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100 milliards pour les patrons

Les syndicats face au plan de relance : demander des "contreparties" ou interdire les licenciements ?

Avec son plan de relance de 100 milliards, le gouvernement multiplie les cadeaux au patronat en prétendant lutter contre le chômage. De leur côté, les directions syndicales continuent à croire au dialogue social en acceptant un tel plan à condition de recevoir des « contreparties ».

Mahdi Adi

4 septembre 2020

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Philippe Martinez reçu à Matignon par Jean Castex le 9 juillet

C’est ce jeudi que Jean Castex a présenté les détails du plan de relance de 100 milliards d’euros, annoncé en grande pompe au début de l’été dans le contexte de crise post-Covid. Alors que l’arrêt brutal de l’économie consécutif à la pandémie a déclenché une crise économique historique qui pourrait être comparable à celle de 1929, le gouvernement a multiplié les annonces et les concertations ces derniers mois avant de dévoiler les mesures de ce plan censé répondre à l’urgence de la crise économique. Des mesures avant tout dirigées vers le grand patronat à l’image des 20 milliards d’euros consacrés à une baisse des impôts de production, à raison de 10 milliards par an. Des réductions d’impôts qui vont profiter avant tout aux grands industriels, « grands gagnants-gagnants de la baisse des impôts de production » comme titre L’Usine Nouvelle.

Le grand patronat, « grand gagnant-gagnant » du plan de relance

Comme l’explique ce journal consacré à l’économie et aux technologies du monde industriel, « les taxes de production sont estimées à 72 milliards d’euros par an et pèsent 3 % du PIB français contre 1,6 % en moyenne en Europe ». En réduisant les impôts de production, le gouvernement répond donc aux appels du pied du grand patronat français qui ne jure que par la sacro-sainte compétitivité vis-à-vis de ses concurrents sur la scène internationale. Ce volet représente ainsi un tiers du plan de relance. Pour autant, cela peut-il être une solution au chômage de masse et à la précarisation du marché du travail accentués avec la crise du Covid-19 ? Rien de moins sûr.

Et pour cause, le plan de « relance » servira essentiellement à « relancer » les profits des grandes entreprises laissant des miettes aux petites et moyennes entreprises. En effet, alors que le marché du travail français se caractérise par un nombre important de Petites et Moyennes Entreprises (3,8 millions de PME en France), celles-ci employant 6,3 millions de salariés selon les chiffres de l’INSEE en 2017, celles-ci ne bénéficieront que de 32% des 20 milliards de baisse d’impôts. Tandis que les Entreprises de Taille Intermédiaires (5.400 ETI, entreprises de 250 à 4.999 salariés) en profiteront à hauteur de 42%, alors même qu’elles emploient moitié moins de salariés, soit environ 3 millions selon l’INSEE.

Dans un article publié par Médiapart, Romaric Godin explique que « selon un calcul d’un fonctionnaire, (...) un quart de cette baisse profitera à 280 sociétés, tandis que 250 000 d’entre elles, les plus petites, n’y gagneront que 125 euros ». Ainsi conclu-t-il, « l’argent public est donc dirigé vers les grands groupes, ceux qui précisément peuvent déjà le plus échapper à l’impôt », avant de rappeler par ailleurs que si « Jean Castex a promis « 160 000 emplois » d’ici 2021 grâce à ce plan, le nombre de destructions d’emplois sur 2020 est de l’ordre du million. » Des mesures pour « réindustrialiser » le pays en faveur des grandes entreprises, qui matérialisent la volonté de transformer profondément le tissu industriel français, en favorisant la concentration des capitaux qui a pour corrélat habituel une pression accrue sur les petites et moyennes entreprises mais aussi son lot de « restructurations » et « réorganisations » que paieront les salariés et employés.

Par ailleurs et à titre de comparaison, les mesures de « soutien au personnes précaires » ne représentent que 0,8% du plan de relance pour un total de 800 millions d’euros qui comprend le financement d’une hausse de 100 euros de l’allocation de rentrée, les repas à 1,50 euros pour les étudiants boursiers ou le soutien à l’hébergement d’urgence. Des mesures qui, loin de lutter contre la précarité, ne font que la normaliser en éludant le problème du chômage et de l’emploi.

De même face au défi écologique de taille pour l’humanité, le plan de « relance » répond par toujours plus de subventions au patronat pour des changements dans le système de production à la marge ou encore le financement de nouvelles branches de la production dont on peut légitimement douter de l’impact. Ainsi, 1,2 milliards sont attribués à la « décarbonation de l’industrie », tandis qu’un milliard sera dédié au développement du biogaz et deux milliards pour l’hydrogène.

Les estimations pour le secteur de la santé sont chiffrées de leur côté, à seulement 6 milliards d’euros. Après la crise du Covid-19 et les carences de l’hôpital qu’elle a révélé avec les conséquences dramatiques qui l’ont accompagné, cette somme laisse perplexe au vu des largesses du gouvernement pour les satisfaire les intérêts des grandes entreprises. D’autant plus que les baisses d’impôts de production à hauteur de 10 milliards par an pendant deux ans seront ensuite automatiquement inscrites chaque année au budget de l’État à partir de 2023.

