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Aéronautique

Interview d’un ouvrier de l’aéro. Construire l’unité face aux attaques du patronat

Le patronat passe à l’offensive dans le secteur de l’aéronautique comme dans d’autres secteurs de l’industrie, suite à la crise sanitaire du printemps, qui a réduit la production, et à la persévérance du virus Covid-19 qui a fait diminuer le trafic aérien, la bourgeoisie industrielle du secteur fait le choix habituel de cette classe : faire payer la crise aux salariés.

Igor Krasno

20 octobre 2020

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Crédits photo : Usine Nouvelle

En effet, alors que les entreprises leaders du secteur sont globalement en bonne santé économique, celles-ci ont massivement recours aux licenciements à travers la dénomination hypocrite de PSE (Plan de Sauvegarde de l’Emploi) comme chez AAA, chez Airbus ou encore, à des baisses de salaire à travers la mise en place d’APC (Accord de Performance Collective) comme chez Derichebourg.

Ces mesures ont pour objectif de sécuriser la capacité des entreprises à reverser des dividendes à leurs actionnaires en réduisant la part salariale du budget de l’entreprise. Une autre conséquence de cet épisode de crise est la pression exercée par les entreprises leaders du secteur sur leurs sous-traitants. 

En effet, alors que le secteur se concentrait autour d’une poignée d’acteurs jusque dans les années 1990/2000, depuis les difficultés financières du groupe Airbus après le développement de l’A380, Airbus et les leaders du secteur ont massivement fait appel à des sous-traitants de manière à réduire les coûts opérationnels et à réduire la masse salariale tout en conservant la majorité de la plus-value réalisée lors de la vente du produit fini. 

En effet, des pans entiers de l’industrie aéronautique ne sont plus pris en charge par l’entreprise principale du secteur (Airbus) mais sont pris en charge par des sous-traitants qui réalisent une partie importante du travail de fabrication des pièces dans des entreprises extérieures, mais aussi d’assemblage de pièces au sein même des usines Airbus. 

Cela a entraîné une dégradation des conditions de travail des travailleurs, tout en permettant d’instituer une ambiance de concurrence et de précarité dans un secteur qui n’a qu’un seul débouché : les avions de la marque Airbus (le duopole étant complété par Boeing pour lequel travaillent également les sous-traitants). Le recours massif à la sous-traitance a également permis de mettre en place un fractionnement et un isolement des travailleurs dans des petites entreprises, de manière à briser la possibilité d’une conscience de classe et du rapport de force qui pourrait être favorable aux travailleurs dans un secteur aussi concentré.

Damien est ouvrier de la sous-traitance dans ce secteur en Occitanie, il nous livre sa vision des relations entre le donneur d’ordres unique Airbus et les différentes chaînes de sous-traitants. Il répond aux questions d’Igor Krasno pour Révolution Permanente, comme complément à l’interview des initiateurs de la rencontre de travailleurs de l’aéronautique qui a eu lieu le 17 septembre.

Igor Krasno : Quand on parle de crise dans l’aéronautique, on parle souvent des acteurs principaux, pourtant il semble bien que si le produit fini est un objectif commun, il existe une multitude d’acteurs qui n’ont pas tous le même rapport avec le donneur d’ordres Airbus. Peux-tu nous expliquer comment la crise impacte les chaînes de production du secteur ?

Damien : Un objectif commun, bien sûr. Nous sommes autour de 100.000 salariés sur la seule région toulousaine à travailler sur les mêmes avions et au final pour le même donneur d’ordres : Airbus. La crise de l’aéronautique nous impacte tous, des ouvriers chez Airbus jusqu’à ceux de la plus petite PME sous-traitante, mais pas forcément de la même manière. Dans la chaîne de sous-traitance, plus on descend les maillons, plus les entreprises sont petites et pressurisées par leurs donneurs d’ordres, tout en étant complètement dépendantes. En effet, l’aéronautique a bénéficié pendant des années de conditions très favorables pour les entrepreneurs par rapport à d’autres secteurs de l’industrie, ce qui fait que très peu de ces entreprises ont cherché à diversifier leur activité avant la crise. Aujourd’hui, par ce système de sous-traitance en cascade, les donneurs d’ordres ont tout pouvoir de vie ou de mort sur les sous-traitants. A chaque passage d’un maillon de la chaîne à celui d’en-dessous, les prix sont réduits, les délais raccourcis et les exigences qualité accentuées jusqu’à l’absurde. La concurrence est telle, que des entreprises sont prêtes à tout accepter, même des marchés à perte, pour faire rentrer un peu de travail, en espérant se faire bien voir et décrocher des contrats plus rentables par la suite

IK : Les entreprises sous-traitantes, bien qu’en théorie indépendantes des donneurs d’ordres, doivent donc respecter à la règle leurs exigences. Peux-tu nous donner des exemples concrets de ce que cela implique ?

