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Crise sanitaire et monde ouvrier

Organisations syndicales et patronales peuvent-elles faire front commun face au coronavirus ?

En pleine crise du coronavirus, alors que des millions de salariés exercent ou veulent exercer leur droit de retrait, une réunion a eu lieu le 19 mars entre des confédérations syndicales (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC) et les organisations patronales (MEDEF, CPME, U2P). A l'issu de cette réunion, un communiqué commun a été publié, affirmant "le rôle essentiel du dialogue social et de la négociation collective". Les réactions et condamnations au sein de certaines organisations syndicales, notamment de la CGT, ne se sont pas fait attendre.

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Le lendemain des annonces d’Emmanuel Macron concernant l’aggravation de la crise sanitaire et le confinement, l’explosion de la colère ouvrière face au mépris patronal, au manque de conditions d’hygiène et sécurité, a été immédiate dans de nombreuses usines. Chez Renault Trucks, Dassault, Amazon, Neuhauser, Safran Nacelles, aux Chantiers de l’Atlantique et bien d’autres usines de l’industrie aéronautique, automobile, de la pétrochimie ou encore de l’agro-alimentaire, des droits de retrait collectifs, parfois des débrayages massifs ont eu lieu pour réclamer des conditions d’hygiène et sécurité à la hauteur de la crise sanitaire en cours, à commencer par masques, gel hydroalcoolique, etc. Parfois, les ouvriers ont même réussi à imposer la fermeture des taules pendant plusieurs jours, comme dans les Ateliers de la Haute Garonne, sous-traitant d’Airbus.

Autant de mouvements collectifs contre la gestion catastrophique du gouvernement et du patronat dans la crise sanitaire qui sont salutaires et nécessaires : alors que les hôpitaux sont saturés, et que le virus continue de se propager dans la population, l’immense majorité voit bien que continuer à produire des avions ou des voitures n’a aucun sens, et ne participe qu’à la propagation du virus en réunissant les salariés qui ne peuvent pas télé-travailler dans leurs usines.

Ces débrayages ont été entièrement organisés par les équipes syndicales de base, qui sont sur le terrain et qui ont pu apprécier, dès le lendemain des annonces du gouvernement, l’abîme entre les paroles et les actes et le mépris des patrons voyous pour nos vies, notre santé et celle de nos familles, et à quel point cela révoltait les salariés. Et voilà qu’une semaine après la vague de grèves qui a secoué le nord de l’Italie face au maintien de l’activité économique dans la métallurgie, le patronat français a rapidement commencé à craindre que ces débrayages se généralisent partout dans le pays, dans un contexte social chauffé à blanc après le mouvement des Gilets Jaunes et trois mois de lutte contre la réforme des retraites. Dès le lendemain de ces premiers débrayages massifs, on pouvait ainsi entendre des injonctions de la part des ministres pour que les travailleurs se rendent au travail et continuent de produire, même lorsque cela n’est pas indispensable au fonctionnement de la société en temps de crise sanitaire majeur, en faisant passer encore une fois les profits des capitalistes avant la santé et la vie des ouvriers.

C’est dans ce contexte particulier qu’est arrivé le communiqué commun des confédérations syndicales (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC) et organisations patronales (MEDEF, CPME, U2P), à l’issu d’une réunion du 19 mars. Dans ce communiqué, l’ensemble des signataires "entendent affirmer le rôle essentiel du dialogue social et de la négociation collective" pour apporter des réponses à la crise sanitaire actuelle. Mais comment peut-on penser qu’il est possible d’arriver à un accord avec les mêmes patrons voyous qui cherchent coûte que coûte à faire travailler les ouvriers, même dans les secteurs non-essentiels comme l’aéronautique ou l’automobile, pour maintenir leurs profits au détriment de la santé des familles ouvrières et de l’ensemble de la population ?

Comme l’affirment un certain nombre d’organisations constitutives de la CGT, telles que la Fédération Nationale des Industries Chimiques (FNIC), l’Union Départementale 13, l’UD 94, l’UD 59, entre autres, dans une prise de position publique pour condamner le communiqué commun du 19 mars, "cette déclaration est un coup de poignard dans le dos des militants, des travailleurs qui se battent pied à pied contre les employeurs sans scrupules, pour arrêter des activités non indispensables et pour mettre à l’abri les salariés chez eux".

