×

Commencer et finir sa vie dans la précarité ?

La jeunesse face à la réforme des retraites : ne pas perdre sa vie à essayer de la gagner

Un jeune sur deux dit faire confiance au gouvernement pour mener la réforme des retraites. Désintérêt, autres préoccupations plus pressantes, précarité croissante ? En réalité la jeunesse a toutes les raisons de se mobiliser contre cette attaque et pour un avenir plus digne.

Facebook Twitter

Selon un récent sondage de l’Ifop, 50 % des jeunes disent faire « confiance au gouvernement » pour mener la réforme des retraites. Un désintérêt concernant cette attaque sans précédant, qui s’explique notamment par le fait que lorsqu’on a entre 15 et 25 ans, nos préoccupations sont généralement beaucoup plus immédiates. Quand on ne sait pas comment boucler les fins de mois, que notre frigo est vide, la question du système de retraite semble lointaine.

On sait qu’aujourd’hui, près d’un pauvre sur deux en France a moins de 25 ans et vit avec moins de 880 euros par mois. 880 euros par mois pour se nourrir, se loger, se soigner : ce sont des préoccupations immédiates liées à cette précarité qui prennent le dessus. Plus d’un étudiant sur deux travaille pour pouvoir financer ses études et plus des deux tiers sautent des repas régulièrement, faute d’argent. Sans compter la pression à la réussite qui s’exerce lorsqu’on sait qu’actuellement l’immense majorité des premiers contrats d’embauche sont des contrats courts et précaires – majoritairement des CDD de moins d’un mois. La plupart des jeunes enchaînent ainsi des contrats précaires et des périodes sans activité rémunérée, où ils se font exploiter sans minimum salarial garanti par des plateformes comme Uber Eats. Dans une interview accordée à Révolution Permanente, Steven, étudiant et livreur pour Deliveroo racontait par exemple les « moments où on travaille pour gagner 3,50 € en 1 heure, des moments où on va être disponible 2 heures pour l’entreprise sans avoir de commandes et donc gagner 0€ ». Quand on en est à se demander si on va trouver un travail, à se dire qu’on ne vivra sûrement pas assez longtemps pour toucher une retraite, aussi maigre soit-elle, la nouvelle réforme arrive comme une attaque « de plus », qui ne fait pas partie de nos principales préoccupations. Pourtant, la jeunesse est la première concernée par cette réforme.

Une réforme qui va toucher la jeunesse, dès l’entrée sur le marché du travail

Dans un pays ou le chômage atteint 26,3 % des 18-25 ans, la réforme des retraites est loin de concerner uniquement ceux qui ont actuellement un emploi. Avec l’augmentation des annuités, le temps de cotisation nécessaire pour percevoir une retraite à taux plein sera plus long. Cette manière de calculer le retraites désavantage énormément les carrières interrompues et les personnes qui ont un travail à temps partiel, les contrats courts et précaires. En effet, en ayant commencé à travailler à 25 ans sans interruption de carrière il faudrait prendre sa retraite à 67 ans pour pouvoir la toucher à taux plein. Quand on sait que la part des emplois à durée limitée (CDD, apprentissage, intérim) est nettement plus élevée chez les jeunes – 35 % des 15-29 ans en emploi contre 9 % pour les 30-49 ans – cette réforme repousse en réalité aux calendes grecques la possibilité pour les jeunes d’aujourd’hui de bénéficier un jour d’une retraite digne et en bonne santé.

Jean-Paul Delevoye justifie le recul de l’âge de départ à la retraite ainsi : « Si l’espérance de vie augmente, l’âge d’équilibre augmentera ». Cette phrase présente l’augmentation de l’espérance de vie comme quelque chose d’universel. Alors que si l’espérance de vie augmente, les inégalités sociales face au vieillissement et à la mort aussi : l’espérance de vie en bonne santé, elle, n’augmente pas et stagne aujourd’hui en dessous de 65 ans (c’est-à-dire l’âge moyen atteint avant des problèmes de santé incapacitants). Pour les ouvriers, cette moyenne se situe en dessous de 60 ans.

