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Femme, vie, liberté

Iran. Contre l’instrumentalisation de la révolte, la nécessité d’un féminisme anti-impérialiste

La révolte se poursuit en Iran, avec la présence d’une majorité de la population guidée par les femmes iraniennes. Alors qu’en France des voix tentent d’instrumentaliser la solidarité avec les femmes iraniennes à des fins réactionnaires le mouvement féministe doit formuler une position clairement anti-impérialiste.

Cécile Manchette

6 octobre 2022

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Une manifestation en Turquie en hommage à Mahsa Amini. Crédits photo : OZAN KOSE / AFP

La mort de Jina Mahsa Amini des mains de la police des mœurs a été l’étincelle d’un mouvement d’ampleur en Iran qui perdure depuis plusieurs semaines. Une révolte qui s’est concentrée à ses débuts dans le Kurdistan Est d’où est originaire Jina Mahsa Amini, avant de s’étendre au reste du territoire iranien.

Aujourd’hui c’est une majorité de la population qui descend dans la rue, ou a participé aux journées de grève générale au Kurdistan iranien. Au cours d’une révolte exemplaire les iranien.nes exigent la fin du port obligatoire du hijab, l’une des premières mesures instaurées sous la république islamique en 1979, et plus largement la fin de ce régime théocratique, profondément réactionnaire et autoritaire.

Le mouvement en Iran a suscité des réactions d’un ensemble de figures médiatiques et politiques à travers le monde. En France, les interventions de l’extrême droite et de la droite cherchent à instrumentaliser la lutte des femmes iraniennes au service de leur agenda politique raciste et xénophobe, dans le but de stigmatiser d’avantage les populations musulmanes en France au nom des droits des femmes.

Lutter pour l’émancipation des femmes iraniennes va de paire avec la lutte contre ce prétendu « féminisme universaliste » qui n’en est pas, car il ne sert qu’à renforcer l’oppression des femmes et, plus largement, des peuples opprimés par des États comme la France à travers le monde. À rebours de ces conceptions, le mouvement féministe doit rappeler que la libération des peuples opprimés viendra d’eux et d’elles-mêmes, et que la solution ne peut être qu’internationale.

L’instrumentalisation du féminisme à des fins réactionnaires, de l’extrême droite et de la droite…

Face au soulèvement, en France, les médias dominants relayent la parole de figures « historiques » du mouvement féministe français comme Elisabeth Badinter, qui profitent de la révolte des femmes iraniennes contre l’obligation du port du hijab et l’oppression par le régime pour dénoncer « la soumission » des femmes portant le voile en France et des « néo-féministes » de gauche qui les défendent.

Dans le même sens, publiée sur Valeurs actuelles, une tribune d’Alexandra Borchio-Fontimp, sénatrice LR des Alpes-Maritimes, fustige ainsi « ceux qui, en France, associent le voilement à la liberté ». Le président LR du Sénat, Gérard Larcher estime ainsi que ces évènements doivent « faire réfléchir ceux qui disent que porter le voile est un signe de liberté ». Eric Zemmour lui aussi a saisi l’occasion au vol pour attaquer une gauche qui aurait renié « la laïcité » et serait soumise à « l’agenda islamiste » : « La gauche défend le droit de porter le voile partout. Mais en Iran, elle explique que c’est formidable de l’enlever. Il faut choisir ! On ne peut pas être Mahomet à Paris et Voltaire à Téhéran. »

Pour ces figures réactionnaires de droite et d’extrême droite : « le voile porté par les Françaises est le même que celui que brûlent les Iraniennes ». Ainsi, « peu importe qu’il soit porté par obligation dans un état autoritaire religieux ou par choix dans une démocratie laïque, il n’existe en réalité aucune différence dans les faits. Une idéologie ne connaît aucune frontière, c’est même ce qui constitue sa principale force. Le voile ne fait pas exception. ». Ces figures réactionnaires instrumentalisent une lutte pour la liberté de disposer de son corps pour défendre les lois répressives telles que l’interdiction du port du voile sur le sol de la « démocratie laïque » française. Cela a pour finalité le renforcement de l’appareil policier et répressif de l’Etat français, tout en invisibilisant le caractère systémique du patriarcat qui ne connaît pas de frontières.

… à la gauche institutionnelle et républicaine

Mais cette rhétorique ne se limite pas à la droite et à l’extrême droite. Elle est reprise très largement, y compris par des relais de la gauche institutionnelle, comme on l’a vu suite à une polémique autour de Sandrine Rousseau qui a été huée lors d’une manifestation en soutien au mouvement en Iran. Des figures du Parti socialiste comme Laurence Rossignol ou Lamia El Aaraje lui ont ainsi reproché de représenter « des groupes politiques qui considèrent le voile comme une ‘liberté’ des femmes ».

