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Continuité pédagogique ?

L’éducation et le rôle des enseignants à l’épreuve du coronavirus

Dans de nombreux pays à travers le monde, la population est confinée et avec elle, les écoles ont massivement et brutalement fermé. Enseignants et élèves se retrouvent à faire la classe à la maison.

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Un rapport publié par l’UNESCO indique que « 1,5 milliard d’apprenants dans 165 pays sont confrontés à la fermeture de leur établissement scolaire en raison de la pandémie de Covid-19 … c’est près de 80 % de la population étudiante qui ne va plus à l’école ».

Partout dans le monde, les dirigeants finissent par faire le choix, bon-gré mal-gré, de fermer les écoles en privilégiant le travail d’enseignement en ligne. Face à cette injonction, quelle est la portée et les contradictions de la pédagogie en temps de crise sanitaire ? Comment enseignants, parents et élèves peuvent faire face à la crise sanitaire alors même que les gouvernements, eux, calculent combien les capitalistes perdent en suspendant les cours à l’école ? En effet, fermer les écoles a un coût économique indirect important pour les capitalistes et leurs gouvernements à leurs services. Un parent qui doit garder son enfant à la maison est un travailleur qui ne rapporte plus de profits pour le patron. On comprend mieux pourquoi le journal « The Economist » indiquait que « les données qui montrent le bienfait des fermetures des écoles pour freiner le Covid-19, sont limitées » ou que les enfants ne sont peut-être pas les « principales voies de transmission » affirmait encore Michael Head qui étudie la santé mondiale à l’université de Southampton au Royaume-Uni. Le 12 mars, le maire de New York, Bill de Blasio, a déclaré qu’il y avait « de nombreuses raisons » de ne pas fermer les 1 800 écoles de la ville (bien que le 16 mars, il l’ait fait, fermant le plus grand système scolaire des États-Unis pendant au moins quatre semaines). En retardant la fermeture des écoles tout en offrant aucunes mesures d’hygiènes, minimisant les risquent de contagion, au final les coûts vitaux, sociaux et éducatifs sont lourds.

En France, les enseignants ainsi que les élèves ont également eu droit à une cacophonie du gouvernement. Le 12 mars, Jean-Michel Blanquer annonçait que les fermetures d’écoles n’étaient pas à l’ordre du jour, tandis que, le soir même, le président Macron annonçait dans son allocution la fermeture des écoles dès le lundi 16 mars. Le ministre de l’Education nationale, mis en défaut, déclarait que « tout était prêt » laissant en réalité les professeurs et leurs élèves seuls pour gérer l’école à distance.

L’école à distance met en lumière le rôle social joué par l’école qui s’occupe des enfants des travailleurs et travailleuses des services essentiels tels que la santé, les services et les transports . On voit que lorsque le fonctionnement des écoles est affecté, cela génère un désordre qui doit être planifié et traité. Partout dans le monde, les questions sont similaires, et on voit que les écoles jouent un rôle dans la "garde des enfants" par les travailleurs de l’éducation, afin que les familles puissent aller travailler pour générer le profit des capitalistes.

Les deux faces d’une même pièce.

Cette fonction de "prise en charge" se combine avec la réalité selon laquelle les écoles publiques, loin d’être des espaces en dehors du système, sont des lieux qui préparent au "monde du travail". Les écoles publiques sont aussi des espaces où la main-d’œuvre (du futur travailleur) se reproduit socialement et idéologiquement.

Nous pouvons le constater à travers les programmes et les normes éducatives, ainsi que les méthodes, qui sont de plus en plus axées sur la préparation des enfants aux exigences du monde du travail, ainsi que sur les besoins immédiats des capitalistes, et beaucoup moins sur leur développement cognitif global. Aux États-Unis, par exemple, Bill Gates et Mark Zuckerberg ont préconisé l’enseignement de la programmation dès le plus jeune âge dans les écoles publiques pour former les futurs informaticiens performants dont ils ont immédiatement besoin ! Dans le même temps, les écoles privées les plus prestigieuses de la Silicon Valley n’autorisent pas l’utilisation d’ordinateurs en classe notamment parce que d’après les experts, cela nuirait au développement des sens artistiques et intellectuels pour les plus jeunes enfants. Il existe un agenda imposé par les entreprises en fonction de leurs besoins sur lequel les programmes et les propositions pédagogiques s’actualisent dans le monde entier.