La réforme des retraites vise à faire travailler les plus âgés toujours plus longtemps, quitte à ce qu’ils se tuent littéralement au travail, et va renforcer la précarité et le chômage chez les jeunes, qui entrent sur un marché du travail « saturé ». Pourtant, les avancés technologiques actuelles et le nombre de travailleurs (en emploi et au chômage) sont largement en mesure de garantir la possibilité de travailler moins longtemps et moins péniblement, de répartir le temps de travail entre les actifs et les inactifs, de permettre un départ à la retraite digne, à 60 ans maximum et de garantir un emploi décent à la part croissante des jeunes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Alors pourquoi reculer l’âge de départ à la retraite ? Pourquoi réformer, en nivelant par le bas, le système de retraites et épuiser les personnes âgées au travail alors que le chômage ne cesse d’augmenter ? Et que la jeunesse est de plus en précaire ? Pourquoi commencer sa vie avec 800 euros par mois et la finir avec à peine 1000 euros comme le promettait Buzyn (« Pour ceux qui auront travaillé toute leur vie, la pension minimum sera de 1000 euros ») ?

C’est aux capitalistes de payer leur crise

Dans les médias, le débat autour de la réforme semble porter autour de logiques économiques : le site du gouvernement présente la réforme derrière la notion d’équilibre « un système pérenne, équilibre, garanti par les règles de financement ». Le système de points – dont le gouvernement peut faire baisser la valeur en fonction de la conjoncture économique – permettant de plafonner les dépenses faites pour les retraités, se justifie donc par cette idée que les conséquences de la crise économique qui s’est ouverte en 2008 et la volonté d’un « retour à l’équilibre » engendre des concessions pour tous. Il s’agit de nous faire payer une crise qui n’est pas la nôtre.

Car dans la logique capitaliste, les concessions ne se font pas sur les profits de plus en plus exubérants engrangés par le grand patronat, pourtant les 88,4 milliards dégagés par les entreprises du CAC40 en 2018 suffiraient amplement à subventionner des retraites dignes pour toutes et tous. Au contraire, c’est aux plus précaires de faire des concessions, de sacrifier leur avenir, d’augmenter les cadences et les heures, les années, passées à travailler. Les concessions exigées par le gouvernement et le patronat se traduisent par des licenciements, par le non remplacement des départs en retraite et par l’intensification de la charge de travail pour les emplois restants.

Le partage du temps de travail – sans diminution des salaires – permettrait un travail, une retraite et un niveau de vie dignes et décents pour tout le monde. C’est une mesure qui permettrait de résorber le taux de chômage, en partageant le travail entre toutes et tous, pour sortir d’une situation ubuesque où plus de 6 millions de personnes sont privées d’emploi quand d’autres voient les rythmes augmenter. Et si les classes dominantes ne cherchent pas à l’appliquer, c’est précisément parce qu’ils ont besoin d’une masse de chômeurs, une armée de réserve, qui permet de faire pression sur les travailleurs actifs (et les chômeurs contraints d’accepter n’importe quel emploi) et de détériorer les conditions de travail dans leur ensemble. Conditions que nombre d’entre nous acceptent précisément dans la peur de se trouver dans une situation de précarité encore plus grande sans emploi, et d’être remplacé aussitôt. Que la jeunesse vienne grossir massivement les rangs de cette armée de réserve, c’est le projet du patronat et de Macron à son service.

Et c’est justement parce que pour l’immense majorité d’entre nous augmenter le temps de travail et éloigner le départ à la retraite semble absurde qu’il est nécessaire que la jeunesse s’organise et lutte en première ligne contre cette réforme et l’ensemble de sa logique. Nous devons exiger des capitalistes qu’ils paient eux-mêmes leur crise, que ce soient les cotisations patronales qui financent nos retraites. Nous devons nous battre pour un partage juste et cohérent du temps de travail, entre toutes et tous. Autant de mesures qui permettraient de nous sortir de la précarité et de garantir à chacun une retraite à taux plein à 60 ans maximum !

