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Revendications

Lier bataille des retraites et lutte pour les salaires, une condition pour vaincre Macron

Si l'actualité de la lutte des classes est marquée par la bataille des retraites, des grèves continuent à se mener sur les salaires. Une préoccupation par ailleurs omniprésente dans les manifestations depuis le 19 janvier. Alors que l’intersyndicale entretient la division entre ces questions, il y a urgence à défendre un programme qui mêle lutte pour les retraites et pour les salaires !

Arthur Nicola

22 février 2023

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Crédits photos : O Phil Des Contrastes

Depuis le 19 janvier, la réforme des retraites de Macron a donné lieu à une mobilisation historique. Servant de catalyseur à une colère profonde, l’offensive du gouvernement a ouvert la voie à un mouvement large, animé par des aspirations qui dépassent largement le simple retrait de la réforme des retraites. « Moins de blabla, plus de moula », « Salaire à vie VS travail à mort » ou encore « la retraite avant l’arthrite » : dans les meilleures pancartes du 19 janvier photographiées par RadioFrance, nombreuses sont celles qui dépassent la question des retraites, décrivant un malaise profond et généralisé.

Fin du mois, fin de carrière : même combat

Parmi les raisons invoquées le plus souvent sur la raison de cette colère, la question des salaires et de l’inflation est omniprésente dans la bouche des manifestants. Alors que les grèves sur la question des salaires se sont multipliées dans l’année 2022, avec des conflits emblématiques comme celui des raffineurs à l’automne, ce mouvement social de fond pour des augmentations salariales est loin d’être clos.

Partout, les mouvements se multiplient sur les salaires, comme à Faurecia, Sidel au Havre, Aubert et Duval, ou encore M.A. France, sous-traitant de Stellantis. La métallurgie est loin d’être le seul secteur à être touché : dans l’agroalimentaire, la chimie, le BTP, les grèves se multiplient, réclamant à chaque fois des augmentations de salaires au niveau de l’inflation.

Dans nombre de ces conflits, les grèves sur les salaires et les manifestations importantes contre la réforme des retraites vont de pair. C’est ce qu’exprimait Fabien, de la CGT Thalès Alenia Space, à notre micro le 7 février dernier : « je n’ai jamais vu autant de collègues dans la rue, il y a clairement une désapprobation de ce projet. […] Parallèlement à ce mouvement, on a aussi dans notre boîte un mouvement sur les salaires, avec un groupe qui reverse des dividendes énormes à ses actionnaires mais qui propose à ses salariés des augmentations en deçà de l’inflation, de 5% ». Même écho à chez l’équipementier automobile Faurecia : « le mouvement sur les retraites a super bien marché chez nous » explique Pascal Vadam, syndicaliste à la CGT. Chez Sidel, au Havre, comme le témoigne Reynald Kubecki, la grève pour les salaires « s’inscrit dans un début de mouvement de contestation contre la réforme de retraites. Le 19 janvier il y avait plus de 200 salariés Sidel dans la manifestation havraise ». Dernier exemple de cette dynamique : alors qu’ils organisaient leur première grève locale pour obtenir un 13ème mois, tous les salariés de Truffaut que nous avons interrogé disaient avoir participé aux manifestations contre la réforme des retraites.

Pour l’instant, ces mobilisations se font surtout au rythme des Négociations Annuelles Obligatoires (NAO) imposées par les directions d’entreprises. Chez Legrand, un des leaders mondiaux des installations électriques, c’est autour de ces NAO que des débrayages ont eu lieu, tout comme chez Safran, ou encore Schneider Electric. Partout, le scénario est le même : les directions d’entreprises proposent autour de 3% d’augmentation générale, lorsque les salariés en demandent entre 5 et 10%.

