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Après Rennes et Valenciennes

PSA met en vente les 3/4 de son usine de Caen. Un délégué CGT témoignage de la dictature patronale

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PSA Peugeot Citroën n’en fini pas de planifier la casse de l’emploi. Après la révélation de la mise en vente de plus de la moitié du terrain de son usine de Valenciennes, le groupe automobile vient d’annoncer à ses salariés qu’il s’apprêtait à procéder de même pour son site de Caen. Ce jeudi 8 décembre, la direction de PSA Caen a annoncé, lors d’un briefing, la mise en vente d’une surface correspondant à près des 3/4 de ce site de production de pièces automobiles, tout en essayant de faire croire que les postes n’étaient pas menacés. Pour Laurent Lenarduzzi, militant CGT délégué du personnel et membre du CHSCT, que nous avons interviewé, il s’agit clairement d’un leurre : « La vérité, c’est qu’il y en a qui vont perdre leur place. En priorité ceux qui ont des handicaps, ceux qui ont des restrictions médicales. Il y en a déjà, qui ont de grosses restrictions médicales, à qui on a proposé de quitter l’entreprise ».

Dam Morrison et Flora Carpentier

La transformation du site PSA de Caen est prévue pour 2020, mais d’après Laurent, il est fort probable qu’elle intervienne avant. Sur le plan présenté aux travailleurs, toute la zone en bleu est destinée à être vendue. Elle concerne des bâtiments de production, d’administration, et un terrain accueillant une partie du parking des travailleurs, qui devrait être vendu dans les prochains jours pour y installer notamment un « village entreprises », à savoir un regroupement de micro-entreprises.

Plus de 300 ouvriers en unité de ferrage sont concernés par les bâtiments vendus et donc les réductions d’effectifs les prochaines années, voire les prochains mois. Des promesses sont faites de la part de la direction de transfert dans les bâtiments restants, mais pour Laurent, les 1300 ouvriers du site ne rentreront pas dans ces bâtiments. « La direction demande des volontaires pour changer de poste, par exemple passer de soudeur à la transmission, alors que ce ne sont pas du tout les mêmes compétences ! Du coup on craint aussi des baisses de salaires. Les postes proposés sont souvent des postes où il faut être polyvalent, où l’ouvrier doit savoir tout faire et donc être adaptable en permanence aux besoins de la production. La réalité se sont les compactages de lignes, l’implantation de nouvelles machines et systèmes d’automatisation, les postes polyvalents, et donc la réduction du personnel, des emplois en moins, et ce à l’aide de contrats qui permettent le licenciement s’il y a refus de l’employé d’accepter le nouveau poste de travail proposé. »

La direction a aussi évoqué le reclassement d’ouvrier dans un « village entreprise », qui sera notamment l’occasion pour le groupe d’accélérer la sous-traitance, comme il le fait déjà avec la sécurité ou les magasins externalisés. Laurent, en voyant l’annonce similaire de vente de terrain à PSA Valenciennes, sent que le site de Caen va subir le même sort, c’est-à-dire l’éclatement de l’appareil productif en ayant recours à la sous-traitance, afin de réduire encore les coûts de main d’œuvre et ceux dus aux impôts locaux. « Ce matin on a entendu pour Valenciennes, on s’est dit ça y est, ils font la même chose à Caen, ils vont procéder à des compactages d’usine… Ils font des millions de chiffre d’affaires, de gains, et il leur en faut toujours plus. Ce qu’ils veulent c’est avoir un minimum d’usines en France, ne plus avoir des entités comme on a à Caen, Rennes, etc… D’ici quelques années pour moi ça va disparaître. Quand je suis arrivé dans l’entreprise, c’était la fermeture de Moulinex juste à côté. Et là on ressent la même chose. On a beaucoup de gens d’Aulnay qui sont venus travailler avec nous quand l’usine a fermé. Et ils nous disent ‘vous êtes en train de vivre ce qu’on a vécu’. »

« C’est de l’esclavage moderne. Tu viens au boulot, tu fermes ta gueule et tu fais tes pièces »

Laurent nous parle ainsi des conditions de travail qui se sont dégradées. En fin d’année des ateliers entiers vont passer en H-, c’est-à-dire qu’ils feront moins de 35 heures par semaine mais qui seront comptabilisées en « débit » et que l’employé devra restituer au bon vouloir de l’employeur. Ils devront ainsi travailler ces heures par exemple un samedi alors qu’ils auront déjà fait leurs 35 heures dans la semaine, ou encore le soir, notamment en ces périodes de fêtes car « les camions ne doivent pas partir à vide ». « Des gens de Rennes, à l’époque où le site a commencé à réduire ses effectifs, sont venus travailler à Caen. Maintenant quand ils viennent travailler, ils viennent la boule au ventre, ils ne sont pas bien, sur les nerfs. Il y a une ambiance qui est faite pour que tout le monde se tire dans les pattes. Les conditions de travail se dégradent, c’est le « juste à temps » : tu fabriques, et aussitôt ça prend le camion parce qu’il ne faut pas de stock sur l’usine pour payer moins d’impôts ».

