misère, que ce soit en soutenant la dictature des Duvalier, en organisant des coups d’État, en multipliant les prétextes pour exercer une ingérence politique, la liste est sans fin.

La République Dominicaine voisine est en train de construire un mur le long de la frontière, qui « aidera les deux pays » à combattre la montée des gangs dans les deux pays, mais dont le principal but assumé est d’empêcher les Haïtiens de fuir la misère et de s’installer dans le pays. Les Haïtiens ne peuvent donc ni compter sur leur gouvernement, ni sur les puissances étrangères qui pillent sans relâche le pays, et ce depuis sa prise d’indépendance en 1804. Les Haïtiens ne peuvent compter que sur eux-mêmes, une réalité qui innerve les revendications des mobilisations des dernières semaines.


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