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International

Les avancées et les limites du front anti-Chinois de Biden au sommet du G7 et de l’OTAN

Après les années Trump, l'actuelle administration américaine cherche à recomposer le front européen dans une tonalité anti-chinoise. Si l'on s'en tient aux déclarations finales des sommets et malgré les réticences européennes, Biden a atteint ses objectifs.

Juan Chingo

24 juin 2021

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Les communiqués des deux sommets critiquent vivement Pékin pour le manque de protection des droits de l’homme au Xinjiang et à Hong Kong. Ainsi, ils pointent du doigt les opérations militaires de l’Armée Populaire de Libération autour de Taïwan et soulignent le renforcement de l’arsenal nucléaire ainsi que les avancées de la République populaire de Chine dans le domaine des technologies cybernétiques et aérospatiales. L’Alliance atlantique appelle Pékin à respecter l’ordre international « dans l’espace, dans le cyberespace et dans le domaine maritime », tandis que pour la première fois, elle considère officiellement l’Empire du Milieu comme une « menace systémique ». De même, lors de la réunion du G7, Washington a obtenu l’approbation d’un communiqué final exigeant une nouvelle enquête sur l’origine du coronavirus. Pris dans leur ensemble, les sommets témoignent que les autres membres du G7 et de l’Alliance atlantique ont de moins en moins de scrupules à s’aligner sur les États-Unis dans des domaines que la Chine considère comme des lignes rouges.
 
Toutefois, au-delà des déclarations d’intention, les deux réunions n’ont débouché sur aucune nouvelle mesure collective visant à freiner la montée en puissance de Pékin. L’objectif le plus abouti qui a émergé lors du sommet du G7 concerne le projet d’infrastructure « Build Back Better for the World » (B3w), qui vise à contrer l’expansion de l’initiative « Belt and Road » (Bri, Nouvelles routes de la soie) en Eurasie. Le projet devrait catalyser un financement public et privé de 100 milliards de dollars par an, sans savoir clairement qui injectera l’argent.
 
De manière plus substantielle, l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) a été appelée à participer directement à l’endiguement maritime de la Chine. Le contrôle des mers chinoises est crucial pour la continuité de l’hégémonie américaine et, dans le même temps, pour les aspirations de Pékin à contester cette suprématie. Sans cela, la République populaire de Chine ne peut pas briser le siège établi par Washington, malgré son influence économique croissante. C’est dans cet intérêt stratégique que les États-Unis ont adopté le concept d’Indo-Pacifique, réactivé le quadrilatère défensif avec l’Inde, l’Australie et le Japon (Quad) et recalibré leur déploiement militaire dans la région. À la suite de cette intervention, les tensions continuent de s’accroître en mer de Chine méridionale et autour de l’île stratégique de Taïwan, un protectorat américain avec lequel Washington continue de renforcer sa coopération, notamment militaire.
 
Dans cette optique, l’administration Biden tente de réorienter l’OTAN, conçue par les Américains pour empêcher la résurgence militaire des puissances européennes et combattre l’expansionnisme de l’ex-URSS, en une alliance d’endiguement anti-chinoise en impliquant de manière plus incisive les pays européens dans la zone indo-pacifique (des navires australiens accompagneront bientôt le groupe de combat du porte-avions britannique HMS Queen Elizabeth lors de son passage en mer de Chine méridionale). Une nouvelle dimension qui révèle l’hostilité simultanée des États-Unis à l’égard de Moscou et de Pékin, Washington hésitant à impliquer le Kremlin dans le front anti-chinois pour ne pas perdre le contrôle du continent européen.
 

Loin de la solidité géopolitique de la guerre froide contre l’ex-URSS

 
Pour tenter d’attirer les impérialismes européens contre la Chine, l’administration Biden a dû faire quelques compromis. Elle a accepté la taxe mondiale sur les grandes entreprises et a suspendu la guerre commerciale qui opposait Boeing et Airbus depuis 17 ans. Enfin, et surtout, Washington en est venu à échanger le retrait des sanctions contre le projet Nord Stream 2 contre une plus grande agressivité de la part de Berlin vis-à-vis de Pékin. Grâce à cet échange de bons procédés, tous les pays européens ont adopté une position plus dure à l’égard de Pékin, notamment en ce qui concerne la protection des industries stratégiques et des données sensibles. Les bureaucraties de Bruxelles ont gelé l’accord d’investissement avec Pékin, malgré les fortes réticences de la France et de l’Allemagne. Certains pays (France, Allemagne et Royaume-Uni) ont envoyé ou sont sur le point d’envoyer des navires de combat en mer de Chine méridionale au nom de la liberté de navigation, répondant aux exigences de Washington.
 
