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Violences sexistes

« La honte » : la mobilisation des élèves du collège R. Dorgelès brise 10 ans d’omerta

Ce mercredi 12 mai devant le collège Roland Dorgelès, des dizaines d’élèves, anciens élèves et parents se sont réunis pour dénoncer l'omerta sur les violences sexistes et sexuelles perpétrées par un enseignant au sein de l’établissement depuis de nombreuses années.

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Après 10 ans d’omerta au collège Roland Dorgelès, des élèves défendent la libération de la parole

Au collège Roland Dorgelès dans le 18ème arrondissement de Paris, des faits de violences morales, sexistes et sexuelles, répétés pendant de nombreuses années, ont été dénoncés contre un professeur de sport suspendu ces quatre derniers mois suite à la plainte d’une élève qui porterait sur des attouchements sexuels. Lundi 10 mai, 95 % des professeur-e-s ont organisé une grève qui a été interprétée par les élèves et leurs parents comme un geste de solidarité envers l’enseignant.

Ces derniers jours, en réaction à cette grève inadmissible, plus de 150 élèves et anciens élèves ont dénoncé dans une lettre les faits qu’ils ont connu ou subi ainsi que l’omerta de l’administration.. Toujours afin de protester contre le message envoyé par l’administration à l’encontre des nombreuses personnes qui ont témoigné, une centaine d’élèves, d’ancien-ne-s élèves ainsi que leurs parents ont organisé-e-s ce matin, un blocus puis un rassemblement devant le collège. Un peu avant le rassemblement appelé à huit heures, alors que les élèves avaient bloqué les deux entrées de l’établissement, les forces de police ont dispersé une partie des élèves en faisant usage de la force et de gaz lacrymogènes.

« Son jeu préféré c’est de faire baisser les yeux des femmes. »

Avec Du Pain et des Roses nous avons interviewé ce matin une dizaine d’élèves et parents d’élèves, toutes et tous corroborent les faits rapportés dans la lettre. Durant plus de dix ans, les élèves ont été victimes d’harcèlement sexiste, sexuel et moral de la part de leur professeur. Ce dernier instaurait un rapport de domination et un climat d’intimidation en choisissant de « souiller » (terme employé par une ancienne élève) certaines personnes en les humiliant publiquement et en leur donnant des heures de colle de manière arbitraire. Il n’avait aucun respect des limites physiques à tel point que certain-e-s élèves sortaient de cours en vomissant ou en pleurant.

L’objet de la plainte faite à son encontre concerne le traitement distinctif et sexiste qu’il exerçait sur les classes. Les garçons avaient l’injonction d’être « virils » et « sportifs » et de ne pas se comporter « comme une fille ». Cela, allant même jusqu’à forcer les élèves asmathiques à courir. De multiples témoignages rapportent que le professeur entrait dans les vestiaires des filles ainsi que, pendant les voyages scolaires, dans leurs chambres alors qu’elles se douchaient. C’était constamment des filles qui étaient choisies en exemple pour les exercices de gym. Cette myriade d’actes violents et intrusifs, étaient accompagnés de moqueries à propos des jeunes filles qui avaient leurs menstruations, de remarques à propos de leurs soutien-gorge et d’invitations à faire le poirier en crop top. Chaque personne interrogée ce matin nous a fait part du fait que tout-e-s les élèves étaient au courant de son comportement et ce, dès la rentrée en 6ème. Il n’y a eu aucune prise en charge de la part de l’administration alors que « tout le monde savait ». Les élèves étaient donc dans l’obligation de sécher les cours de piscine ou de gymnastique et de s’en remettre aux élèves plus âgé-e-s qui avaient vécu les mêmes choses de la part du professeur.

La plainte pour attouchements sexuels est arrivée après 10 ans d’une omerta qu’une ancienne élève a qualifié de « malaise ambiant ». Après 10 ans et quelques années après le mouvement MeToo de 2017 qui a été suivi en janvier 2021 du MeTooInceste qui dénonçait le caractère structurel des violences sexuelles sur mineur-e-s dans le cadre de la famille qui concernent 1 enfant sur 10.

La vague de MeTooInceste a montré notamment que des faits qui étaient auparavant présentés comme individuels, isolés et « monstrueux », particulièrement lorsqu’il s’agit de mineurs, sont en réalité la continuation d’une longue chaîne de violences systémiques. Le point commun entre les violences perpétrées dans le cadre de l’institution familiale et au sein de l’institution scolaire est qu’elles sont commises dans des institutions censées protéger les enfants. Cela créait une pression au silence, bien plus complexe dans le cadre de la famille, qui permet de maintenir l’omerta. Ainsi, dans chacun de ces cas, la parole des enfants tend à être ni reconnue, ni écoutée. Ainsi, les élèves qui ont tenté de faire remonter les faits toutes ces dernières années ont été accusés d’exagérer voire de disséminer des rumeurs sans fondements, et avaient eux-mêmes intériorisés, par peur et honte, des propos qui sont régulièrement relayés par l’idéologie dominante. Aujourd’hui encore le renvoi au fait de devoir faire confiance à l’enquête en cours et d’attendre patiemment que la même institution qui a su silencier les victimes et se protéger, rende elle-même des réponses, apparaît pour les élèves et anciens élèves comme une violence supplémentaire.