Ce mouvement de fond a commencé dès 2021, avec une recrudescence importante, selon la DARES (Direction de l’animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques), des revendications salariales dans les grèves. Concernant les motifs des grèves, on passe ainsi de 41% des grèves ayant des revendications salariales en 2019 à 48% en 2020 puis 73% en 2021. Si les données pour 2022 ne sont pas encore publiques, il y a fort à parier que cette dynamique s’est maintenue voir renforcée. Le meilleur indice de cette tendance est la multiplication des grèves dans des entreprises qui n’en avait jamais connu, comme chez Truffaut ou encore Ariane Group sur le site de l’ile Longue, qui abrite les sous-marins nucléaires français.

L’importance de la question salariale est donc une des caractéristiques du mouvement de masse contre la réforme des retraites, qui a toutes les potentialités pour être le catalyseur de la colère sociale accumulée ces dernières années. Au-delà de l’aspect conjoncturel de la question salariale, très liée à l’inflation, le lien entre les retraites et les salaires est aussi plus profonde. Tout d’abord, c’est le salaire qui détermine les montants des pensions, et qui dit bas salaires dit retraites de misère. Ensuite, les deux problèmes ont pour commun qu’ils questionnent le sens du travail.

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Une caractéristique que notent aussi plusieurs représentants de la bourgeoisie, à l’image Raymond Soubie, expert social de Sarkozy, qui explique dans Le Parisien que « ce qui rend la situation plus difficile aujourd’hui qu’en 2010, 2014 ou 2019, c’est que les Français sont soumis à beaucoup d’irritants : inflation, risques de pénurie d’énergie, mécontentements sur les services publics, problèmes à la RATP… Le sujet des retraites, qui dans l’imagerie sociale des Français est un totem, l’incarnation même de la protection sociale, peut servir de catalyseur à la colère ».

Une division entre salaire et retraite alimentée par les directions syndicales

Malgré tout cela, le lien entre les grèves pour les salaires et les mobilisations contre la réforme des retraites n’a pas encore été résolu à large échelle. Les grèves ont ainsi lieu dans les entreprises, et les mêmes grévistes vont le jour suivant en manifestation contre la réforme des retraites, mais les journées de grèves dans les entreprises ne sont pas appelées contre la réforme des retraites, et lors des appels à manifestation contre la réforme des retraites, la question salariale est invisibilisée. Une division qui aboutit, dans certaines entreprises, à ce que des salariés limitent leur nombre de jours de grève contre la réforme des retraites pour « s’économiser » en vue des grèves pour les salaires, lorsque les NAO arriveront dans leurs entreprises.

Quelques grèves ont cependant tenté de « fusionner » les deux mobilisations. Ainsi, les salariés de la SEM Ville Renouvelée ont choisi de faire grève le 7 février, date de grève contre la réforme des retraites, pour réclamer des augmentations de salaire, qu’ils ont finalement obtenues. Même initiative chez l’entreprise de sous-traitance industrielle Altrad Endel, qui s’occupent notamment de la maintenance de raffineries ou de centrales nucléaires. Ludovic Maruitte, nous expliquait lors du blocage du Havre le 7 février que s’ils étaient nombreux sur les ronds-points ce matin-là, c’était avant tout « parce qu’on n’arrive pas à se faire entendre sur les salaires, ils sont trop bas et ils nous permettent pas de faire face au coût de la vie, et l’ensemble des salariés en a marre ». Chez Stellantis, qui vient de publier ses résultats annuels,la CGT a appelé à « se mobiliser dès le 7 mars pour réclamer de véritables augmentations de salaire et obtenir le retrait du projet de réforme des retraites. »

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Pourtant, malgré ces quelques exemples, l’aspiration générale à se battre tant contre la réforme des retraites que pour des augmentations de salaires se heurte au refus de l’intersyndicale d’élargir le cahier revendicatif. Pour cette dernière, pas question d’évoquer dans les appels intersyndicaux nationaux la question des salaires. C’est ce que réaffirmait le 7 février Laurent Berger dans un entretien pour Le Parisien :« la CFDT n’a jamais été adepte des mots d’ordre fourre-tout. Si on veut que le gouvernement nous écoute sur l’âge légal, il faut qu’on reste sur cette revendication ». Si Philippe Martinez expliquait en octobre-novembre que la CGT réclamait des augmentations de salaires de 10%, ces arguments ont largement disparu de la communication confédérale de la CGT en cette période de réforme des retraites.