Pour ne pas perdre sa vie à essayer de la gagner, lutter pour une autre société

La jeunesse a déjà montré qu’elle pouvait jouer un rôle majeur dans des mobilisations contre les précédentes réformes du système de retraite. En 2010 par exemple, lors de la présentation du projet de réforme du système de retraites par le gouvernement Sarkozy, les mobilisations d’ampleur des travailleurs (cheminots, RATP, raffineurs, routiers, personnels de l’éducation, etc.) ont été soutenues et entraînées par le mouvement étudiant et les lycéens.

Aujourd’hui, si nous devons nous battre au côté du monde du travail contre l’attaque sans précédent sur notre système de retraite menée par le gouvernement Macron, ce n’est pas seulement pour exiger le retrait pur et simple de la réforme. Derrière cette attaque, c’est tout un système qu’il s’agit de combattre. Il ne s’agit pas juste de s’opposer à une réforme, ou de réclamer un peu plus de solidarité, mais de se battre pour un autre projet de société. On galère aujourd’hui avec 800 euros par mois, et on nous en promet seulement 1000 pour nos retraites ?

Notre génération, en plus de se voir promettre un niveau de vie inférieur à celui de nos parents, est habituée à voir défiler des milliers d’images morbides, des centaines de personnes qui meurent en Méditerranée chaque année, nous voyons l’Amazonie brûler… Nos retraites qui partent en fumée peuvent sembler lointaines, ou minimes par rapport à ces drames. Pourtant cette réforme doit être combattue comme une partie de ce système global à l’origine de tant de désastres humains et écologiques. Ceux qui veulent aujourd’hui maximiser leur taux de profit en baissant les retraites et disposer en prime d’une jeunesse corvéable à merci sont aussi ceux qui ferment les frontières et répriment les migrants, après avoir bombardé leurs pays d’origine au nom d’intérêts économiques, ceux qui brûlent l’Amazonie et pillent les ressources sur tout le continent africain.

Des secteurs importants de la jeunesse ont d’ores et déjà décidé de relever la tête, pour notre avenir, face à la crise climatique. Il s’agit aujourd’hui de s’organiser dans une lutte d’ensemble, aux côtés des travailleurs dont les sondages révèlent qu’ils rejettent massivement la réforme, à l’image de la mobilisation de la RATP, pour combattre les politiques du gouvernement et du patronat, qui n’hésitent pas à sacrifier nos vies et les ressources de la planète pour leurs profits. Refusons de perdre notre vie à essayer de la gagner !

Crédit photo : Cabanis / AFP


Facebook Twitter
Etats-Unis : après Columbia, la colère étudiante contre le génocide s'étend

Etats-Unis : après Columbia, la colère étudiante contre le génocide s’étend

Censure : L'université Paul Valéry interdit une conférence de Joseph Daher sur la Palestine

Censure : L’université Paul Valéry interdit une conférence de Joseph Daher sur la Palestine

Les Beaux-Arts de Strasbourg occupés et en grève contre le renforcement de la sélection

Les Beaux-Arts de Strasbourg occupés et en grève contre le renforcement de la sélection

« Pour un revenu étudiant financé par un impôt sur les grandes fortunes » - Ariane Anemoyannis sur Le Media

« Pour un revenu étudiant financé par un impôt sur les grandes fortunes » - Ariane Anemoyannis sur Le Media

Bordeaux Montaigne : la mobilisation obtient une cellule de gestion des VSS indépendante de la présidence

Bordeaux Montaigne : la mobilisation obtient une cellule de gestion des VSS indépendante de la présidence

Etats-Unis. Solidarité avec les étudiants de l'université de Columbia réprimés !

Etats-Unis. Solidarité avec les étudiants de l’université de Columbia réprimés !

Paris 8. L'IED menace d'augmenter de 15% les frais pédagogiques

Paris 8. L’IED menace d’augmenter de 15% les frais pédagogiques


Etats-Unis. A l'université de Columbia, la répression du soutien à la Palestine s'intensifie

Etats-Unis. A l’université de Columbia, la répression du soutien à la Palestine s’intensifie