Ainsi, l’illusion de l’égalité à l’école imposée par la bourgeoisie montre bien que l’école, dans cette société, divise, sépare et reproduit les classes sociales. Et parce que l’école reproduit les classes sociales, elle est à deux vitesses.

Par exemple, c’est cette école libérale qui a instauré l’école des compétences et du socle qui consiste à évaluer les savoirs-faire au détriment des savoirs. Le socle de compétences n’offre qu’un smic culturel, en l’occurrence, pour reprendre l’expression du sociologue Christian Laval, « ce que le plus mauvais des élèves du plus mauvais des collèges doit savoir ». La culture et les savoirs ne sont plus valorisés pour eux-mêmes mais ce qui importe c’est le savoir-faire. Or, les enfants ont tous le droit à un accès à la culture et aux savoirs qui ne soit pas dépendant du milieu social auquel il appartient. Sous couvert de vouloir réduire les inégalités, cette réforme déclare la guerre aux pauvres et aggrave la ségrégation sociale par la mise en place du socle commun de compétences. La fonction de l’école dans l’économie capitaliste a toujours été de mieux former les élèves au monde de l’entreprise, de reproduire les classes sociales et de les légitimer.

Dans cette période, la continuité pédagogique, c’est en réalité continuer à imposer un système de performance, à l’opposé ce dont nous avons besoin dans la période. Ce que nous affirme Blanquer en minimisant l’échec de la continuité pédagogique en réalité c’est sa volonté de maintenir une société de classe et d’inégalités. Ce gouvernement multiplie les cadeaux au patronat et force les salariés à se rendre au travail dans les entreprises non essentielles, malgré les risques qu’ils prenaient pour leur santé. C’est son ministère qui a imposé aux enfants de ces travailleurs précaires, de continuer les cours, de continuer à rendre des devoirs, à être évaluer, parce que pour eux dès leurs plus jeunes âges, il faut continuer à noter et à être mis en concurrence afin de poursuivre la politique libérale.

Education 2.0. Accès et qualité : une question de classe

Face à la crise ouverte par la Pandémie et à l’impossibilité d’une éducation en face à face, les enseignants du monde entier ont rapidement agi partout dans le monde par la mise en place de façon créative et solidaire de différentes formes d’éducation.

L’éducation française compte plus de 12 millions d’élèves pour près d’un million d’enseignants. Très vite, les limites matérielles, mais aussi pédagogiques, se sont révélées en dépit des discours du ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, qui disait que « tout était prêt ». D’une part, les logiciels mis à disposition pour l’enseignement en ligne tels que « ma classe à la maison » sont saturés et les enseignants ont dû se reporter sur d’autres moyens pour assurer la continuité pédagogique imposée par le ministre. Ensuite, éthiquement, les enseignants sont en première ligne face aux inégalités sociales et structurelles que révèlent le confinement et « l’école numérique ». En effet, beaucoup d’élèves n’ont pas la moindre possibilité d’accéder à un ordinateur ou un téléphone portable de qualité et surtout à l’internet.

Et alors que les enseignants sont dans cette course effrénée pour ne pas laisser des millions d’élèves seuls, de nombreuses entreprises et fondations font la publicité de plateformes éducatives privées qui voient dans cette crise une juteuse opportunité d’augmenter leurs chiffres d’affaires. Sans oublier les applications suggérées pour les classes virtuelles qui appartiennent aux grands groupes comme Google Classroom qui ont longtemps cherché à prendre le contrôle des salles de classe.

