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Interview. À Bordeaux, certaines associations sont exclues de l’accès à la Banque Alimentaire

Alors que les files de demandes de colis alimentaires augmentent dans plusieurs secteurs, dont les étudiants, qui font face à des situations de plus en plus difficiles et toujours plus précaires, la Fondation Abbé Pierre qui finançait par La Banque Alimentaire un certain nombre d'associations pour les maraudes envers les SDF, a interdit l'accès à l'association Les Maraudeurs, ainsi que Onzième Thèse, qui distribuaient des colis également aux étudiants.

Petra Lou

5 avril 2021

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Crédits photo : aqui.fr

Depuis plusieurs semaines, des étudiants organisés dans des comités de lutte contre la précarité, ont lancé, à l’initiative du collectif Onzième Thèse, une épicerie solidaire à l’Université de Bordeaux sur le campus de la Victoire, où les distributions alimentaires, en centre-ville, se font plus rares. Depuis quelques semaines, tous les vendredi, elle distribue plus d’une cinquantaine de colis, à des étudiants précaires, des différents campus et résidences universitaires. C’est suite à la projection dans la sphère médiatique de la détresse étudiante que des comités de lutte contre la précarité ont vu le jour à Bordeaux, et qui, avec le collectif Onzième Thèse ont été à l’initiative d’actions de solidarité, avec des distributions alimentaires, notamment le 9 mars à l’Université Bordeaux Montaigne, pour médiatiser cette précarité grandissante. Mais au-delà de distribuer des colis, les étudiants qui ont commencé à s’organiser ne souhaitent pas en rester là : préparer la bataille pour mettre fin à la précarité de façon pérenne, pour ne plus avoir à dépendre de la charité ! Et c’est à ce moment-là, quand les étudiants s’organisent et remettent en cause la situation catastrophique, en dénonçant la responsabilité de l’État et le rôle des institutions face à la détresse dans la jeunesse grandissante, c’est là qu’arrivent les problèmes.

Depuis à peine deux semaines, l’association Les Maraudeurs aidait le collectif Onzième Thèse à récupérer de la nourriture pour les étudiants précaires, pour l’épicerie solidaire et le Village 6, où une distribution alimentaire se faisait également de façon hebdomadaire. La semaine passée, un article a été publié dans SudOuest sur l’épicerie solidaire de Bordeaux Victoire, et c’est lui qui a mis "le feu aux poudres" nous dit un militant de l’association des Maraudeurs que nous avons interrogé (que nous gardons anonyme).

C’est à partir de cet article, que la Fondation Abbé Pierre décide de suspendre l’accès à ses réserves à cette association qui fait des maraudes chaque semaine pour les Sans Domicile Fixe dans les rues de Bordeaux. "On a été jetés comme des voleurs, parce qu’on a prêté main forte aux étudiants avec l’association Onzième Thèse pour en venir en aide aux étudiants précaires" nous dit le militant de l’association, en rajoutant : «  nous aurions dû en rester à de la maraude pure et non élargir notre champ d’action qui n’était pas parti dans un mauvais état d’esprit puisque la lutte contre la précarité est l’une des luttes qui s’inscrit dans l’identité de l’association « les maraudeurs  », "C’est dégueulasse dans le sens où eux ils veulent « sanctionner » les Maraudeurs pour faire passer de la bouffe au V6 et pour l’épicerie. C’est parce qu’on n’a fait quelque chose où eux ils ne sont pas présents [Fondation Abbé Pierre, Banque Alimentaire]".

Il continue, en expliquant que c’est à partir du moment où les associations font de la politique, que ça pose problème : "Dès que t’as une asso qui va être un peu politisée, on va nous tomber dessus en faisant le rapprochement avec l’ultra gauche". Quand il a eu la Fondation Abbé Pierre au téléphone, rien de négociable, "C’est comme ça qu’on a à faire avec les grandes institutions comme la Fondation Abbé Pierre, et qu’on passe par des réseaux indépendants ou non institutionnels, ça passe mal. Et c’est pour ça que je suis encore plus convaincu de la nécessité de faire revenir la solidarité dans une dynamique indépendante, sans avoir affaire aux institutions."

Il revient sur la Banque Alimentaire, dont le Président, Jean-Louis d’Anglade, qui possède un château dans le Médoc, ou le vice-président, Jean-Claude Fayat, qui est le Président Directeur Général du Groupe Fayat (leader mondial dans le BTP) sont des grands patrons, qui par la Banque Alimentaire finalement font une image de solidarité, mais qui reste sélective : "il y a du favoritisme sur ces assos libérales/sociales qui tournent autour de Bordeaux". "Pour moi la solidarité doit s’organiser de façon indépendante, mais quand tu sors du carcan habituel certaines organisations n’acceptent pas cette méthodologie" nous explique le militant. Un scandale, alors que la Fondation Abbé Pierre voulait arrêter les distributions alimentaires à partir du 31 mars qui correspondait à la fin de la trêve hivernale, même si le gouvernement pour la crise a prolongé celle-ci jusqu’au 30 juin. "D’un côté, il y a une solidarité libérale et sélective, de l’autre, une solidarité humaine. Nous on est anticapitalistes et humanistes au sens propre du terme" résume le militant de l’association. En plus de ça, les colis de la Banque Alimentaire ne sont pas gratuits, même s’ils sont moins chers et font de la redistribution, que dans la Grande Distribution, c’est pas toujours évident pour en venir en aide à des milliers de personnes aujourd’hui dans le besoin, et qui doivent se serrer la ceinture, et sauter des repas.

