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Travail précaire dans l'Etat espagnol

« La grève des Telepizza a démontré que les secteurs précaires pouvaient s’organiser et lutter »

Dans l'Etat espagnol, les travailleurs de Telepizza sont en guerre contre l’entreprise qui refuse de leur verser le salaire minimum. Interview d'Asier, délégué de la CGT et président du comité d'entreprise de Saragosse sur les perspectives du conflit.

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Nous traduisons ici un article initialement paru sur La Izquierda Diario.es, qui fait partie du réseau international La Izquierda Diario dont fait partie Révolution Permanente.

Il y a quelques semaines, on apprenait que Telepizza ne payait pas le salaire minimum, pouvez-vous nous expliquer exactement ce qu’il se passe ?

C’est exactement ça. Telepizza, faisant preuve d’une arrogance illimitée, ne veut pas payer ce que la loi exige. Avec l’augmentation du salaire minimum de 735 à 900 euros, de nombreux salaires dans les secteurs les plus précaires sont restés inférieurs, et de nombreux employeurs ont simplement décidé de ne pas l’appliquer. Depuis janvier, nous n’avons pas reçu l’augmentation de plus d’un euro par heure qui correspond, en moyenne, à nos salaires, puisque la plupart d’entre nous reçoivent entre 250 et 300 euros par mois pour les contrats de quelques heures imposés par l’entreprise. Cela représente environ 40 ou 50 euros par mois et par travailleur, une somme que Telepizza gagne à nos frais.

Comment est-ce possible d’enfreindre la loi de manière aussi flagrante ?

Parce que l’État le permet. J’étais très en colère que le PSOE [PS espagnol] ait fait campagne autour de son augmentation du salaire minimum... Même si la loi n’est pas appliquée dans de nombreuses entreprises ! C’est bien de donner le chiffre de 900 euros, mais d’abord, même s’il était atteint, cela ne mettrait pas fin au travail hyper précaire imposé par toutes les réformes du travail du PSOE et du PP [Parti Populaire, droite conservatrice], et le salaire continuerait à être misérable. Deuxièmement, cette augmentation touche les secteurs les plus précaires et la précarité est aussi une atteinte aux droits syndicaux. Nous sommes les secteurs où il est plus difficile de s’organiser, où il y a plus de licenciements dus à la répression syndicale - comme cela m’est arrivé, bien qu’en fin de compte, avec la lutte, nous ayons réussi à le déclarer nul et non avenu - et donc où les patrons font ce qu’ils veulent. Ils violent systématiquement les contrats, les accords, même ce décret-loi sur l’augmentation du salaire minimum. Et que fait le gouvernement du PSOE ? Absolument rien, ni lui, ni l’Inspection du travail, ni les juges. Si nous voulons que cette montée en puissance devienne une réalité, nous ne pouvons compter que sur la force de la mobilisation.

Votre réponse a été de ne pas attendre, de vous organiser et partir directement en grève. Quel en a été le résultat ?

C’est qu’on ne peut pas attendre. Dans ces secteurs précaires, le turn-over est très élevé, ce qui signifie que pour l’entreprise, le temps est littéralement de l’or. Plus la mise en œuvre de l’augmentation prend du temps, plus vous économisez, car vous n’avez pas l’intention de payer les arriérés à tous ceux qui ont quitté l’entreprise jusqu’à ce que la situation soit réglée. Nous avons décidé de nous organiser et de nous battre, avec la première grève de l’histoire de Telepizza le 31 mai dernier, suivie par 60% du personnel. La grève de Telepizza a montré que les secteurs précaires peuvent s’organiser et se battre. Et en un mois, nous avons déjà obtenu que l’entreprise annonce une augmentation salariale de 10%, soit plus qu’au cours des deux dernières décennies. Pour vous donner une idée, de 2000 à 2016, notre salaire n’a augmenté que de 18 centimes. Toutefois, cette augmentation est encore inférieure à ce à quoi nous avons droit en vertu de la loi. C’est pourquoi nous frapperons de nouveau ce samedi 29 juin. De plus, la lutte s’étend à d’autres villes, comme à Barcelone, où une autre grève se prépare pour les semaines à venir et une grande solidarité s’éveille dans les réseaux et dans d’autres entreprises dans une situation similaire. En fait, après notre grève, des travailleurs d’autres entreprises nous ont dit que leurs salaires avaient soudainement augmenté.
C’est aussi une grande victoire pour nous. Si cette lutte sert à renforcer l’organisation des secteurs précaires, nous pourrons envisager non seulement l’application de la loi, mais aussi de commencer à inverser l’hyper-exploitation dont souffre le personnel d’entreprises telles que Telepizza, Dominos, Glovo, Deliveroo ou Burger King, pour ne citer que les plus connues.

