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Témoignage d’un professeur des écoles en colère

« Ma première année de cauchemar dans l’Éducation Nationale »

Révolution permanente lance une campagne de témoignages des travailleurs de l’Éducation qui depuis la rentrée subissent la mise en application des réformes Blanquer. Ce passage en force des réformes néolibérales n’a d’autres conséquences que la casse accélérée de l’éducation nationale. Face au manque de moyens, à la dégradation de leur quotidien, aux suicides des collègues comme celui de Christine Renon et maintenant au projet de reforme des retraites, nombreux sont ceux qui choisissent de démissionner. La hausse des démissions sur les 5 dernières années est totalement alarmante, particulièrement chez les enseignants-stagiaires qui choisissent de quitter l'Education Nationale avant la fin de leur première année sur le terrain. Ils sont, en 2017-2018, six fois plus nombreux qu’en 2012-2013 à avoir démissionné. Nous avons recueilli le témoignage de Christophe, enseignant-stagiaire en Seine-Saint-Denis (93) en 2017-2018.

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Juin 2017. Je suis devant la poste avec une enveloppe à la main. Il ne me reste plus qu’à la glisser dans la boîte et je serai libéré. Ce courrier que je suis sur le point de poster c’est ma lettre de démission de l’Éducation Nationale. Comment en suis-je arrivé là ?

J’avais pourtant franchi toutes les étapes obligées d’un parcours semé d’embûches : une année de préparation au concours en cours du soir, les épreuves écrites dans les immenses hangars du parc des expositions de Villepinte, suivies quelques semaines plus tard des oraux, l’attente des résultats, la joie d’être reçu avant d’obtenir, enfin, mon affectation.

Nous sommes à seulement 4 jours de ma première rentrée. Je découvre que mon école est à 1h15 de chez moi. Je m’y rends sans tarder pour rencontrer le directeur. Pendant la petite demi-heure que dure notre entretien, il prend le temps de me montrer ma classe pratiquement vide, de me donner le cahier d’appel avec quelques fournitures et de m’indiquer où trouver des meubles. Il m’apprend que je serai en charge d’une maternelle moyenne section, en binôme avec une autre enseignante. Ni elle, ni moi, n’avons jamais enseigné de notre vie. Nous aurons la journée du vendredi pour meubler la classe et nous accorder sur la façon de procéder pendant les premières semaines. Pendant toute la première période, faute d’avoir reçu la moindre consigne, nous allons remplir le cahier d’appel avec des codes incorrects…

Durant les deux premières semaines, nous aurons la responsabilité d’une classe de 27 élèves de 4 ans, sans jamais avoir enseigné, sans avoir reçu la moindre formation pratique et après un unique entretien d’une demi-heure avec le directeur de l’école. Évidemment, faute d’avoir connu notre niveau de classe avant les vacances scolaires, nous naviguons au jour le jour : nous n’avons eu que 72 heures pour préparer la rentrée et l’année…

Au bout des deux premières semaines, nous aurons tour à tour la responsabilité de la classe une semaine sur deux, l’autre semaine étant dédiée à notre formation à l’École de Supérieure du Professorat et de l’Éducation (ESPE). Le cursus est frustrant et ennuyeux. Les cours sont pour la plupart théoriques et la seule occasion qui nous sera donnée d’observer un maître chevronné dans sa classe sera une visite d’une demi-journée dans une classe ULIS pour élèves en situation de handicap. Nous avons l’impression de ne faire que revoir des choses déjà étudiées au cours de notre scolarité alors que nous manquons cruellement de conseils pratiques.

L’alternance formation/classe est épuisante. Je retrouve mon binôme tous les mercredis après-midis pour nous transmettre les informations, assurer le suivi des élèves, nous accorder sur le contenu des enseignements. Par bonheur nous sommes en phase sur la pédagogie, mais je sais que ce n’est pas le cas pour tous les binômes. Comment faire classe une semaine sur deux avec un autre enseignant qui ne partage pas votre approche pédagogique ?