Ainsi, les directions syndicales entretiennent une division arbitraire entre un mouvement national contre la réforme des retraites, et une bataille pour les salaires cantonnée au niveau local. Or, ce n’est qu’en 1982 que les NAO ont été imposée pour négocier les salaires, non plus au niveau national, mais au niveau de l’entreprise. « Localiser » à l’échelle de l’entreprise cet enjeu alimente une politique du « chacun pour soi » qui profite au patronat, dans une période où toute la population subit l’inflation et où les prix de l’alimentaire ont augmenté de 14% sur un an. Un choix d’autant plus désastreux que dans le même temps les directions syndicales n’ont aucun problème à aller négocier avec le patronat sur des miettes autour du « partage de la valeur ».

Élargir les revendications, la condition généraliser la grève

Finalement, cette division entre la question des salaires et des retraites est également une aberration stratégique. Elle prive en effet le mouvement en cours de la possibilité d’un élargissement du conflit. Si les cinq journées de mobilisation ont été massives dans la rue, de plus en plus de salariés voient que les journées de grève de pression ne suffiront pas et qu’un blocage de l’économie et un durcissement du mouvement est nécessaire. Plusieurs organisations syndicales ont par ailleurs appelé à construire une grève reconductible dès le 7 mars, à l’image de la CGT Cheminots, de SUD Rail, de l’intersyndicale RATP, mais aussi de fédérations entières CGT dans la pétrochimie, les docks ou l’électricité.

Si, pour l’instant, ce sont les secteurs plus habitués à faire grève qui ont appelé à un mouvement reconductible, il faudra élargir la mobilisation sur cette modalité pour faire reculer le gouvernement. Mais qui dit grève reconductible dit nécessité d’une détermination importante pour le combat. Or, comment convaincre un salarié qui sait qu’il partira à 67 ans pour ne pas avoir de décote de lutter contre cette réforme qui ne changera rien pour lui ? Comment convaincre un salarié au SMIC de faire une grève reconductible contre une retraite qu’il atteindra dans 30 ans s’il n’arrive pas à boucler les fins de mois ? Pour entrainer les travailleurs du nettoyage, les salariés d’Amazon, les caristes des milliers d’entrepôts dans tout le pays et les plus précaires du salariat dans un mouvement dur il faut montrer que la grève peut réellement changer leur quotidien.

Pour répondre aux problèmes immédiats de notre classe, et la mettre entièrement dans la bataille, il faut donc défendre des revendications sur la question des salaires immédiatement, et convaincre largement que les questions d’une retraite digne et d’un salaire qui permette de vivre ne pourront être réglées que par une grève politique contre Macron et son monde. En ce sens, il faut exiger des directions syndicales qu’elles intègrent les revendications salariales au cahier revendicatif du mouvement en cours, en revendiquant des hausses de salaires immédiates de 400€ minimum pour tous et toutes pour rattraper l’inflation et des salaires structurellement faibles et surtout l’indexation des salaires et pensions sur l’inflation pour cesser de perdre du salaire chaque mois. Alors que c’est l’alimentaire et l’énergie qui tirent le plus l’inflation, il faut par ailleurs imposer un gel des prix des produits de première nécessité et de l’énergie (gaz, électricité et carburants confondus).

Alors que d’ici au 7 mars, tous les moyens des organisations syndicales et l’énergie des travailleurs doit être mise au service de la préparation d’un mouvement reconductible, ces questions doivent être au cœur des AGs et AGs Interpros. Pour construire un mouvement à même de faire reculer Macron, mais aussi passer à la contre-offensive !


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Arthur Nicola

Journaliste pour Révolution Permanente.
Suivi des grèves, des luttes contre les licenciements et les plans sociaux et des occupations d’usine.
Twitter : @ArthurNicola_

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