Cette affaire qui est loin d’être un cas isolé relève entièrement de la responsabilité de l’administration du collège Roland Dorgelès, du rectorat qui a protégé l’enseignant et de l’Education Nationale. Une parente d’élève explique : « Ce prof exerce un pouvoir total dans l’établissement. Et la principale rend ça possible. Quand j’ai dit à d’anciens parents d’élèves que je prenais rendez-vous avec lui parce qu’il harcelait mon fils ils m’ont répondu : « Son jeu préféré c’est de faire baisser les yeux des femmes. » […] Ma fille se rappelle encore de leurs copines qui allaient pleurer chez la direction. C’est un système de harcèlement. Il est couvert par l’institution et même au-delà. On a jamais eu de réponse du rectorat alors qu’on a signalé ses agissements il y a trois ans. ».

C’est cette même hiérarchie qui depuis lundi exerce des pressions sur les AED (assistants d’éducation) du collège qui ont dénoncé dans un communiqué la grève des enseignants et cherchaient avant tout à apporter leur soutien aux élèves contre toute tentative de les faire taire. Dès le lendemain, la hiérarchie a mis la pression aux AED pour qu’ils et elles fassent un contre communiqué et n’emploient plus le terme de « victime ». Comme l’a exprimé notre camarade Esther, AED au collège Roland Dorgelès et syndiquée à SUD : « Il y a un communiqué de soutien des AED intitulé « Elèves on vous croit » qui est sorti. Et suite à ça, nous, les AED, le personnel précaire, on a reçu des coups de pression de notre hiérarchie pour nous dire de nous taire. ». Présente au rassemblement, elle s’est adressée aux élèves pour leur réitérer son soutien :« Je veux vous dire que je vous crois »

Une vague de libération de la parole qui vient percuter le ministère autoritaire et sexiste de Blanquer

Les bases de ces violences sexistes et sexuelles ont été posées par l’administration mais aussi et surtout, par l’Education Nationale. Rappelons qu’à la rentrée de septembre, en pleine période de crise économique et sanitaire, Blanquer préférait fustiger les jeunes filles qui portent des crop tops non conformes à la « tenue républicaine » revendiquant ainsi de pouvoir contrôler le corps et les façons de se vêtir des jeunes filles. Plus récemment, le ministre Jean-Michel Blanquer s’est offusqué des réunions en non-mixité et a décidé de s’attaquer à l’écriture inclusive. De la sorte, le ministère perpétue ainsi un climat hostile pour les jeunes filles, les femmes et les minorités de genre tout en supprimant des postes et en allouant aucuns moyens à l’éducation aux questions de genre, à la sexualité et au consentement. L’administration s’est inscrite dans cette continuité en ne mettant aucune cellule psychologique à disposition des victimes, pas plus qu’elle n’a alloué de moyens et dégagé du temps pour des discussions et des formations pour sortir par le haut de la situation.

Ce vieux monde qui parle de tenues républicaines, qui s’offusque de la non-mixité, interdit par bulletin officiel l’écriture inclusive vient aujourd’hui être percuté, par une jeunesse qui refuse de se taire et qui formule des revendications progressistes. On peut ainsi se réjouir que cette vague de libération de la parole puisse venir percuter l’ensemble de l’éducation nationale.

Face au climat insoutenable sur l’établissement et à la division de l’équipe pédagogique, il s’agit aujourd’hui d’exiger la mise en place de mesures d’urgences telles que des cellules d’écoute des élèves et des agents gérées par un personnel formé aux questions de violences sexuelles, des temps pour des réunions en non-mixité, ainsi que des temps de formation et de discussions alloué à l’équipe pédagogique. Il s’agit également d’exiger la mise en place d’une enquête impartiale, sur laquelle les élèves et agents puissent avoir un droit de regard, pour que l’administration qui est responsable de l’omerta depuis des années ne soit pas juge et parti, et que la responsabilité de cette situation soit prise à tous les échelons.

Du Pain et des Roses réaffirme son soutien aux élèves, aux anciennes élèves, à toutes celles et ceux qui se solidarisent de leur combat, a l’instar des travailleur-euse-s précaires de l’établissement qui ont cherché a communiqué sur la situation, ont subi des pressions de la direction et risquent aujourd’hui leurs postes. Ceci, à l’image de notre camarade Rozenn, étudiante et travailleuse à Chronodrive qui a été renvoyée après avoir dénoncé les violences sexuelles au sein de sa boite. Lundi, ce même jour où 95 % des professeur-e-s du collège Dorgeles faisaient grève pour réintégrer le professeur de sport, Ahmed Berrahal syndical CGT et travailleur à la RATP passait au tribunal correctionnel pour avoir dénoncé des agressions sexuelles à la RATP.. Ces offensives au sein du monde du travail pour faire taire ceux et celles qui osent dénoncer les violences sexuelles et sexistes sont une attaque contre l’ensemble de notre camp social.

Nous, militantes du collectif du Pain et des Roses, sommes attachées aux phénomènes de libération de la parole, qui viennent renforcer les luttes féministes et notre classe, en ce sens nous sommes heureuses de voir à nos côtés ces très jeunes filles et garçons s’emparer de ces questions. Aussi, s’il s’agit aujourd’hui de dénoncer le rôle sans équivoque des institutions, du gouvernement qui se protège, qui nous musèle et nous corsète, qui balaye d’un revers de la main les violences et nos souffrances, la continuité des phénomènes de libération de la parole ne peut être que celle de la lutte pour construire une société débarrassée de toute exploitation et de toute oppression.


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