Mais derrière cette convergence anti-Chine affichée par les sommets, la réalité est que la position des puissances européennes ne coïncide pas exactement avec celle des États-Unis. Comme l’admet le Washington Post : « Biden demande au G7 d’adopter une ligne plus dure à l’égard de la Chine, mais tous les alliés ne sont pas enthousiastes ». Favorables à un durcissement des relations avec Pékin, aucune d’entre elles n’a l’intention de se livrer à une guerre froide et encore moins à un affrontement direct contre la République Populaire de Chine. Surtout, aucun pays européen n’est prêt à adhérer au découplage technologique avec les rivaux chinois sur lequel les États-Unis insistent. Ainsi, Emmanuel Macron a déclaré : « Sur la Chine, comme je l’ai dit pendant la réunion, je crois pouvoir dire qu’il ne faut pas confondre nos objectifs », et a ajouté : « L’OTAN est une organisation militaire, la question de notre relation avec la Chine n’est pas seulement une question militaire. L’OTAN est une organisation qui concerne l’Atlantique Nord, la Chine n’a pas grand-chose à voir avec l’Atlantique Nord »
 
Le président français a conclu « Donc, il est très important que nous ne nous dispersions pas et que nous ne biaisions pas notre relation avec la Chine » et a poursuivi en disant que « C’est beaucoup plus grand que le simple problème militaire. C’est économique. C’est stratégique. C’est une question de valeurs. C’est technologique. Et nous devons éviter de distraire l’OTAN, qui a déjà beaucoup de défis à relever. » Pour Mme Merkel, Moscou reste la principale menace. « La Russie, avant tout, est un grand défi », a-t-elle affirmé. « La Chine joue un rôle de plus en plus important, tout comme l’ensemble de la région indo-pacifique. Bien entendu, cela est lié au fait que les États-Unis et, bien sûr, les partenaires transatlantiques dans leur ensemble, sont également une nation du Pacifique. Ici, la montée en puissance économique et aussi militaire de la Chine est bien sûr un problème. » Mais elle a également mentionné le risque de réaction excessive : « Si vous regardez les cybermenaces, les menaces hybrides, si vous regardez la coopération entre la Russie et la Chine, alors vous ne pouvez pas simplement ignorer la Chine », a déclaré Mme Merkel. « Mais il ne faut pas non plus le surestimer – nous devons trouver le bon équilibre ».
 
Londres, de son côté, a interdit Huawei et a offert l’hospitalité aux Hongkongais. Elle a signalé son alignement sur les États-Unis, un impératif pour sa projection extérieure après le Brexit. Toutefois, le Royaume-Uni n’a pas l’intention de renoncer complètement à ses liens financiers avec la Chine. La Grèce a également répété qu’elle ne renoncerait pas à faire des affaires avec la République populaire de Chine, même si elle renforce ses relations de sécurité avec les États-Unis.
 
Dans ce panorama européen encore réticent, la pression américaine a trouvé un succès certain en Italie. Le tout nouveau Premier ministre italien Mario Draghi a déclaré lors du sommet de Bruxelles qu’il allait « examiner attentivement » le mémorandum sur les nouvelles routes de la soie signé en 2019. Cette déclaration s’inscrit dans le cadre du refroidissement des relations sino-italiennes, qui a commencé dans la dernière phase du gouvernement Conte et s’est accentué avec l’entrée au Palazzo Chigi de l’ancien président de la Banque centrale européenne. Ce durcissement s’est déjà traduit par une volonté accrue d’entraver les activités des entreprises technologiques chinoises dans la péninsule italienne
 
Le fait que la réunion du G7 ait lieu deux semaines seulement avant le 100e anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois (1er juillet), un événement que Pékin considère comme crucial pour célébrer la "résurgence" de la nation, est significatif. C’est pourquoi la réponse chinoise à la pression diplomatique et militaire accrue ne s’est pas fait attendre. Les médias et les diplomates chinois ont accusé « les États-Unis d’être malades » ; ils ont décrit le G7 comme le « crépuscule » des puissances occidentales et nié que leur pays constitue une « menace systémique » pour l’ordre international. Enfin, ils ont souligné que l’amitié avec Moscou est quant à elle indéfectible et ont dévoilé le plan d’action pour la construction de la station lunaire sino-russe, qui ne sera pas opérationnelle avant 2036. Mais parallèlement à ces déclarations, Pékin a également réalisé un tour de force. Le lendemain du sommet de l’OTAN, le gouvernement chinois a envoyé vingt-huit avions de chasse dans la zone d’identification de défense aérienne (Adiz) de Taïwan. Il s’agit de la plus grande incursion chinoise jamais enregistrée depuis que Taipei a commencé à les répertorier l’année dernière. Le message est clair : les puissances occidentales ne doivent pas soutenir la cause taïwanaise, à moins qu’elles ne veuillent obliger l’Armée de libération chinoise à effectuer un débarquement maritime sur Formose. Cela déclencherait très probablement une confrontation avec l’armée américaine. Le gouvernement chinois a également montré qu’il ne voulait pas interrompre le processus d’absorption de Hong Kong par la République populaire de Chine. Preuve en est l’énième descente de police dans la rédaction du journal pro-démocratique Apple Daily. Et, surtout, elle poussera Pékin à renforcer davantage ses relations avec Moscou, malgré leur rivalité historique, conscient que leur coopération renforcée est le plus grand obstacle à la stratégie américaine d’endiguement de la République populaire.
 
En fin de compte, bien que Pékin ait perdu des alliés sur la scène internationale, les divisions qui existent encore en Occident ne la laissent pas complètement isolée. Le radical changement de ton de l’administration Biden à l’égard de la Russie et de Poutine, surtout après avoir considéré le dirigeant russe comme un meurtrier lors du récent sommet de Genève, n’est pas sans rapport avec cette situation. Comparé à l’énorme échec de la première rencontre entre les États-Unis et la Chine en Alaska, la différence est frappante. Washington va-t-il se concentrer davantage sur Pékin au lieu de frapper les deux adversaires avec la même intensité en même temps ? Seul le temps nous le dira.

Traduction : Enora Lorita


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