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Interview

« Ils me font payer ma lutte » : Laurent, licencié par Transdev pour avoir défendu le transport public

Après 22 ans de service, Transdev a licencié Laurent, contrôleur de bus. Un moyen de lui faire payer son investissement dans la grève. Dans un entretien, il revient sur son parcours et les conséquences de son licenciement.

Lorélia Fréjo

3 octobre 2022

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RP : Bonjour Laurent, comme tu l’expliquais dans une dernière interview pour nous, tu as été mis à pied pour faute grave puis licencié par Transdev en juillet dernier. Tu peux revenir sur le contexte qui entoure ton licenciement ?

Laurent : La direction m’a licencié après ma participation aux dernières grèves dans l’entreprise. J’ai été le bon bouc-émissaire, car j’ai participé à des luttes avec d’autres collègues. J’étais un des instigateurs des batailles contre la délégation du service de contrôle à une filiale privée, il y a deux ans. Par la suite, il y a eu une grève de deux mois pour les conditions de travail des conducteurs de bus (à l’automne dernier) où j’ai été très actif aussi. En fin de compte, ils me font payer ma lutte.

Transdev cherchait quelqu’un à réprimer. L’entreprise voulait virer ceux qui motivent les luttes, et faire peur aux autres salariés. La manière dont ça s’est passé pour moi, c’est une manière d’instaurer une peur aux salariés. Ce que dit la direction, c’est « si vous l’ouvrez trop, vous subirez le même sort ».

Juste après mon licenciement, ils ont joué sur le manquement de personnels de contrôleurs, pour faire intervenir la filiale, contre laquelle on s’était battus avec les collègues. Pour l’instant, ils ont engagé seulement 3 salariés de la filiale, mais petit à petit ils veulent maintenir la pression, mettre en concurrence avec la filiale sur le même réseau. C’est sûr que le fait que je ne sois plus là, ça les aide.

RP : Tu travaillais depuis quand chez Transdev ? Comment es- tu rentré dans l’entreprise ? Tu peux nous raconter ton parcours ?

J’ai 22 ans d’ancienneté dans l’entreprise. Je n’ai jamais eu de problème, j’ai toujours été un salarié exemplaire, jamais de soucis ni de retard, toujours sérieux dans mon travail. D’ailleurs, j’y ai même laissé ma santé : après 14 ans en tant que chauffeur de bus, ma santé s’est dégradée à cause des conditions de travail. J’ai développé des problèmes de dos, j’ai été opéré d’une hernie discale, et le chirurgien m’a expliqué que je ne pouvais plus être conducteur.

A partir de là j’ai subi un reclassement dans le service contrôle, en tant que contrôleur des titres de transport. Je me suis adapté même si ce n’est pas mon métier de prédilection. Mon truc c’était vraiment la conduite, c’était une passion.

Avant, j’ai fait beaucoup de boulots, des intérims, de la livraison. J’ai travaillé dans le commerce, la vente, j’ai fait pleins de petits jobs : déménageur, monteur de mobilier de bureau, etc. Jusqu’au jour où je suis tombé sur une annonce de recherche de conducteurs de bus, et j’ai postulé. J’ai commencé à Gennevilliers, j’ai fait du transport de personnel, des cars pour emmener les gens au travail. Ensuite j’ai été muté à Nanterre, car le service fermait, et j’ai commencé à travailler dans les bus urbains.

Il a toujours fallu qu’on lutte pour nos conditions de travail, mais ces derniers temps ça c’est amplifié notamment avec la mise en concurrence.

RP : Justement, comment vos conditions de travail ont évolué depuis la mise en concurrence, et le rachat du service public par Transdev ?

Laurent : Pour remporter le marché de la délégation de service public, Transdev veut réduire les coûts. Dans notre secteur, leur stratégie était d’éliminer le service contrôle et le service sécurité pour les rattacher à une filiale sous-traitante, avec des conditions vraiment déplorables.

Mes collègues et moi, on a lutté pendant des mois pour ne pas être transférés dans cette filiale, pour rester dans la masse salariale de la délégation de service public avec les conducteurs, pour garantir notre emploi. Si tu vas dans une filiale, tu perds la sécurité de l’emploi. Si dans 5 ans le service est racheté par la concurrence, on pourrait facilement perdre notre boulot. On aurait pu être remplacé par moins cher, ça supposait de perdre tous nos acquis. Donc, on a lancé un premier mouvement pour se battre contre les décisions de la direction. C’est allé loin, jusqu’à du harcèlement, jusqu’à nous retirer nos uniformes et nous faire travailler en civil, nous retirer de la fonction de contrôleur, c’était un système de pression. Notre combat a permis de sauvegarder 24 postes de contrôleurs et de sécurité, dans la délégation de service public. Et c’est justement ça qu’ils ont en travers de la gorge.

Transdev a maintenu les chauffeurs dans l’ignorance de ce qui allait leur arriver. Pendant que nous, les contrôleurs, étions pourchassés pour être mis dans une filiale, les collègues conducteurs ne me croyaient pas. Une fois qu’ils ont vu les conditions, ça a pété.

