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Inde

Inde. Deux semaines de manifestations contre une loi islamophobe, près de 30 morts

Depuis deux semaines, l'Inde se soulève contre une loi islamophobe votée par le Parlement indien, sous contrôle du parti gouvernemental nationaliste hindouiste. La répression, particulièrement violente, a fait 27 morts.

Cléo Rivierre

30 décembre 2019

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Cet article a été en partie traduit et adapté depuis Left Voice, le « site frère » d’information de RévolutionPermanente.fr aux Etats-Unis

Il y a deux semaines, le gouvernement indien, dirigé par Narendra Modi, faisait passer une loi intitulée Citizenship (Amendment) Act (CAA). Cette loi de citoyenneté, ouvertement discriminatoire, facilite l’accès à la citoyenneté à tout réfugié d’Afghanistan, du Bangladesh et du Pakistan, à l’exception des seuls musulmans. La loi précise que les migrants sans papiers doivent appartenir à l’une des six religions suivantes pour être éligibiles à la citoyenneté : hindouisme, boudhisme, sikhisme, jaïnisme, zoroastrisme, christianisme. Cette loi a été proposée par le gouvernement indien, dirigé par Narendra Modi du Bharatiya Janta Party (BJP), un parti nationaliste hindouiste – et votée par le Parlement, qui est sous son contrôle.

Une loi sur la citoyenneté fortement discriminatoire

La loi en question est un amendement à la loi sur la citoyenneté de 1955. Cette nouvelle loi réduit la période de résidence nécessaire pour être éligible à la citoyenneté de 11 à 6 ans, mais seulement pour les migrants non-musulmans des pays voisins à majorité musulmane.

Selon Gilles Boquérat, chercheur associé à la fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), cité par La Croix, « L’une des craintes avec cette loi, c’est que cela débouche sur une autre promesse de campagne du gouvernement, à savoir le Registre national de citoyenneté ». Ce registre est une tentative de créer une nouvelle liste des citoyens indiens à travers une procédure extrêmement compliquée et qui reposera individuellement sur les épaules de chaque habitant. Il sera très difficile pour les plus pauvres, possédant peu de documents officiels, de prouver leur citoyenneté.

Le passage de la loi CAA est une victoire décisive pour le BJP ( Bharatiya Janta Party) et son projet nationaliste hindou. Depuis leur réélection en mai, leurs promesses d’améliorer la situation économique du pays sont devenues impossibles à croire. À la place, ils travaillent à la mise en place de leur vision d’un État-nation et d’une identité nationale infusée dans l’hindouisme traditionnel. Une des nombreuses preuves de ce programme discriminatoire envers les musulmans : les événements récents au Cachemire, à majorité musulmane, dont le statut d’indépendance relative avait été révoqué par Narendra Modi et dont le territoire avait été mis sous couvre-feu militaire par le gouvernement central indien.

Pour les musulmans, qui en plus d’être le deuxième plus grand groupe religieux en Inde, constituent la vaste majorité des migrants sans papiers et font déjà face à une discrimination et à une violence systémiques, la loi CAA est une loi accablante. Si elle est couplée au registre national de citoyenneté, elle pourrait rendre apatrides des centaines de milliers d’entre eux, et cela sans aucune possibilité d’obtenir ni la citoyenneté ni les droits humains et démocratiques élémentaires. La loi menace également d’autres groupes de migrants en situation précaire comme les Tamouls du Sri Lanka ou les Rohingyas du Myanmar.

Des manifestations massives dans tout le pays

Bien que le gouvernement BJP ait été en capacité de mettre en place son programme sans trop de difficultés jusqu’ici, la mise en place du Citizenship (Amendment) Act a donné lieu à des manifestations massives dans tout le pays, qui durent depuis maintenant deux semaines. Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues – les communautés musulmanes, mais aussi les étudiants et d’autres secteurs de la population.

La mobilisation a été violemment réprimée par la police, faisant 27 morts, ainsi que par des coupures d’internet dans de grandes parties du pays, tout particulièrement dans les centres névralgiques du mouvement comme Delhi, Assam, Aligarh, et le Bengale occidental.

Plus de 100 étudiants ont été blessés après que la police ait fait usage de gaz lacrymogènes et ait tabassé des manifestants à l’Université musulmane d’Aligarh ainsi qu’à l’université Jamia Millia Islamia de New Delhi. Les étudiants d’Aligarh se sont violemment affrontés à la police, poussant la direction de l’université à fermer celle-ci jusqu’au nouvel an.

Selon RFI, « au Bangalore, 140 personnes ont été arrêtées [lundi 23 décembre] alors qu’elles manifestaient contre la loi sur la citoyenneté. » .

Une partie de la répression la plus brutale a lieu dans les États du nord-est, où le gouvernement central a déployé plus de 5 000 paramilitaires pour réprimer le mouvement. Dans l’État d’Assam, en plus du couvre-feu et du black-out internet, les manifestants se sont affrontés à la police dans des émeutes, faisant plusieurs morts et blessés. De plus, la répression prend des formes inquiétantes avec l’usage de la reconnaissance faciale des manifestants par ordinateur, sur la base de vidéos filmées par la police et de contrôles poussés à l’entrée des manifestations.

Des marches de solidarité et des manifestations ont eu lieu dans tout le pays, non seulement contre la loi de citoyenneté mais aussi contre la répression et les violences policières.

Et maintenant ?

Parmi l’opposition, il y a un consensus contre la loi. Les différents leaders ont tenté d’apparaître comme les dirigeants de la mobilisation. Neuf États, par la voix de leurs ministres en chef, ont annoncé qu’ils refuseraient d’appliquer le CAA dans leurs États. De plus, certains se sont joints aux manifestations.

Selon de nombreux analystes, cette mobilisation a un caractère inédit. Dans les colonnes de La Croix, Gilles Boquérat la qualifie d’« unique dans l’histoire de l’Inde indépendante ». Ce qui est nouveau, c’est d’un côté l’ampleur de la répression et l’autoritarisme grandissant du pouvoir central, mais aussi l’ampleur des manifestations, qui ne sont pas limitées aux grandes villes libérales mais se répartissent dans l’ensemble du pays, donnant une opportunité aux masses populaires de repousser la droite nationaliste. Mais des victoires de ce type ne pourront être obtenues qu’en rompant avec la classe politique, y compris les leaders de l’opposition qui participent aux manifestations dans une visée opportuniste tandis qu’ils promeuvent le même type de politiques néolibérales qui ont permis l’ascension du BJP.

Si les leaders de l’opposition appellent à la révocation de la loi sur la Citoyenneté, cet appel ne va pas assez loin. Il est possible d’exiger bien plus, de dépasser la simple question du retrait de la réforme. La lutte contre la loi sur la citoyenneté et le registre national peut devenir celle de l’obtention de droits et de libertés démocratiques pour tous les migrants sans papiers. Mais pour cela il est nécessaire que les travailleurs, les opprimés et la jeunesse indienne rompent avec les leaders politiques qui font partie intégrante du système.


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