Il poursuit : « Ce qu’on discute avec plein de gens au sein de l’usine, c’est que c’est de l’esclavage moderne. Tu viens au boulot, tu fermes ta gueule et tu fais tes pièces. Ça fait 16 ans que je suis arrivé dans l’entreprise. Au début, c’était le plein rush, on faisait de la pièce à gogo, il y avait une super ambiance, on avait une hiérarchie sympa et là maintenant c’est devenu pourri… ça a commencé il y a une dizaine d’années, petit à petit. Avant, dès qu’une ligne se démontait, une autre arrivait, puis petit à petit on a vu des lignes partir. Dans le bâtiment, il y a un quart qui est utilisé, contrairement à il y a 15 ans.

Plein de gars ont fait des dépressions. Quand certaines lignes ont fermé il y a 3-4 ans, ils avaient des postes à responsabilité. On les a mis derrière un poste à faire de la pièce, à faire du presse bouton pendant 8 heures. Ils n’ont pas supporté, moralement. On n’a pas encore eu de gars qui sont rentrés là-dedans avec un flingue ou autre… Mais il faut faire attention, c’en est déjà venu aux mains. Ça a été étouffé. Il y a des hiérarchies qui s’en prennent à un gars, qui en font leur tête de turc. C’est le harcèlement en permanence. Le gars je l’ai vu personnellement à notre local syndical, il m’a fait peur. Il est au bout du rouleau. C’est un professionnel, 38 ans de maison, il connait son boulot, mais il faut le faire partir. Le petit jeune qui arrive, flexible et moins cher, voilà. »

« Pour le moindre truc, ils sanctionnent les gens. Et la CGT est clairement visée »

« On nous met une pression énorme. On a un nouveau responsable de fabrication, très procédurier. C’est constamment rapport sur rapport, pour le moindre truc ils sanctionnent les gens. Si tu ne respectes pas la ligne bleue pour te déplacer, c’est un rapport. Là il y a eu au moins 5 licenciements depuis la rentrée des vacances, dont un de nos collègues CGT. La CGT est visée de toute façon, sur tous les sites de France. Moi, je suis visé. Parce que j’ai eu des arrêts de travail pourtant justifiés, mais on m’a fait comprendre que j’étais un perturbateur, que je perturbe le bon fonctionnement de l’entreprise. J’ai reçu une lettre recommandée, que j’ai présentée à mon médecin personnel. Il m’a dit « c’est du harcèlement ça ! ». Ils font la chasse à ceux qui ont trop d’arrêts de travail. Il y a des protocoles. D’abord tu passes devant ton responsable de groupe, après devant le responsable gestionnaire et après ben ça peut aller plus loin… »

Laurent cite le livre « L’usine de la peur » qui à son sens décrit parfaitement ce qu’il se passe dans son usine actuellement. Et de renchérir « Le problème à Caen, c’est que les gens ont peur des représailles de la direction. Quand on a fait les débrayages pour la Loi travail, les gens venaient. Mais il y a une hiérarchie qui a menacé des ouvriers.

« 60% des ouvriers sont atteints de troubles musculo-squelettiques »

Dans l’usine, 60% des ouvriers sont atteints de troubles musculo-squelettiques générés par les gestes répétitifs. Les gens sont usés physiquement, mais ils sont aussi usés moralement. Parce qu’il faut être des moutons et puis se taire. Je connais des syndiqués CFDT qui ont quitté l’entreprise. Ils se sont tous fait un reclassement professionnel parce qu’ils en avaient ras-le-bol. Moi-même j’ai eu une maladie professionnelle au niveau des canaux carpiens, suite aux mouvements répétitifs. Je me suis fait opérer aux deux mains.

On avait un médecin du travail qui était à 200% pour les ouvriers, et qui m’avait bien épaulé. Il essayait de créer des postes adaptés pour la mobilité réduite, pour des gens qui ont des problèmes, des restrictions médicales souvent dues à leur travail. Eh bien il a quitté le groupe PSA aujourd’hui. Il y avait certainement discordance entre lui et la direction, qui voulait qu’il aille dans le sens de PSA et non dans le sens médical.

« Il va falloir qu’on fasse comprendre à la direction que stop, on n’est pas des vaches à lait »

Pour Laurent, cette annonce s’inscrit clairement dans la politique globale de PSA de réduction des effectifs, qui ne date pas d’hier : « Pendant les vacances du mois d’août, toute la ligne de montage d’une unité d’usinage de disques a été déménagée, et tous les employés, une cinquantaine de postes, ont été dispatchés à droite à gauche dans l’usine ». La CGT avait alors appelé à un débrayage, sur la base du fait que le site était productif, mais cela n’a pas suffit : « moi pendant l’été je ne suis pas parti, raconte Laurent. J’ai vu les grues sortir les machines de l’usine. Aujourd’hui, le bâtiment est vide ». Ce bâtiment historique, où l’on fabriquait les 2Cv à l’époque, devrait avec la prochaine restructuration du site accueillir la maintenance et l’administration.

« Le pire, c’est que ça nous touche nous, PSA, actuellement, mais il y a d’autres sociétés, d’autres groupes, pas que dans l’automobile ou la métallurgie, comme à Air France, je sais qu’ils vont supprimer de l’emploi, qui vont sous-traiter ». Mais Laurent est confiant dans le fait que « ça va bouger dès la semaine prochaine au niveau de la CGT. Les collègues sur l’atelier, ils en ont conscience de tout ça. A un moment donné il va falloir qu’on se bouge sur le site. Tout le groupe, il va falloir qu’on fasse comprendre à la direction que stop, on n’est pas des vaches à lait. Ils veulent faire des profits, mais des profits sur qui ? Sur nous ! C’est ça le problème, c’est la santé des gens qui est en jeu ».


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