Et ces organisations ont raison de contester cette prise de position de leur confédération, car malgré les déclarations de Philippe Martinez au micro de France Info le 18 mars, où il souhaite que "les salariés du secteur industriel puissent exercer un droit de retrait et ne pas travailler si leur protection n’est pas assurée", la réalité sur le terrain est bien différente. En dernière instance, et comme l’affirme le communiqué des organisations constitutives de la CGT cité précédemment, l’attitude des confédérations syndicales signataires du communiqué commun avec le patronat revient, en fin de compte, à se retrouver "dans l’union sacrée convoquée par Macron, alors que ceux qui trinquent, ce sont les salariés et leurs familles !".

Cette position est d’autant plus problématique au moment même où dans de nombreuses usines les patrons font du chantage à l’emploi, ou cherchent à relancer la production même en appliquant d’ores et déjà et de manière unilatérale la loi d’urgence sanitaire, une attaque en règle du gouvernement Macron et du patronat contre les acquis des salariés. A l’usine agro-alimentaire Neuhauser, en Moselle, après avoir été obligée d’arrêter dans un premier temps la production par manque de mesures de sécurité et parce que les salariés ont exercé massivement leur droit de retrait, la direction compte relancer la production en faisant travailler les salariés 37 heures par semaine, alors que jusqu’ici le temps de travail hebdomadaire était de 35 heures, et cela sans même prendre le temps de passer par les instances représentatives du personnel. On voit bien à quel point le patronat est attaché au dialogue social !

La position des confédérations syndicales est d’autant plus problématique au moment même où dans de nombreuses usines les patrons veulent faire reprendre la production, coûte que coûte, alors qu’elle n’est pas indispensable comme dans les usines de l’automobile telle que PSA à Mulhouse, à Safran Nacelles au Havre, ou encore aux Ateliers de la Haute Garonne, tous deux de l’industrie aéronautique. Les organisations syndicales devraient prendre position non pas pour le "dialogue social" avec ces patrons voyous, mais entièrement du côté de ceux qui résistent et qui se battent sur le terrain, à l’image de la section syndicale CGT des Ateliers de la Haute Garonne, sous-traitant d’Airbus. Ces militants vont même au-delà de la question de la fermeture de l’usine, car ils sont en réalité prêts à revenir travailler, non pas pour produire des rivets pour des avions, mais pour produire des biens qui soient utiles à l’ensemble de la société en cette période de crise sanitaire, ce qui est très loin d’être la préoccupation du patronat d’Airbus, pour ne prendre que cet exemple. Comme ils l’expliquent dans une vidéo publiée sur leur page Facebook, "si c’est pour aider à la crise en cours, nous viendrons travailler avec fierté ! On nous dit qu’il est "essentiel de pouvoir dépanner le client". Nous pensons que l’urgence n’est pas à faire des rivets, mais des choses utiles pour faire face à la crise sanitaire. Dans certains pays l’automobile discute de se mettre à produire des pièces pour les appareils d’assistance respiratoire. Pourquoi pas nous ?". Mais face à eux, ils trouvent une direction d’entreprise assoiffée par les profits et dont le seul objectif est de relancer la production pour ne pas fâcher le géant aéronautique Airbus.

Alors il est évident, comme l’ont démontré l’ensemble des débrayages et droits de retrait en début de semaine dernière, que le seul langage que le patronat comprend est celui du rapport de forces. Le dialogue social prôné par le communiqué commun des confédérations syndicales et organisations patronales, ainsi que l’absence d’un plan d’urgence des organisations ouvrières pour apporter nos propres réponses à cette crise sanitaire sans précédent, revient donc à laisser les ouvriers livrés à eux-mêmes dans chaque usine, et à se ranger en dernière instance derrière ceux qui sont prêts à tout, même à risquer nos vies et celles de nos familles, pour continuer de faire des profits.


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