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Asie du Sud-Est

L’ASEAN légitime le pouvoir des militaires au Myanmar

A l’issue de la toute première initiative régionale destinée à trouver une solution diplomatique à la crise politique du Myanmar, les dix pays membres de l’organisation d’Asie du sud-est sont parvenus à un « consensus » qui ne répond pas du tout aux attentes du peuple.

Margot Vallère

26 avril 2021

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Le sommet spécial de l’ASEAN, l’Association des Nations du Sud-Est asiatique, consacré à la situation au Myanmar s’est tenu le 24 avril à Jakarta en présence de l’auteur du coup d’État, le général Minh Aung Hlaing, et de hauts responsables des 9 autres États membres de l’Association régionale. Aucun représentant du Gouvernement d’Union Nationale (GUN), regroupant les opposants au putsch, n’était invité. Une autre absence remarquable était celle du premier ministre thaïlandais Prayuth Chan-o-Cha, lui-même auteur d’un coup d’Etat en 2014 qui lui avait permis de s’emparer du pouvoir et proche du général birman.

Douze semaines après le coup d’Etat et alors 748 personnes sont mortes, tuées par la police et par l’armée selon les chiffres de l’association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP), l’ASEAN a publié un « communiqué de consensus » en cinq points, dont l’objectif est la cessation des violences dans le pays. A l’ordre du jour, les dirigeants des pays membres appellent dans un premier temps à la cessation immédiate de la violence au Myanmar, ainsi qu’à la construction d’un « dialogue constructif entre toutes les parties concernées pour rechercher une solution pacifique dans l’intérêt du peuple ». Concernant l’arrêt des violences, une mention stipule que « toutes les parties doivent faire preuve de retenue », fermant les yeux sur la répression féroce que subissent les opposants au régime militaire depuis près de trois mois et omettant que la première des violences réside dans le coup d’Etat, par essence antidémocratique et violent.

Une attitude qui tend à légitimer le chef de la junte Min Aung Hlaing, responsable de la crise que connaît le pays. Outre les cinq points qui restent pour le moment très abstraits aux yeux de la population, aucun calendrier ni aucune menace de sanction n’a été débattu en cas de manquement de la part de l’armée birmane, au dit « consensus ». De fait, le général et son armée ont toujours carte blanche pour réprimer dans le sang les contestataires qui connaissent leur lot de morts, de blessés et de disparus. Dès lors, il apparaît clair que les dirigeants de l’ASEAN n’ont que faire du sort de la population birmane, qui refuse et se bat avec ses faibles armes depuis le coup d’Etat militaire.

Par ailleurs, l’objectif de ce sommet était bien la cessation des violences « par les deux parties » et non le départ du gouvernement militaire qui ne bénéficie d’aucune légitimité populaire. En effet, l’ASEAN reste une association de nations sur des bases économiques et représente le cinquième bloc économique mondial derrière l’Union européenne, les Etats-Unis, le Chine et le Japon. Constitué d’économies très hétérogènes, l’association est fondée sur un modèle de croissance extraverti, c’est-à-dire ouverte au commerce international et aux IDE (Investissements directs à l’étranger) et à l’ouverte à la concurrence. L’ASEAN a donc tout intérêt à pacifier ses différents territoires afin de faire fonctionner son économie au maximum. Or, la contestation qui perdure et l’approfondissement du conflit évoluant vers une potentielle conflagration armée n’arrange en rien les dirigeants du bloc.

L’organisation est également très dépendante de la Chine sur le plan économique puisqu’elle est son cinquième partenaire économique. Cette dernière n’a par ailleurs pas cessé ses relations avec le Myanmar après le coup d’Etat. La Chine n’a que faire de la situation politique au Myanmar et du traitement que subit la population tant que ses intérêts sont protégés. En effet, la Chine a de nombreux intérêts économiques dans plusieurs régions, notamment l’Etat de Rakhin, contrôlé par l’armée de l’Arakan qui est une ethnie minoritaire du Myanmar. Soutenue par la Chine, la région avait passé un accord de paix avec le gouvernement militaire qui lui confère un statut d’autonomie relative. Véritable point stratégique pour la puissance chinoise, la région est le point de départ de deux pipelines transportant du gaz et du pétrole. De par sa situation géographique stratégique pour l’Etat chinois, la région du Rakhin abritera bientôt un port en eaux profondes qui facilitera le commerce chinois, en évitant de passer par les eaux de ses rivaux.

Dépendante économiquement de la Chine, l’ASEAN se montre extrêmement conciliatrice envers le gouvernement militaire et l’institution n’existe en réalité que pour encadrer l’économie des pays membres et défendre leurs intérêts. Ne voyant pas d’intérêt particulier à menacer la junte militaire, elle la laisse réprimer le peuple birman, tout en appelant formellement à la cessation des violences. Sous couvert de la défense des droits de l’homme, de telles organisations n’œuvrent qu’à la stabilisation des régimes mais évidemment pas à l’instauration de réelles démocraties. Par ailleurs, beaucoup des pays membres actuels sont des régimes semi-dictatoriaux, comme c’est le cas de la Thaïlande. En effet, l’association a cautionné l’établissement de régimes autoritaires afin d’assurer la stabilité nécessaire pour attirer les investisseurs étrangers.

La majeure partie de la population n’était d’ailleurs pas dupe face à la tenue d’un tel sommet et les réactions sur les réseaux sociaux reflétaient la colère de la jeunesse face à l’ASEAN. Dans un article du Monde on peut lire des témoignages de birmans insurgés contre les décisions prises à l’issue du sommet : « « Ce communiqué [de l’Asean] ne reflète pas le désir d’un peuple qui exige la libération des prisonniers, le respect des résultats du processus électoral et la restauration de la démocratie », a réagi un autre Birman du nom de Nang Thit Lwin ».

Cependant, dans un communiqué du Gouvernement d’Unité Nationale, à l’issu de la réunion de l’ASEAN, ont écrit que la déclaration qui venait d’être adoptée était une « nouvelle encourageante », alors que celle-ci n’évoque même pas la question de la libération des détenus politiques. Le communiqué abonde en éloges à l’égard de l’ASEAN, déposant des illusions sur le rôle de cette institution réactionnaire. Cela est un exemple clair de comment cette direction bourgeoise ne répond nullement aux intérêts des jeunes, de la classe ouvrière et des secteurs opprimés de la société.

Alors que l’ASEAN organise des sommets qui n’ont pour but que la stabilité et la défense des intérêts économiques de l’organisation elle-même mais aussi de puissances comme la Chine, la jeunesse et les travailleurs du Myanmar n’ont rien à attendre de telles réunions qui n’œuvrent ni pour la démocratie ni pour représenter la voix du peuple opprimé. La jeunesse et la classe ouvrière du Myanmar ne peuvent avoir confiance qu’en leurs propres forces pour renverser la junte militaire, ainsi qu’en la solidarité des classes populaires des pays voisins et du monde entier.


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