C’est pour ça que ça a pété en septembre, les conducteurs ont compris pendant l’été ce qu’ils allaient vivre. Entre les pertes de salaires énormes, l’augmentation des cadences, ça ne pouvait qu’exploser. Maintenant, ils ont inventé le temps indemnisé (TI), c’est-à-dire que les chauffeurs vont bosser plus de 40/41h et n’être payés que 35h, sur le temps de service. Avant on était payé du début à la fin de service. Là ils décomptent les temps où tu n’es pas au volant : les temps de battement, les temps de charge, les pauses, tout nous est décompté. Ça fait que le gars va bosser 9h et être payé 6h30. C’est du travail dissimulé, donc les gars sont sur les rotules. Pareil sur les amplitudes, tu peux avoir 13h de travail dans une journée, une partie le matin et une partie le soir. Tu commences à 6h, tu arrêtes à 9h, après tu reprends de 15h à 19h. C’est super dangereux, tu accumules de la fatigue. Il y a des collègues qui habitent trop loin pour faire l’aller-retour, et puis avec le prix de l’essence, tu es obligé de rester au dépôt. C’est pour ça que j’ai été solidaire et quand ils se sont mis en grève, je me suis battu avec eux.

RP : Comment ça s’est passé du coup ton licenciement ? Tu as été prévenu comment ?

Je suis resté 35 jours dans le doute, mis à pied, sans salaire, ni rien. On me disait de garder espoir, que j’allais être repris. J’avais été reçu par la direction, une semaine après ma mise à pied (comme l’oblige la loi) et même le directeur du centre m’avait laissé entendre qu’il ne voyait pas d’inconvénient à ce que je reprenne, sous conditions évidemment. Ironiquement, il m’a même dit « c’est entre 48h et un mois la mise à pied, mais ne t’inquiète pas ça ne fera pas un mois ». Rires…, il m’a laissé 35 jours.

C’est beaucoup de stress, d’inquiétudes. Tu nages dans le doute. On ne devrait pas te laisser comme ça. C’est très dur à vivre, c’est un système de pression. Après je ne sais pas ce qu’ils cherchaient, sans doute à m’isoler des collègues. Le directeur du dépôt dit que ça vient de plus haut, du directeur du pôle. Apparemment, il aurait même dit « ça me coutera moins cher d’aller aux Prud’hommes, que de le maintenir dans la société ».

Ils veulent que je serve d’exemple.

RP : J’imagine qu’un licenciement aussi violent ça doit avoir des conséquences sur ta santé et ta famille. Comment tu t’en sors financièrement depuis ? Avec l’inflation, et les prix qui augmentent...

Ce n’est pas évident, même de l’avouer en direct. Ma concubine est très malade, je voulais la préserver, j’ai eu du mal à lui dire. Malheureusement c’est elle qui a réceptionné le courrier de mise à pied. C’est un boulot difficile en plus, même si on s’adapte et qu’on essaie de bien faire, d’être traité comme ça c’est insupportable. Même pour mes enfants, ça les perturbe. Ma fille de 14 ans, je vois que ce n’est pas facile pour elle.

Et le plus dur c’est l’aspect financier, parce que je vais toucher mes indemnités chômage seulement en octobre. Normalement, j’aurais dû avoir 5 semaines de congés payés, ce qui représentait un salaire, mais ils m’ont fait tellement de déductions incompréhensibles, que j’ai atterri à un solde de tout compte à 398 euros, c’est tout ce que j’ai gagné depuis juin. Par contre, ils ont quand même déclaré mes congés payés à Pôle Emploi, sans les déductions, ce qui fait que ça a repoussé l’arrivée de mes allocations. Donc, c’était la galère pour tenir.

Avec l’augmentation des prix, l’inflation, c’est dur. Avec ma femme, on a voulu changer de vie et quitter Paris, acheter une maison. Tardivement, parce que j’ai 48 ans, on a un crédit de 25 ans et on paye cher. Se retrouver dans cette situation, c’est d’autant plus difficile du coup.

RP : Tu as d’autres possibilités pour trouver un emploi ailleurs ? Comment tu vois l’avenir si tu n’es pas réintégré ?

C’est très compliqué de trouver un autre travail, après être resté 22 ans dans une entreprise. Du jour au lendemain, tu te retrouves sans emploi. Je n’avais jamais été à Pôle Emploi avant et à mon âge, on se demande ce qu’on va faire. Mais j’essaie d’aller de l’avant, et je reste combatif. `

RP : Tu vas faire quoi pour contester la décision de Transdev, qu’est-ce que vous avez prévu avec tes collègues ? Quelles sont vos revendications ?

On organise en ce moment une campagne photo, et on essaie de faire des liens avec les autres secteurs. Récemment, Sud Éducation a voté à l’unanimité une aide financière pour moi.

Au niveau des chauffeurs, beaucoup sont à fond avec moi, et on va continuer de revendiquer ma réintégration. On a également créé une caisse Cotizup pour que je puisse m’en sortir financièrement.

RP : En ce moment, beaucoup d’autres travailleurs subissent comme toi de la répression dans leurs secteurs, notamment dans les services. Il y a le cas des 140 chauffeurs de train de la SNCF, ou encore de Kai, professeur en lycée à Nanterre. T’en penses quoi ?

Laurent : Je me sens concerné, car je vis la même chose. Et ça me donne vraiment l’envie de faire converger nos luttes, contre cette répression patronale, qui plus est sur des salariés combatifs, ou même simplement syndiqués. Nous devons créer une convergence, s’appuyer les uns les autres dans nos résistances à cette répression.

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