Avec mes 2h30 de transport quotidiens, il me reste peu de temps pour préparer mes journées de classe mais j’apprends vite – à mes dépens – qu’il est impossible de faire l’impasse. Se retrouver une journée complète face à une classe de 27 élèves de moyenne section sans savoir quoi leur faire faire est une folie qui se paye comptant par une pagaille impossible à maîtriser et le risque de perdre pour longtemps la confiance des élèves.

Toutes mes vacances sont totalement consacrées à la préparation de la période suivante et au travail individuel demandé par l’ESPE. Les collègues enseignants ne sont pas d’un grand secours, étant eux-mêmes submergés par leur quotidien et occupés par leur propre classe. Malheureusement, certains prennent un malin plaisir à ajouter une touche de cruauté. Arrivé un matin complètement aphone à l’école, j’ai la consolation d’entendre le directeur, adepte sans doute de l’école bienveillante, me dire que cela m’apprendrait à ne pas crier autant sur les élèves…

J’eus aussi l’occasion de me frotter à l’Inspecteur de l’Éducation Nationale (IEN) de la circonscription, mon supérieur hiérarchique. Cet éminent fonctionnaire avait décidé que dans les écoles dépendant de lui, il n’y aurait pas de récréations l’après-midi parce que l’étude des rythmes scolaires démontrait que les enfants avaient de bonnes capacités de concentration entre 13h30 et 16h00. J’avais négligé cette prescription, la jugeant difficile à mettre en œuvre concrètement avec une classe de 27 élèves, sans ATSEM, ne serait-ce que pour leur permettre d’aller faire leurs besoins. Un élève s’étant blessé au cours d’une de ces récréations clandestines, mon directeur crut bon d’en référer à l’IEN qui exigea que je m’en explique par téléphone, un entretien qu’il conclut en me disant, en substance, que ce n’était pas un enseignant stagiaire qui allait faire sa loi dans la circonscription. Ce fut mon seul contact avec lui.

L’année fut en outre ponctuée par les visites du maître formateur, qui vint à chaque période pour observer mon travail en classe et, théoriquement, m’aider à résoudre mes éventuelles difficultés ; mais en même temps chargé de m’évaluer et de porter un jugement favorable ou défavorable à ma titularisation, il ne me facilita pas la tâche… J’eus le malheur, à sa seconde visite, d’évoquer certaines « activités inspirées de Montessori ». Il grimpa aussitôt aux rideaux pour condamner sans appel de telles pratiques et me les déconseiller vivement. Je compris qu’il n’était pas là pour m’aider mais pour me cadrer à sa façon. Retrouvant aujourd’hui ses comptes-rendus, je trouve, parmi les précieux conseils qu’il me prodigua, ce délicieux « Éviter les activités bruyantes »…

Fin avril, j’ai appris que je serai titularisé, mais j’étais complètement épuisé et dégoûté de l’Éducation Nationale. J’avais l’impression de m’être fourvoyé et d’être tombé dans un piège. M’étant renseigné sur les modalités de la démission, j’appris qu’elle pouvait être refusée par l’administration. J’en ai perdu le sommeil, littéralement, ne dormant plus qu’une ou deux heures par nuit, et j’ai découvert, à cette occasion, qu’il n’y a pas de médecine du travail à l’Éducation Nationale et qu’aucun secours n’est à attendre du côté de l’institution.

Au mois de juin 2017, j’étais donc à bout de souffle. Cependant, au dernier moment, je me suis retenu de poster ma lettre de démission. Aujourd’hui, je ne regrette pas d’être resté, même si mon travail est à des années-lumière de l’idéal que j’imaginais en préparant le concours. Il y a cette année dans mon école un binôme d’enseignants stagiaires (EFS) qui travaille dans les mêmes conditions que celles que j’ai vécues personnellement il y a 3 ans. Rien n’a changé et les démissions se multiplient de plus belle. Parmi les collègues titulaires aussi, nombreux sont ceux qui rêvent de quitter un navire où le noble objectif de mener à bon port chacun de ses jeunes passagers est confié à un équipage maltraité, méprisé et mal rémunéré.


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