Des figures du PS contribuent à assimiler les femmes voilées, mais aussi celles et ceux qui militent contre l’islamophobie dans le contexte français, à des militant.es de l’islam politique qui défendraient le port du voile en soi comme un vecteur de « liberté ». Dans le sillage de l’offensive réactionnaire menée par le gouvernement contre les militants de gauche sous-couvert de « la lutte contre l’islamo-gauchisme », cela sert en dernière instance l’agenda réactionnaire de ce dernier, à l’heure où Gérald Darmanin poursuit sa politique raciste et xénophobe avec son projet de loi sur l’immigration. Le fait qu’une partie de la gauche institutionnelle, fidèle à « l’unité républicaine », reprenne cette rhétorique à son compte est loin d’être un élément nouveau, comme on a pu le voir récemment lors du vote de la loi séparatisme où des élus du PS et du PCF ont appuyé l’offensive islamophobe du gouvernement.

Le voile : une passion française qui remonte à l’époque coloniale

Ces positionnements sur la situation en Iran tendent à diffuser une vision réductrice de la mobilisation actuelle, présentée comme une révolte « contre le voile » alors qu’il s’agit d’une mobilisation contre le port obligatoire du voile sous un régime réactionnaire, libéral, et autoritaire, et qui va bien au-delà. Azadeh Khian, sociologue précise dans un article : « Il y a aujourd’hui une confusion, parfois délibérée, qu’on retrouve même chez certaines féministes françaises très laïcistes et républicanistes, entre le refus du port obligatoire du voile, et le refus du voile. En Iran, il y a un régime islamique au pouvoir depuis 1979, qui instrumentalise le port du voile et l’islam à des fins politiques et de pouvoir, ce qui n’est pas le cas en France. On ne doit pas accepter ces récupérations qui se font sur des généralisations : ça va à l’encontre des intérêts de ce mouvement iranien et des femmes iraniennes. Ce que les Iraniens rejettent, c’est l’islam politique. Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement le voile, c’est la question des droits des femmes, des droits humains, de la liberté, de l’avenir démocratique, et les revendications d’ordre économique et social. »

Cette vision corrobore avec un imaginaire colonial de longue date de « dévoilement » des femmes des pays colonisés par les pays occidentaux tels que la France. Nima Naghibi, universitaire, ajoute à ce sujet : « Depuis le XIXe siècle, les puissances coloniales européennes ont utilisé le symbole du voile pour justifier leur présence coloniale dans divers pays, comme l’Algérie, l’Égypte, etc. Les régimes coloniaux français et britannique ont utilisé la rhétorique de la libération de la femme musulmane des “chaînes du voile” et ont présenté leurs propres sociétés comme des lieux idéaux pour l’épanouissement du féminisme. Aujourd’hui, cette représentation de la femme voilée et opprimée justifie la discrimination à l’encontre des populations musulmanes dans les pays occidentaux et alimente les sentiments anti-immigrants en Europe et en Amérique du Nord. »

Ces prises de position d’une grande partie du champ politique et médiatique justifient ainsi en France, au nom des droits des femmes, les lois étatiques défendant l’interdiction du port du voile dans un nombre toujours plus étendu d’espaces publics depuis la loi de 2004, et conduit à stigmatiser ainsi qu’isoler les femmes musulmanes ou supposées l’être. Des politiques qui n’œuvrent en rien à l’émancipation des femmes, mais au contraire concourent à leur faire subir un ensemble de violences institutionnelles et physiques.

C’est contre les politiques répressives et racistes de l’État français à l’encontre des femmes musulmanes ou assimilées comme telle que des féministes, mais aussi une partie de l’extrême gauche, se positionnent. Non en défense du port du voile qui, en tant qu’expression d’une religion, a un caractère patriarcal.

Contrairement à ce que font les réactionnaires et ceux qui relaient leur discours au nom d’un prétendu « universalisme », la question du port voile ne peut être détachée de celle du rôle de l’État français dans l’oppression des femmes musulmanes ou assimilées comme telles, à la fois sur le territoire français et à l’étranger. En particulier, on ne peut comprendre des phénomènes tels que l’application de la charia dans un certain nombres de pays sans analyser le rôle des États impérialistes comme la France dans l’arrivée au pouvoir de régimes réactionnaires au Moyen-Orient.

Ni impérialisme occidental, ni forces réactionnaires : construire la solidarité avec les femmes iraniennes

La plupart des positions prises à propos de la situation en Iran dans le champ politique se rejoignent in fine sur un point : demander au gouvernement français d’intervenir sur la question, soit pour mettre la pression au régime iranien jusqu’à envisager le recours à des sanctions, soit en légiférant en France contre le port du voile. Ce faisant, elles vont directement à l’encontre des intérêts de celles et ceux qui se révoltent en Iran.

En effet, la France fait partie des pays qui soutiennent les sanctions économiques qui frappent l’Iran depuis plusieurs décennies, ces mêmes sanctions qui plombent l’économie iranienne et plongent la population iranienne dans la pauvreté. Elle fait également partie des pays signataires de l’accord sur le nucléaire de 2015 ayant entrainé l’installation de grandes entreprises françaises en Iran dont Total ou PSA, et donc la réalisation de profits dont la population n’a évidemment jamais vu la couleur. Le jour où la révolte des femmes iraniennes a éclaté, Emmanuel Macron était d’ailleurs occupé à négocier la question du nucléaire iranien directement avec le président de la République islamique honni de la révolte, Ebrahim Raïssi, à New York. On voit ici clairement combien ce ne sont pas les intérêts des femmes et de la classe ouvrière iranienne que l’État français défend.