Comisiones obreras [CCOO, syndicat espagnol] a annoncé son intention de lancer une campagne pour dénoncer les entreprises qui refusent de mettre en œuvre l’augmentation du salaire minimum. Qu’en pensez-vous ?

Nous pensons que c’est bien, il faut dénoncer tous ces abus. Mais ce que nous ne partageons pas, c’est la stratégie de la direction du CCOO selon laquelle cette lutte devrait être limitée aux tribunaux. Si nous nous limitons à dénoncer et à attendre, il est fort possible que nous perdions ou qu’ils rognent sur la hausse. Les entreprises veulent que les augmentations soient comptées comme faisant partie du salaire de base auquel l’augmentation du salaire minimale devrait s’appliquer, et non comme des augmentations qui iraient au-delà du salaire minimum une fois celui-ci appliqué. Il y a des jugements contre cela et d’autres en faveur. La clé pour obtenir des verdicts favorables est, avant tout, qu’il y ait une grande mobilisation derrière chaque dénonciation. Et les dirigeants du CCOO et de l’UGT [autre confédération syndicale espagnole] refusent de le faire pour l’instant. En fait, le CCOO de Telepizza Saragosse ne soutient même pas la grève. Je pense que ce que les grands syndicats devraient faire, comme beaucoup de leurs membres et électeurs le pensent, c’est d’organiser un grand plan de lutte dans tous ces secteurs. C’est la meilleure garantie pour obtenir 100% de la hausse, mais ce serait aussi une grande avancée pour organiser les secteurs les plus précaires et arrêter les patrons dans leur course pour abaisser infiniment nos conditions et droits de travail.

Comme vous l’avez dit, votre lutte a une grande répercussion de sympathie dans les réseaux : que diriez-vous à tous ceux qui vous soutiennent et qui se joignent à la dénonciation de la précarité et de l’arbitraire de Telepizza ?

Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour votre soutien, qui est essentiel. Quand un secteur aussi précaire fait le pas de s’organiser et de sortir pour lutter, la solidarité est la clé pour briser la peur. Mais je vous dirais aussi que cette lutte va au-delà de Telepizza ou de l’augmentation du salaire minimum. Si elle suscite tant de sympathie, c’est parce qu’il y a vraiment un malaise contenu, un désir de "rébellion des précaires" ou quelque chose comme ça. Les problèmes que nous dénonçons sont l’héritage de millions de travailleurs, en particulier les plus jeunes, les immigrés et les femmes qui travaillent. Le despotisme des employeurs s’est fortement accru avec la crise et l’avancée de la précarité. C’est pourquoi j’espère que cette lutte, comme celles des camarades de Riders ou Las Kellys, comme toutes les luttes des précaires, servira à mettre en place un grand mouvement contre le travail précaire. En commençant par la coordination avec les secteurs qui sont déjà en difficulté et en amenant l’organisation à de plus en plus d’entreprises.

C’est la politique que les grands syndicats devraient prendre en main, mais leurs directions sont totalement bureaucratisées et depuis des années ils ne défendent ni n’organisent les travailleurs, surtout les plus précaires. C’est pourquoi il est essentiel de lutter pour reconquérir nos organisations, les sections syndicales, les comités d’entreprise, voire les grands syndicats. Nous, à Telepizza, nous avons réussi à récupérer le comité d’entreprise et dans la section syndicale de l’UGT, nos collègues ont réussi à le récupérer pour l’orienter vers un syndicalisme combatif. Sans cela, la grève aurait eu beaucoup plus de difficultés à se mettre en place ou aurait été boycottée plus facilement. Sans délégués militants, il n’est pas possible d’organiser la lutte. De plus, la bureaucratie syndicale achète les délégués les plus actifs avec des temps de délégation syndicale, tandis que Telepizza leur offre de l’argent pour quitter l’entreprise, comme ils l’ont récemment tenté. La tâche de récupérer les syndicats est essentielle pour que la classe ouvrière cesse de perdre ses positions et retrouve sa capacité de lutte. C’est la seule garantie pour imposer nos exigences, pas les accords et les pactes dont je parlais, avec ceux qui sont responsables de notre situation, comme le PSOE, qui continuera à gouverner en faveur des grandes entreprises comme ils l’ont toujours fait.

Je crois que si nous gagnons à Telepizza, à Deliveroo ou à Las Kellys, ce serait une victoire pour tous les secteurs précaires et pour toute notre classe. La division entre précaires et non précaires est l’une des grandes brèches imposées par le néolibéralisme pour nous affaiblir et donc s’attaquer séparément aux uns et aux autres. C’est pourquoi il est fondamental de faire de ce type de conflit un combat de tous les travailleurs.


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