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République raciste et répression de masse

Massacre du 17 octobre 1961 : le crime d’Etat d’une métropole coloniale

Alors que la scène politique française est de nouveau marquée par une offensive islamophobe du gouvernement, et que depuis 8 mois les masses populaire algériennes manifestent contre le régime pour une Algérie véritablement indépendante, libre, sociale et démocratique, nous republions cet article de Révolution Permanente à l’occasion du 58e anniversaire du massacre des manifestants algériens à Paris le 17 octobre 1961, qui se mobilisaient contre le couvre-feu imposé par le gouvernement de l’époque, et contre l’État colonial français. Aujourd’hui, jeudi 17 octobre aura lieu également un rassemblement au Pont Saint-Michel à 18h. Nous nous joignons à l’appel de ce rassemblement et vous invitons à y participer.

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Mardi 17 octobre 1961. Paris. Au petit matin. Les hommes de Maurice Papon, préfet de police de Paris, se tiennent prêts, plus que jamais, à dégainer la flingue et la matraque. Ce jour-là, les algériens de métropole, pour la plupart concentrés dans les usines parisiennes s’apprêtent à manifester pour la première fois dans les rues de la capitale. Manifestation préparée en secret, contre le couvre-feu raciste décrété à l’encontre des nord-africains. A l’appel du FLN, ils vont affronter, de manière massive et pacifique, les escadrons de la police française, pour revendiquer leur droit à l’indépendance de leur territoire national, l’Algérie encore maintenue sous domination coloniale française. Véritable massacre, dénié par l’histoire officielle, censuré au point d’être maintenu dans l’oubli durant de longues années, la répression de masse qui s’abat sur les manifestants ce jour-là est d’une rare violence.
La manifestation du 17 octobre 1961 est le pendant métropolitain de la guerre d’Algérie et l’expression de toute la violence de l’État français pour maintenir sa domination raciste et impérialiste. Son chef d’orchestre : Maurice Papon, ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde sous le gouvernement de Vichy, collaborationniste et organisateur de rafles de juifs. Il a été choisi pour l’occasion. Reconnu pour son « efficacité », on sait, au sein de l’appareil d’État, et au premier chef de Gaulle qui l’a nommé à son poste, qu’il ne fait pas dans la dentelle quand il s’agit d’exécuter les ordres.
Depuis août 1961 déjà, la répression s’intensifiait à l’encontre des algériens, et de quiconque, tunisien, portugais, marocain, italien, a la peau plus foncée et le cheveu brun et bouclé. Plus forts que jamais étaient les rafles, les chiens, les coups, les « ratonnades » comme les porteurs de matraques aiment à les appeler… Le FLN décide fin août de reprendre sa campagne d’attentats en métropole, abandonnée pourtant depuis plusieurs semaines à cause des négociations entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire d’Algérie. Arrestations, contrôles arbitraires, descentes dans les lieux de vie des populations maghrébines et rafles n’ont jamais été aussi systématiques. L’offensive policière prend place dans les rues, les bus et le métro parisien. Pour Papon, « pour un coup rendu, nous en porterons dix ». Le quartier de la Goutte d’Or dans le 18ème arrondissement est particulièrement visé. En septembre, les noyés. Chaque jour ou presque. Latia Younes, Salat Belkacem, Ouiche Mohammed, Mohammed Alhafnaouissi, et bien d’autres encore dont certains ne seront jamais identifiés. A partir du 2 octobre, un couvre-feu anti-arabe est installé : qui l’enfreint risque une mort certaine. C’est la stratégie de la tension qui est choisie par De Gaulle et son fidèle premier ministre, Michel Debré, partisan de l’Algérie française, qui compte ne rien perdre du rapport de force et profite de la répression pour maintenir au sein du territoire français la région du Sahara, zone qui révèlera par la suite ses denrées pétrolifères.
Dans ce contexte là, la résistance des algériens de métropoles s’organise, mais avec un changement de stratégie. Face à la répression, il faut s’unir. Les algériens, encadrés par le puissant appareil du FLN choisiront la manifestation et la démonstration de force par le nombre. Celle-ci vise l’opinion publique. Les consignes sont de ne céder à aucune provocation et à aucune violence. Trois itinéraires sont choisis et le mot s’est répandu parmi la population algérienne. Aux portes de Paris, aux stations Etoile, Opéra, Concorde, Grands Boulevards, les manifestants sont systématiquement matraqués jusqu’à ce qu’ils s’effondrent. Sur le boulevard Bonne-nouvelle, au pont de Neuilly, au Pont-Neuf d’Argenteuil et ailleurs, la police tirent sur les manifestants. Sur le Pont saint Michel, des hommes sont jetés à la Seine.
