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Les tensions montent

L’Algérie et le Maroc sont-ils rentrés dans une escalade inarrêtable ?

Alger accuse Rabat d’avoir assassiné trois citoyens algériens au Sahara Occidental et promet une réponse. Un « accident » qui pourrait avoir des conséquences néfastes pour les populations des deux pays.

Philippe Alcoy

4 novembre 2021

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Lundi 1er novembre deux camions étaient bombardés au Sahara Occidental tuant trois routiers algériens. Il s’agissait des camions de marchandise faisant le trajet entre Nouakchott en Mauritanie et Ouargla. Selon les témoignages et informations recueillies par le site MENA Défense, « les deux camions revenaient à vide, leurs remorques n’étaient pas recouvertes de bâches. Les tracteurs étaient blancs et leurs remorques jaunes, sans aucun signe distinctif indiquant une quelconque menace ou le transport de quelconque marchandise prohibée ». Aussi selon plusieurs sources, au moment de l’attaque les routiers se trouveraient à l’arrêt pour manger.

Le gouvernement algérien a presque immédiatement accusé le Maroc de l’attaque. Étant donné que les camions se trouvaient à au moins 30 km de la zone contrôlée par le Maroc au Sahara Occidental (80% du territoire est occupé par le Maroc, et 20% contrôlé par les forces indépendantistes du Front Polisario) et que la frappe était très précise, aussi bien les autorités algériennes que les experts militaires estiment qu’il s’agit de sans doute de drones turcs ou israéliens que le Maroc s’est procuré récemment. Cependant, jusqu’à présent le gouvernement algérien n’a pas été capable de présenter des preuves tangibles de la responsabilité marocaine.

L’Algérie promet cependant de réagir. S’il est ainsi très probable qu’il y ait une réponse de la part d’Alger, il est pour le moment difficile de dire quelle sera la nature de celle-ci. Certains analystes estiment que la réponse algérienne ne sera pas directe mais plutôt indirecte à travers un renforcement de la concurrence diplomatique dans la région et notamment au Sahel.

Cependant, la question centrale pour comprendre la réaction algérienne et les différentes prises de positions et polémiques au niveau international du gouvernement de Tebboune est la crise du régime du FLN. Face à cette crise, qui a été accentuée après le mouvement de contestation sociale de 2018, le Hirak, le gouvernement algérien a besoin de causes qui créent « l’unité nationale » derrière lui. Les tensions réactionnaires avec le Maroc lui offrent en ce sens une opportunité très importante ; les récentes disputes avec la France, ancienne puissance colonisatrice, aussi.

Cela ne veut cependant pas dire que le Maroc ne fait que subir la « propagande » algérienne. Loin de là. Que le régime algérien n’ait pas été en mesure de présenter des preuves tangibles de l’implication du Maroc dans l’assassinat des routiers algériens ne veut absolument pas dire que Rabat n’en est pas le responsable. De plus, le Maroc est passé à l’offensive pour l’annexion du Sahara Occidental depuis l’année dernière et la signature des « Accords Abraham » promus par l’administration Trump mais aucunement remis en cause par Joe Biden. Ces accords ont permis au Maroc d’obtenir la reconnaissance de la part de l’impérialisme nord-américain de sa souveraineté sur le Sahara Occidental en échange de la « normalisation » des relations entre le Maroc et Israël.

L’annexion du Sahara Occidental de la part du Maroc, en totale violation du droit à l’auto-détermination du peuple saharaoui, permettrait à Rabat non seulement l’exploitation des richesses minières du territoire mais aussi de devenir maître de routes commerciales importantes connectant l’Afrique de l’Ouest et l’Europe. Les États-Unis sont loin d’être les seul à soutenir le Maroc sur ce dossier, la France s’est rangée du côté de Rabat depuis longtemps. En effet, selon le cessez-le-feu de 1991 un référendum sur l’indépendance du Sahara Occidental devait avoir lieu, mais depuis le Maroc bloque sa tenue.

L’Algérie a ses propres raisons de soutenir les indépendantistes du Front Polisario. Il y a évidemment une tradition politique de soutien du FLN aux mouvements de libération nationale. C’est d’ailleurs dans ce cadre que l’Algérie traditionnellement et officiellement soutient le peuple palestinien. Ces questions ne sont pas purement symboliques mais ont des implications politiques étant donné que la population algérienne est très attachée à ces causes. Mais il existe d’autres raisons qui expliquent l’intérêt algérien pour le Sahara Occidental, notamment des intérêts économiques, l’exploitation des richesses minières et probablement offrir une sortie directe dans l’Océan Atlantique pour les exportations algériennes.

Cette situation de tensions entre le Maroc et l’Algérie aura potentiellement des conséquences pour les pays de la région mais aussi pour les puissances impérialistes impliquées dans la zone, à commencer par la France. En effet, on a vu déjà comment les frictions entre Paris et Alger ont conduit à la fermeture de l’espace aérien algérien pour les avions militaires français combattant au Sahel dans le cadre de l’opération Barkhane. En effet, la politique de l’Algérie au Sahel pourrait compliquer la stratégie française dans un moment délicat pour le gouvernement français où les relations avec les putschistes maliens sont très froides et où Emmanuel Macron joue sa réélection et veut à tout prix éviter que le dossier malien s’impose comme un sujet débattu pendant la campagne.

Tout cela se produit dans un contexte mondial où les différentes puissances impérialistes sont en crise et chercher à réorganiser leur politique étrangère. C’est le cas notamment des États-Unis qui en quittant l’Afghanistan se lancent dans leur tournant Indopacifique cherchant à contenir et faire plier la Chine. Ces changements ont des conséquences sur les relations entre puissances impérialistes, comme on a pu le voir avec la crise des sous-marin australiens. Mais cela laisse également de l’espace pour que des puissances régionales tentent de modifier le rapport de forces sur certains dossiers. C’est le cas du Maroc et le Sahara Occidental. Et c’est le cas également de l’Algérie qui s’érige en défenseur de la cause légitime du peuple saharaoui mais visant des objectifs réactionnaires de concurrence avec son voisin pour déterminer lequel sera le principal interlocuteur des puissances impérialistes dans la région.

Dans ce contexte il nous faut réaffirmer une chose clairement : notre soutien total au droit à l’auto-détermination du Sahara Occidental, libéré de l’oppression marocaine et de la tutelle algérienne, et encore plus de la domination des puissances impérialistes.


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