Longtemps, parmi les actifs, les fonctionnaires ont été les plus rétifs à voter pour le Front National. Il semblerait que les deux dernières élections voient une évolution importante sur ce plan. L’enquête du CEVIPOF est basé sur un sondage d’un échantillon de 6400 fonctionnaires interrogés selon la méthode des quotas. La sociologie (un milieu initialement diplômé voire surdiplômé) et l’héritage politique ont fait traditionnellement des fonctionnaires un milieu électoral hostile au FN, mais depuis 2012, la pénétration du FN s’amplifie. Le niveau moyen du vote FN y est désormais le même que dans le privé.
Les idées centrales de ce rapport sont les suivantes : 1) les catégories B et C (les moins qualifiées) de toutes les fonctions publiques (hospitalière, d’état, territoriale) qui représentent la grande majorité des fonctionnaires se sont mises à voter massivement pour le FN dès les élections présidentielles de 2012, tendance massivement confirmée par les régionales de 2015. 2) Dans ces catégories, l’extrême gauche (PC, FDG, PG, NPA, LO) s’effondre, y compris chez les enseignants, passant de 15 % à 7 %. 3) le vote PS lui reste stable (36 % en 2012, 34 % en 2015) et assez soldie. 4) le vote écologiste augmente de façon importante (passant de 2 % à 8 % sur la même période).
Du côté des déterminants sociologiques ou de genre, le rapport insiste sur ces points : 5) Le vote FN est de façon dominante vote d’homme (30 % chez les hommes, 17 % des femmes), 6) il s’accentue à mesure que les personnes sont moins diplômées (dans la fonction publique hospitalière, les fonctionnaires de niveau bac vote FN à 43 %, ceux qui ont un diplôme du supérieur à 20%). Enfin, 7) chez les policiers et militaires il atteint 51,5 %, alors que 8) chez les enseignants, il tourne autour de 9 %, ce qui reflète un premier enracinement tout à fait nouveau dans ce secteur.
Bien sûr comparer des élections présidentielles et des élections régionales peut biaiser l’analyse : on ne vote pas du tout de la même façon, l’électorat et l’abstention sont considérablement modifiés d’un cas à l’autre. Il est cependant clair qu’on assiste à un transfert de l’électorat des fonctionnaires de droite vers l’extrême droite (58 % des votant FN en 2015, ont voté Sarkozy en 2012). Quant au vote pour la gauche contestataire, il s’est déplacé de façon importante vers un vote utile pour le PS ou les écologistes. Les résultats d’ensemble doivent cependant être nuancés, dans la mesure notamment où l’abstention n’est, étrangement, jamais abordée dans l’étude.
Le gel du point d’indice, la politique anti-fonctionnaire du gouvernement actuel, qui s’est affinée après les premières sorties de Macron en septembre contre leur statut, a d’autant plus d’impact que le FN cherche à séduire les fonctionnaires par un discours spécifique. Depuis la prise de pouvoir de Marine Le Pen, le FN crée des collectifs ad hoc, comme le collectif Racine sensé séduire les enseignants et tient un discours sur la nécessité d’un Etat plus fort qui défend les fonctionnaires – plus question de tenir un discours anti-fonctionnaire comme par le passé. De même, la laïcité, dont la défense est traditionnellement très ancrée dans ce milieu par définition directement façonné par les valeurs républicaines, est également instrumentalisée pour tenir un discours raciste déguisé, porosité évidemment favorisée parl’accélération de la lepénisation du gouvernement depuis les attentats du 13 novembre.
Par-delà le débat sur vote « d’adhésion » ou vote « de contestation », qui n’est pas abordé dans le rapport, la leçon politique est claire : la combinaison du sarkozysme et du hollandisme, l’aggravation de la crise au sein, en l’occurrence, d’un milieu qu’il est de plus en plus difficile de taxer de « privilégié », comme l’a bien compris le FN, entraînent le basculement de pans entiers de la société française sur leur droite, et pour une partie croissante d’entre eux, à l’extrême-droite. Sans même parler encore d’un « changement historique » comme le fait l’étude du CEVIPOF, c’est en tous cas un symptôme parlant de la dérive réactionnaire que la France connait aujourd’hui, et, d’un même mouvement, de l’impact des stratégies de légitimation du FN comme des ravages, à tous les niveaux, de la politique de Valls-Hollande.