Ce jour là, plus de 10 000 algériens sont interpellés et internés au Palais des Sports, au Parc des expositions, au Stade de Coubertin, au centre d’Identification de Vincennes pendant près de 4 jours. Les autorités françaises qui s’en tiennent à la version d’un échange de tirs entre policiers et manifestants déplorent 3 morts. Pour le FLN, ils seraient plusieurs centaines à être décédés sous les coups de la police française aux ordres du criminel Maurice Papon, pour avoir osé crier et revendiquer le droit à l’égalité, à l’auto-détermination et à la dignité.
« Liberté, Égalité, fraternité » répètent en boucle depuis ces sombres temps présidents et gouvernants, y compris ceux qui se satisfont encore aujourd’hui des « bienfaits du colonialisme ». Mais qui est encore dupe ? Nous n’oublierons jamais Malik Oussekine assassiné par les voltigeurs de Pasqua en 1985. En février 2005 la droite fit même passer à l’assemblée une loi insistant sur la nécessité de mettre en valeur « l’aspect positif de la colonisation » dans les livres d’histoire. Avec le temps, rien n’a changé. Aujourd’hui encore la justice donne toute l’impunité à ses policiers : elle a refusé il y a peu de reconnaitre la qualité de meurtre à la mort en 2005 de Zyed et Bouna, tout comme pour la mort d’Adama Traoré décédé le 16 juillet 2016 à Beaumont-sur-Oise lors d’un contrôle de police, tandis que sa famille, et en particulier sa soeur Assa Traoré, figure du combat pour obtenir justice et vérité pour les victimes de violences policières, fait les frais d’un acharnement médiatique et judiciaire.
Malgré les 58 ans qui nous séparent de ce véritable pogrom orchestré par l’État français à l’encontre de la population algérienne en métropole, il y a toujours des voix au sein de la classe politique pour contester la nature des faits. Ainsi, en 2012 où pour la première fois le massacre a été reconnu, quoique bien du bout des lèvres, par l’État français en la personne de François Hollande, les Gaino et Sarkozy refusaient « l’engrenage de la repentance ». Ce discours n’exprimait par seulement la crainte de voir les deniers publics ailler à l’indemnisation des familles des victimes, mais surtout de voir s’affirmer le caractère raciste de la République française, aujourd’hui comme fauteuse d’oppression et de domination des autres peuples, d’Afrique tout particulièrement, qu’elle continue de rançonner ou d’agresser militairement, quand ils ne sont pas gouvernés par des dictateurs à sa botte.
De même, après l’élection d’un Emmanuel Macron qui appelait à « faire barrage à l’extrême-droite », ce dernier a reconnu la responsabilité de L’État dans la mort de Maurice Audin, militant communiste arrêté et torturé à mort par les militaires français pendant la guerre d’Algérie. Mais il n’en reste pas moins qu’en Algérie, les millions de manifestants du hirak, qui descendent dans les rues chaque semaine depuis 8 mois pour exiger le départ du système, ont bien en tête que le régime en place n’est rien d’autre qu’un relais de l’impérialisme, en particulier français, qui s’accapare les richesses nationales et notamment les hydrocarbures, au détriment de la grande majorité du peuple algérien. Et depuis l’attentat à la préfecture de Paris le 3 octobre dernier, l’offensive islamophobe du gouvernement sur le terrain de l’extrême-droite, qui appelle à la délation des musulmans en les amalgamant à des terroristes « radicalisés », vient rappeler que le récit national français a bel et bien été bâti sur l’oppression des peuples, et sert encore aujourd’hui à justifier, tant les interventions militaires en Afrique et au Moyen-Orient que les attaques contre les habitants des quartiers populaires, au nom de la lutte contre « l’hydre islamiste ».
A l’heure de la chasse aux rroms et aux migrants, d’un racisme d’État dorénavant justifié par la « guerre au terrorisme », ce massacre doit être encore et toujours rappelé et condamné, et ce jeudi 17 octobre 2019, l’occasion de se rassembler pour cela. A Paris, ce sera à 18h au Pont Saint-Michel.


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