C’est en cela qu’Emmanuel Macron et ses prédécesseurs sont complices de la situation actuelle de la population iranienne. C’est pour cela aussi que tout ce qui tend à interpeller le gouvernement sur son silence quant à la répression en Iran sans dénonciation claire de sa politique impérialiste et de ses conséquences, comme le fait une partie de la diaspora iranienne mobilisée en France mais aussi une partie de la gauche et du mouvement féministe, entretient l’idée que l’État français pourrait jouer un rôle progressiste en intervenant dans la situation iranienne.

Or justement, la lutte contre l’oppression des femmes, des femmes musulmanes en France et en Iran, doit se faire en indépendance totale à la fois des États impérialistes, et des régimes nationaux réactionnaires comme l’actuel régime théocratique iranien.

Fariba, une militante communiste iranienne disait lors d’une interview en 2019 : « L’internationalisme ne consiste pas à supplier les féministes occidentales de venir dans nos manifestations et de prendre la parole pour nous. C’est gentil évidemment et cela nous apporte du soutien, mais nous avons besoin de plus. Nous avons besoin d’un mouvement de lutte international et uni contre le système de classe et patriarcal. » En réalité, la meilleure manière d’aider la mobilisation iranienne est donc tout d’abord de dénoncer sans complaisance l’impérialisme français et de s’organiser en indépendance de l’État français et de ses relais institutionnels.

Pour une issue ouvrière et populaire à la mobilisation

Le fait de se focaliser sur la question du voile dissimule le caractère extrêmement profond et complexe de la crise qui est le résultat des épisodes de luttes de classes qui secouent l’Iran ces dernières années.

Depuis trois semaines, la révolte ne fait que grandir et entraîne plusieurs secteurs de la population. Des militants insistent en particulier sur la composition inédite de cette révolte où se mobilisent à la fois des femmes, des minorités ethniques telles que les Kurdes, et différentes couches sociales. D’autres spécialistes de l’Iran insistent également sur le fait que les hommes se mobilisent massivement en soutien des revendications féministes et pour la chute du régime.

Au micro de Révolution Permanente, une des co-organisatrices du rassemblement qui a eu lieu ce dimanche à Paris souligne à quel point le mouvement remet en cause l’ensemble de la société iranienne, expliquant : « les jeunes Iraniens sont aussi dans la rue contre la vie chère, le chômage et 40 ans de vie sous une dictature. » Depuis ce lundi en effet, des milliers d’étudiants manifestent dans des dizaines d’universités du pays face à l’absence d’avenir et de perspectives dans le pays.

Dans un entretien à Radio classique, la sociologue Azadeh Kian, indique que le fait que la contestation s’étende aux ouvriers du pétrole pourrait jouer un rôle décisif : « si le régime continue à réprimer, ils vont cesser le travail et fermer le robinet de pétrole. C’est exactement ce qui s’est passé en 1979, ce qui avait contribué à la chute du régime du Shah ». Déjà en 2018, l’Association des travailleurs de l’électricité et du métal de Kermanshah avait publié une déclaration défendant les actions des femmes protestant contre le hijab obligatoire : « il ne fait aucun doute que les filles et les garçons de « l’Avenue de la Révolution », comprennent également des travailleurs et des travailleuses et des personnes issues de la classe populaire. Par conséquent, la classe ouvrière iranienne, dont la moitié est constituée de femmes, considère le mouvement actuel contre le hijab obligatoire comme lui étant intrinsèquement lié et est obligé de le soutenir avec détermination. ».

En 1979, après que la révolution a démarré dans les bidonvilles à l’initiative des pauvres des villes et que le mouvement étudiant l’ait rejoint, c’est la classe ouvrière, en particulier celle du secteur pétrolier qui lui avait donné une force capable de donner un coup décisif au régime du Shah. Aujourd’hui, la détermination et la combativité du peuple iranien pourrait renverser le régime réactionnaire de Khomeini si elle se combinait à la force de la classe ouvrière.

En France, le fait de continuer de développer un mouvement de solidarité internationaliste est crucial. Un mouvement qui doit se prononcer clairement à la fois contre le régime iranien et contre les politiques impérialistes, en particulier contre les sanctions économiques qui visent l’Iran et contre l’instrumentalisation raciste de la révolte en France. Seule la poursuite et l’extension des journées de grève combinée à la lutte pour des droits démocratiques et contre les oppressions, dans la perspective d’une révolution socialiste, pourra permettre une issue ouvrière et populaire à la crise que connaît l’Iran. C’est pour défendre cette perspective que nous intervenons avec Du Pain et des Roses dans les rassemblements qui se tiennent actuellement dans plusieurs villes françaises, ainsi qu’à New York.


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