Quant au chômage partiel renommé « activité partielle de longue durée », l’État va continuer d’assurer pour amortir les pertes des grands groupes à travers les « accords d’activité partielle de longue durée jusqu’à l’été 2021 », entreprise par entreprise. Une mesure qui représente à elle seule 15% du plan de relance. C’est ce que la ministre du Travail, Elisabeth Borne, a déclaré ce vendredi 4 septembre sur FranceInfo en expliquant : « Dans le passé quand on avait une baisse de 20% on se séparait de 20% des salariés. Là, on veut éviter ça à tout prix. C’est ce que permet de faire l’activité partielle de longue durée. Si vous avez une baisse de 20% vous allez baisser le temps de travail de vos salariés de 20%. » Évidemment, cette baisse du temps de travail s’accompagne de baisse de salaires non négligeables tandis que les plans de licenciements serviront de variable d’ajustement. Les précaires de leurs côtés seront une nouvelle fois en première ligne. De ce point de vue, l’entreprise Safran choisi comme exemple par la ministre est très éclairant. Si la ministre affirme que l’entreprise aéronautique Safran « ne va avoir aucun licenciement malgré une activité dans le secteur à moins 40% », elle omet de parler de toute la chaîne de sous-traitants qui produisent pour ce donneur d’ordre et qui commencent déjà à faire les frais des plans de licenciements dans ce secteur. C’est ce dont témoigne les récentes suppressions de postes chez Safran Seats filiale de Safran qui remercie 120 prestataires et de 250 intérimaires sur son site de production d’Issoudun, dans l’Indre.

Distribuer des cadeaux au grand patronat pour créer de l’emploi ? La théorie du ruissellement à l’épreuve des faits

C’est par la théorie du ruissellement qu’Emmanuel Macron prétend justifier les milliards accordés au patronat. En accordant des baisses d’impôts et autres aides publiques en pagaille aux grandes entreprises, le gouvernement cherche à nous faire emprunter cette voie pour retrouver le chemin de l’emploi. Une voie qui vise à restaurer la compétitivité des grandes entreprises qui s’appuie aussi essentiellement par la remise en question des acquis sociaux comme les baisses de salaires qui ont tendances à se généraliser via les APC mais aussi par des accords d’activité partielle de longue durée (APLD). Une politique de l’offre que le gouvernement compte bien mettre en œuvre mais qui même du point de vue dominant reste utopique au regard de la crise économique historique en cours. Ainsi, à y regarder de plus près, la « relance » de leurs profits reste des plus hypothétiques.

La crise économique ne signifie pas l’absence de liquidité pour les grandes entreprises. En 2019 déjà, les dépôts à vue, c’est-à-dire l’épargne courante des ménages et des entreprises, était parvenu à son niveau le plus haut jamais vu, à 1.106 milliards d’euros. Dans une note citée par La Tribune, Youssef Mouheb et Guillaume Cousin, de la direction des statistiques monétaires et financières de la Banque de France, révélaient que « depuis 2015, les sociétés non financières françaises (c’est-à-dire les entreprises de production de biens et de services) sont à l’origine de 53% des dépôts à vue, les ménages en représentants 42% ».

Or l’économiste et directeur de la recherche à l’institut d’études Xerfi, Olivier Passet, rapportait dans un article publié le 31 août dernier que depuis le début de l’été, « les dépôts à vue surplombent leurs niveaux de l’an dernier de plus de 35% » expliquant que « les encours de dépôts à vue sont passés de 4,5 mois de charges en fin d’année 2019 à 6 mois. Autrement dit, les entreprises ont fait bien mieux que sauvegarder leur liquidité, elles ont engrangé des réserves pour la suite. » Pourtant les grandes entreprises qui possèdent ces fonds d’épargne sont-elles épargnées par les baisses d’investissements, les suppressions de poste et les licenciements ?

L’exemple du géant automobile Renault est parlant. Alors que dans un article publié dans les colonnes de Révolution Permanente, Vincent Duse, syndicaliste dans le secteur automobile, rappelle que l’entreprise a accumulé 10 milliards de trésorerie et 24 milliards de profits ces dix dernières années, la direction du groupe a annoncé à la fin du confinement qu’elle allait licencier 15.000 travailleurs dans le monde, dont 4.600 en France où plusieurs sites de production sont menacés de fermeture. Dans la foulée, le PDG du groupe Luca De Meo a mis sur pied un plan d’austérité pour une « réduction drastique de coûts fixes et variables », ce qui signifie recourir à davantage d’intérimaire comme c’est le cas chez l’autre grand groupe automobile français PSA. Le tout avec l’assentiment du gouvernement qui a accordé 5 milliards de prêts garantis au groupe Renault sans broncher. Un cas d’école qui démontre que distribuer de l’argent aux grandes entreprises ne garantit nullement le maintien de l’emploi et des conditions de travail, les cadeaux fiscaux et les aides publiques finissant finalement en dividendes dans les poches des actionnaires.

