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International

Le Pen au Sénégal : des discours hypocrites pour se poser en garante de la Françafrique

Le Pen a entamé ce lundi un voyage au Sénégal. Si la députée d'extrême-droite s'affiche en amie de l'Afrique, appelant par exemple à ce que le continent soit représenté au Conseil de sécurité de l'ONU, son initiative vise d'abord à se poser en garante de la Françafrique dans un moment de remise en question de l’impérialisme français dans la région.

Julien Anchaing

17 janvier 2023

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Crédit photo : AFP

Annoncée le plus tard possible pour éviter les difficultés qu’avait présenté sa rencontre avec Idriss Déby en 2017 (« un ami de la France »), Marine Le Pen a entamé ce lundi son voyage au Sénégal.

Le Pen en voyage au Sénégal : une amie de l’Afrique ou de la Françafrique ?

Ce voyage qui doit durer 3 jours à Dakar l’amènera à visiter des projets agricoles et des sociétés agroalimentaires, des membres du dispositif des Éléments français du Sénégal (EFS) ainsi que des responsables politiques sénégalais de l’exécutif et du législatif.

Ce voyage était annoncé politiquement ce lundi avec une tribune publiée par le journal l’Opinion. Marine Le Pen y défend ses positions. Francophonie, volonté de maintenir les aides au développement (tout en critiquant la Commission Européenne au passage), défense de la sécurité et la stabilité de la région, santé et agriculture (en plein contexte de la guerre en Ukraine), l’ensemble des ingrédients d’une recette traditionnelle françafricaine y sont réunis.

Cependant la tribune a la particularité de chercher à développer des éléments de pseudo rupture et de coopération dans la région. Elle est notamment axée sur la revendication d’un siège au Conseil de sécurité pour un « représentant de l’Afrique » centrée autour du Sénégal de Macky Sall. Soucieuse de se montrer ouverte aux questionnements profonds de la domination française, la présidente du RN va jusqu’à affirmer sa volonté de défendre la souveraineté monétaire des États qui le souhaitent, à savoir une remise en question du fonctionnement actuel du franc CFA.

Une façon de rendre publique ces ambitions politiques dans la région et de se positionner comme une actrice capable de gouverner aux yeux des grandes entreprises et responsables politiques français. Or, pour cela, quoi de mieux pour baigner dans les pires traditions de l’impérialisme français que de commencer par une visite de l’actuel président de l’Union Africaine, affaibli par les dernières élections législatives ?

Le RN cherche à se présenter comme défenseur des intérêts français en Afrique

Derrière les revendications du RN, comme l’idée qu’un « représentant de l’Afrique doit siéger comme membre permanent au Conseil de Sécurité » des Nations Unies (entendre ici, Macky Sall son hôte pour les 3 prochains jours) ou encore la reconnaissance de la souveraineté monétaire des pays « qui le souhaitent » dans la région, il ne faut surtout pas voir un intérêt quelconque pour les intérêts des populations africaines. Si Marine Le Pen est au Sénégal, c‘est qu’elle cherche à se présenter comme une option viable et une garante des intérêts stratégiques de l’impérialisme français.

Par-delà les déclarations hypocrites et la rhétorique appelant à « en finir avec la Françafrique », le discours de Marine Le Pen vise avant tout à la présenter comme une option crédible pour les intérêts de la bourgeoisie française et des élites africaines. Défendant les intérêts géostratégiques français avec une « nouvelle méthode », le développement d’une « doctrine sur les opérations extérieures françaises » (plus rapides et plus efficaces, mais avec une toujours aussi interventionniste), et la défense de la « stabilité de la zone sahélienne », son discours n’est d’ailleurs pas si différent de celui du gouvernement Macron et des gouvernements qui se sont succédé et ont participé à l’exploitation du continent Africain et des anciennes colonies Françaises.

Et pour cause, comme l’affirment les membres du RN eux-mêmes, ce voyage « a pour objectif de permettre à Marine Le Pen de construire des relations solides avec des partenaires étrangers et des liens durables qui préparent à l’exercice du pouvoir ». Un enjeu d’autant plus important dans un moment de multiplication d’acteurs concurrents dans la région pour les intérêts français (Russie, Chine, Turquie, Allemagne, Etats-Unis), de recul militaire de la France après la débâcle de l’opération Barkhane ainsi que de l’intervention française en Lybie en 2011, qui poussent à une remise en question des conditions de domination française dans ses anciennes colonies.

L’extrême-droite en Afrique : une tradition politique héritée de père en fille

Derrière un discours faussement progressiste, Marine Le Pen ne fait en réalité que renouer avec la tradition d’extrême droite qui a toujours cherché à se présenter comme un garant de la stabilité des intérêts de la bourgeoisie française. Le voyage diplomatique de Marine Le Pen au Tchad en 2017 en visite à Idriss Déby puis au Sénégal cette semaine ne sont d’ailleurs pas entièrement une nouvelle méthode pour l’extrême droite.

En effet, comme le note Michael Pauron dans Afrique XXI, le Rassemblement national et ses intérêts sont historiquement liés à la Françafrique. « Le Rassemblement national (ex-Front national) a une longue histoire avec l’Afrique. Son fondateur, Jean-Marie Le Pen, puis sa fille, Marine, ont tenté à plusieurs reprises de rendre visite à des chefs d’État africains — en vain, la plupart du temps. » Outre son passé en Algérie, Jean-Marie Le Pen s’était fait remarquer par ces « tentatives » africaines, comme sa visite à Félix Houphouët-Boigny (1987) ou encore à Teodoro Obiang Nguema Mbasogo en Guinée Equatoriale en 2016.
Il n’y a en réalité pas de contradictions à porter un programme raciste, xénophobe et ouvertement colonialiste et à se lier aux réseaux françafricains qui ont formé et parfois financé de nombreux cadres historiques de l’extrême droite en France, issus de l’OAS. Comme le note toujours Michael Pauron, dans les années 1960, un fondateur du FN issu d’Ordre Nouveau comme François Duprat : « établit même des réseaux de financement entre le Congo et la France, qui alimenteront notamment le Front national – mais aussi François Mitterrand. » D’ailleurs, de nombreux réseaux politiques africains, que Le Pen cherche ici à séduire, peuvent trouvent un écho dans le discours de l’extrême-droite européenne.

Héritière des pratiques de corruption les plus néfastes au continent africain, il est ainsi clair que l’offensive politique de Marine Le Pen se veut au service de sa « présidentialisation ». Sur ce plan, sa tentative de montrer des éléments de rupture avec les modes de domination traditionnelle est d’abord une réponse à la remise en question stratégique que connaît la France en Afrique. Après les échecs d’opérations militaires comme Barkhane et face au développement du sentiment anti-domination dans l’Afrique subsaharienne, Le Pen veut montrer qu’elle est capable d’affronter l’enjeu central pour l’État français de perpétuer la domination en Afrique.

Dans ce cadre, sa visite au Sénégal doit être interprétée de la même manière que toutes les initiatives de la France en Afrique : une menace pour les classes populaires africaines. Comme le montre son programme ultra-xénophobe en France, qui vise notamment les populations venues d’Afrique, le projet raciste de Le Pen n’a rien à offrir à l’Affrique, son projet de réactualisation des méthodes d’oppression au service des intérêts du grand patronat et des entreprises françaises doit être démasqué, et combattu.


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