Pour le militant que nous avons interrogé, la situation de précarité de la population est dramatique, et s’est vue accentuée depuis le début de la crise. Avant le confinement, l’association Les Maraudeurs distribuait entre 50 et 60 repas par semaine, le lundi. Aujourd’hui, ce sont plus de 150 repas chaque semaine qu’ils distribuent à des SDF, des travailleurs précaires, des étudiants, ou encore des livreurs à vélo. S’il est difficile aujourd’hui de chiffrer la pauvreté grandissante, le militant nous raconte qu’ils ont des appels à l’aide de plusieurs secteurs, comme Cadillac, ou Langon : "Il va falloir réfléchir comment on fédère, ces deux secteurs où c’est la catastrophe, pour tous les âges, jeunes, et travailleurs". "Bordeaux c’est une bombe à retardement, le Sud Gironde, une deuxième.".

Quand nous l’interrogeons sur les chiffres de population concernée par le besoin alimentaire, il explique : "Bordeaux Lac, tu comptes déjà à peu près 200 personnes qui vivent dans les tentes. À ça tu rajoutes les 20 personnes aux cabanes sur les quais à Sainte Croix, ensuite les précaires des foyers du 115. T’as à peu près 3000 SDF recensés sur Bordeaux, et 3000 qui sont dans le besoin alimentaire tous les jours. Il y en a 2500 qui ne sont pas prises en charge dans le circuit des associations, et c’est là où les maraudes arrivent, et pallient à l’absence des institutions".

Une situation difficile à chiffrer, mais où le nombre de précaires explosent "si tu comptes, les gens au chômage, ceux au RSA, les habitants des quartiers populaires, les étudiants précaires, les gens qui dorment dans leur voiture, les retraités précaires... ça en fait un paquet !". Sur le plan géographique de la ville, il nous explique : "Aujourd’hui il y a les quartiers où cette précarité explose, à Saint Michel, Victoire, Benauge ou autre, mais en réalité aujourd’hui c’est surtout en dehors de la CUB [NdA : Agglomération bordelaise] qui est mal ou pas desservie par le réseau de transports. À cause de la politique immobilière de Juppé, tous ces gens se sont retrouvés en dehors de l’agglomération, repoussés toujours plus loin dans la Gironde, où la précarité s’est répartie au fur et à mesure des politiques de gentrification. Ça a isolé les gens à l’extérieur de la ville, avant tu pouvais te loger à Lormont, Floirac, Cenon, etc., aujourd’hui ça a évolué encore, tous ces secteurs populaires deviennent chers, il s’agit de plusieurs secteurs en dehors du centre-ville de Bordeaux.Aujourd’hui, les gens sont obligés de partir encore plus loin, secteur du Blayais, Libournais, Langonais ou de Lesparre, cela a un coût notamment carbone avec des déplacements toujours de plus en plus longs malgré les transports en commun présent. Une heure de route pour aller travailler, qui peut accepter autant de différence sur le plan géographique ? Le pire dans tout ça, c’est que tout le long du lit de la Garonne de Langoiran, en passant par Cadillac, Langon et La Réole sont des secteurs accessibles, mais c’est en zone inondable, cela s’est vu pendant la période hivernale. Les Plans Locaux d’Urbanismes méritent que l’on y jette un coup d’œil car avec le réchauffement climatique et les problèmes d’inondations, ces secteurs-là finiront par devenir inhabitables. Voilà où l’on repousse la pauvreté, par les politiques de gentrification, et de spéculation immobilière, la population précaire est parquée de plus en plus loin des centres-villes."

Une situation dramatique, où les inégalités explosent de plus en plus avec la crise, et où chaque jour les associations répondent à un besoin urgent pour des secteurs de la population qui ne peuvent même pas se nourrir. Cela se couple avec la politique scandaleuse de la préfecture, qui multiplie les expulsions de squats, jetant des centaines de familles à la rue, sans aucune solution de ré hébergement viable et pérenne.

Pour ces raisons, la suspension à ces associations de l’accès à la Banque Alimentaire est scandaleux, et celui-ci devrait être ouvert à toutes et tous, gratuit, parce qu’il n’y a rien de négociable dans la solidarité avec des personnes qui ne peuvent pas remplir l’un des besoins vitaux élémentaires, à savoir se nourrir. Mais en plus de cela, il faut exiger également une prise en charge de toutes et tous, ainsi qu’un toit pour toutes les personnes aujourd’hui à la rue, alors que des dizaines de milliers de logements restent vacants dans la Gironde, mais aussi dans toute la France. Le scandale de la suspension de l’accès aux réserves de nourriture de la part de la Fondation Abbé Pierre et la Banque Alimentaire, qui exige de son côté de la part du collectif Onzième Thèse de faire ses distributions en collaboration avec le CROUS, montre que lorsqu’on sort des carcans institutionnels, et quand c’est les étudiants eux-mêmes, par exemple, qui prennent en charge un problème vital pour des milliers de précaires, cela pose problème. Alors que le gouvernement continue de donner des milliards d’euros sur un plateau d’argent aux grandes entreprises, pendant que des milliers de personnes se font licencier, ou deviennent de plus en plus précaires, il est plus que jamais nécessaire de pointer la responsabilité de l’État, mais aussi de rappeler, qu’au-delà des distributions de colis, il va falloir aller plus loin, et mener un combat d’ensemble contre le patronat, le gouvernement, pour mettre fin de façon pérenne à cette précarité, et que ce ne soit ni aux classes populaires, ni aux travailleurs, ni aux jeunes, de payer la crise.


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