Face à la précarité et au chômage de masse, qu’y a-t-il à négocier ?

A l’issue du confinement on se souvient du gouvernement d’Édouard Philippe sorti affaibli après trois ans d’exercice du pouvoir, marqués successivement par le mouvement des Gilets jaunes, la bataille des retraites, et la gestion catastrophique de la crise sanitaire. Pour continuer les attaques antisociales réclamées par le patronat, et distribuer des cadeaux aux grandes entreprises, la macronie avait dû se résoudre à faire peau neuve, en opérant un remaniement ministériel et en nommant Jean Castex à Matignon. Emmanuel Macron se dotait alors d’un « couteau-suisse », un haut fonctionnaire qui a « l’habitude de travailler avec tout le monde » comme le décrivait alors Franck Louvrier, qui insistait sur l’importance des négociations pour mener à bien les réformes néolibérales à l’instar de la réforme des retraites en affirmant : « je ne commence pas un dialogue et une concertation en donnant une solution avant de commencer ». Feu Jupiter tentait ainsi de ressusciter le dialogue social, instrument nécessaire pour se prémunir d’éventuelles explosions sociales, tout en continuant sa politique au service des grands patrons.

Un outil de taille puisque avant d’annoncer les détails du plan de relance, le gouvernement a organisé des concertations avec les directions syndicales. Depuis début juillet, Jean Castex et ses ministres ont reçu à de multiples reprises les leaders syndicaux afin de préparer l’annonce des mesures contenues dans le plan. De ce point de vue, la méthode Castex semble payer puisque à l’unanimité les directions syndicales demandent des « contreparties », et sont loin de rejeter le contenu de ce plan qui s’inscrit dans la continuité de la politique menée depuis trois ans par l’exécutif et qui satisfait le président du MEDEF qui a déclaré que « ce plan c’est globalement ce qu’on avait demandé ».

Le secrétaire général de la CFDT d’abord, Laurent Berger, interrogé ce vendredi sur FranceInter a déclaré que le plan de relance « coche un certain nombre de cases », a déploré qu’il n’y a pas de « contrôle social sur les aides qui sont données aux entreprises ». Selon lui, il faudrait que dans les entreprises, « le comité social et économique (CSE) donne un avis conforme sur l’utilisation des aides ». Le dirigeant cédétiste a félicité le gouvernement en affirmant que « depuis plus de 6 mois, la puissance publique est là pour soutenir l’économie », regrettant simplement qu’il n’y en ait « pas assez » dans ce plan de relance « pour les plus pauvres ».

Yves Veyrier, secrétaire général de Force Ouvrière interrogé sur RTL, a de son côté principalement pointé le fait que ces plans de relance ne soient « jamais conditionnés à l’emploi ». « Jamais ce n’est mesuré, jamais ce n’est contrôlé, a fortiori pas sanctionné », a-t-il déclaré avant d’appeler à ne pas oublier « les salariés de la deuxième ligne » dans une sorte de vœu pieu adressé au gouvernement.

Même rengaine du côté de Philippe Martinez, qui a regretté que toutes ces aides aux entreprises « ne sont pas associées à des contreparties », sur France 2 jeudi. A la question de savoir si ce plan de relance « se trompe de cible », le secrétaire général de la CGT a déclaré : « Je n’ai pas dit cela, j’ai dit qu’il faut de l’argent, mais que cet argent doit être conditionné à l’emploi, aux conditions de travail, à la relance des salaires. Et puis que l’État intervienne sur des entreprises où il y a des problèmes d’emploi, car il faut en créer, mais il faut aussi en sauver. C’est là où il y a manque de visibilité ».

Ainsi aucun des dirigeants des grandes confédérations syndicales ne remet en cause la logique même du plan qui est de distribuer des cadeaux aux grands patrons. A l’unanimité ils se contentent de demander au gouvernement de les conditionner au maintien de l’emploi, sans formuler de proposition digne de ce nom aux travailleurs contre le chômage de masse et la crise économique.

Plutôt qu’accepter les plans d’aides aux grandes entreprises, il serait à l’inverse nécessaire d’exiger l’interdiction des licenciement, l’ouverture des livres de comptes dans les entreprises où le patronat prétend être en difficulté financière, et la nationalisation sous contrôle des travailleurs des entreprises dans les secteurs en faillite. Seul un tel programme articulé avec un plan de bataille conséquent, qui refuse la logique des concertations et des négociations pour conditionner tel ou tel cadeau au patronat, serait en mesure de mobiliser les travailleurs et les classes populaires afin de construire le rapport de force nécessaire pour refuser que notre camp social paye une crise dont les grands capitalistes sont responsables.


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