Damien : Les délais sont toujours plus courts dans une logique de flux-tendus, alors que dans certains cas, ce sont les sous-traitants eux-mêmes qui doivent assumer les frais de stockage (ceux-ci fabriquent des pièces qui sont livrées au client, stockées chez le client, mais qui ne seront payées au fabricant que lors du prélèvement pour l’assemblage final !). Un bon moyen de maintenir une pression permanente sur les fournisseurs. 

IK:Tu parles d’exigences qualité « accentuées jusqu’à l’absurde », que veux-tu dire ?

Damien : En ce qui concerne les exigences qualité, celles-ci sont de plus en plus dissociées de la fonctionnalité réelle des pièces fabriquées. Mais qu’importe, les écarts de qualité permettent aux donneurs d’ordres de facturer des frais supplémentaires de non-conformité au sous-traitant. Ainsi, le sous-traitant assume tous les risques et le donneur d’ordres empoche les surfacturations et fait du bénéfice au détriment du sous-traitant, c’est la stratégie du parapluie maximum.

IK : Ces conditions sont déjà présentes en temps normal, qu’est-ce que ce fonctionnement induit en période de crise ?

Damien : En période de crise, cette concurrence folle est encore plus agressive. Les petits sous-traitants sont obligés de tout accepter pour survivre et se retrouvent à accentuer la pression sur leurs salariés pour aller encore plus vite sur des produits encore plus complexes. Cela en ayant déjà réinternalisé tout ce qu’il faisait lui-même sous-traiter à de plus petites boîtes avant la crise. Dans cette jungle capitaliste, seul le plus bestial survit. Nos patrons sont prêts à se bouffer les uns et les autres sans états d’âme, pendant que les plus gros profitent bien des aides d’Etat. Et dans ces usines, les ouvriers se retrouvent d’autant plus isolés, sans représentation syndicale, sans aucune tradition de lutte, souvent sans information non plus.

IK : Peux-tu nous en dire un peu plus sur l’ambiance qui règne au sein des PME chez les salariés ?

Damien : La menace du licenciement pèse sur toutes les têtes et la plupart des ouvriers sont persuadés que la seule chose à faire est de courber l’échine et attendre que ça passe en espérant le moins de casse possible. Tout en sachant que des licenciements seront inévitables, chacun espère ne pas être concerné et dommage pour les collègues... et chacun se résigne à accepter la dégradation de ses conditions de travail, de ses revenus. Travailler plus vite, plus longtemps et pour moins cher. Se faire bien voir de sa hiérarchie et compenser l’absence des premiers partis. « Il ne faut pas gâcher une crise » disait Guillaume Faury, le PDG d’Airbus, au moment de sa prise de fonction. On est en plein dans cette logique.

IK : D’après toi, quelle logique les travailleurs du secteur devraient-ils adopter face à cette situation ?

Damien : Face à un tel constat, il semble assez clair que la lutte sociale ne se situe pas uniquement au niveau de sa propre entreprise mais à l’échelle de toute la filière aéronautique. Le seul moyen d’engager un véritable contre-pouvoir est de ne pas rester isolé chacun dans son usine, seul face à sa peur et sa détresse, mais de faire se rencontrer tous ces travailleurs pour penser ensemble à construire un rapport de force à grande échelle. Face à l’ensauvagement du capitalisme, on appelle à la solidarité sectorielle de tous les salariés de l’aéronautique pour ne pas laisser tomber leurs camarades déjà touchés. Car nous serons tous touchés très bientôt ! Face à une telle catastrophe sociale, on ne peut plus laisser la division syndicale jouer ses petits jeux corporatistes. Face aux trahisons des uns, à la passivité des autres, au rejet très fort des syndicats de la part des travailleurs, la seule issue possible est l’auto-organisation des travailleurs par des rencontres, des assemblées générales, la création de collectifs capables de coordonner les luttes, de proposer des perspectives concrètes pour ne plus subir isolément et passivement les attaques du patronat. En face, ils savent s’organiser pour détruire droit du travail et combativité pour préserver leurs profits, la seule riposte possible passe par l’union des travailleurs !

La rencontre qui a eu lieu le 17 septembre à la bourse du travail de Toulouse est un premier pas dans cette direction et c’est très positif. L’appel adressé à l’ensemble des travailleurs du secteur de l’aéronautique] réalisé à l’issue de la rencontre et qui va servir de base de travail à la construction d’un large front pour préparer une riposte face aux attaques du patronat est une étape nécessaire pour constituer un front combatif !


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