En France, le ministre de l’Education nationale a lancé pour ces vacances le « label nation apprenante ». L’idée est de mobiliser les médias « labellisés » aptes pour dispenser les cours à la télé, la radio ou par papier. Le ministère explique que les médias labellisés doivent proposer des contenus qui respectent les programmes scolaires officiels. Certains proposent des émissions de qualité axant sur les connaissances et le développement culturel. Cependant, ce système ne doit pas être un précédent remplaçant un enseignant formé et surtout, la vigilance doit être importante quand aux médias proposant des programmes lorsque l’on sait que beaucoup appartiennent aux principaux patrons du CAC40.

Face aux difficultés d’accès au numérique, pensons par exemple à imposer aux gouvernements de garantir qu’aucune famille ne soit privée d’Internet et de communication, avec la réhabilitation de toutes les lignes qui sont déconnectées faute de paiement et la création de ligne pour ceux qui n’en ont pas ! Équipements et services de téléphonie fixe et/ou mobile gratuits fournis par les entreprises de télécommunications. Voilà des premières mesures qui peuvent être prises pour commencer à penser au terme « d’égalité ».

Dans ce contexte, on peut se demander, comment nous, travailleurs de l’éducation, pouvons exercer un contrôle sur l’éducation ? Comment réellement établir des liens de confiance avec les familles de travailleurs ? Comment lutter pour la démocratisation totale des établissements d’enseignement, avec un fonctionnement par assemblées, des postes révocables, des projets votés de bas en haut, en collaboration avec la communauté ? Comment travailler sur des projets et programmes décidés par nous-mêmes et par les principaux concernés, les élèves ?

Cette crise sanitaire offre l’opportunité de montrer que les politiques et injonctions imposées par en haut, par un ministère dépassé et en dehors des réalités quotidiennes ne résoudra en rien les problèmes. Ce sont donc les enseignants, les élèves, les parents qui ont l’expertise pour définir le rythme de travail et le contenu des apprentissages.

Comment faire ?

Les enseignants ont une tâche énorme, qui est de contribuer au processus d’éducation lui-même et en même temps à la construction d’une réalité différente, qui permet de réaliser une toute autre éducation. Dans l’immédiat, nous devons lutter chaque jour pour que l’éducation soit à la portée de tous. Nous avons besoin de plus de moyens et d’une garantie d’accès réel pour tous.

Au-delà même de garantir un suivi scolaire égalitaire, en Argentine, face à l’urgence de la crise sanitaire, les travailleurs d’une usine d’imprimerie argentine Madygraf, sous gestion ouvrière depuis cinq ans, s’est lancée dans la production de masques et de gel hydroalcoolique, pour les mettre au service de la population et permettre la résolution de la crise sanitaire en cours. Pour reconvertir sa production, en solidarité, les travailleurs ont reçu l’aide de professeurs d’université et d’étudiants.

A Cuba par exemple, le système de santé et d’’éducation sont reconnus partout dans le monde et sont le fruit d’une conquête révolutionnaire qui perdure malgré les critiques importantes faites à la bureaucratie au pouvoir dans le pays qui dirige de manière autoritaire, pouvoir qui permet la restauration capitaliste.

Le plan massif d’alphabétisation a été permis par l’instauration d’une école publique obligatoire et entièrement gratuite pour tous de la maternelle à l’université. Les élèves suivent les matières « classiques (maths, histoire, langues...) mais également des cours d’éducation au droit du travail ou encore des ateliers de découverte de travaux manuels. L’université permet de suivre les filières médicales, les sciences techniques, les sciences pédagogiques ou l’éducation technique professionnelle.

Ces acquis sont essentiels. Sans la révolution cubaine, ce petit pays pauvre (freiné par le blocus américain), l’île pourrait aujourd’hui se retrouver au même point qu’Haïti, qui possède l’un plus faibles indices d’alphabétisation mondial autour de 48,7%.

En tant que socialistes, nous savons que le véritable accès à la culture, à l’éducation, aux arts, etc., ne viendra pas de la main de la bourgeoisie, même en période de relative stabilité, et encore moins dans une crise d’une telle ampleur. C’est à nous, les travailleurs de l’éducation, les étudiants et les familles, qui luttons sans relâche pour le droit à une éducation de qualité gratuite, publique et émancipatrice, de l’imposer.


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