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Racisme

Procès de Valeurs Actuelles. Entretien avec Me Xavier Sauvignet, avocat de Danièle Obono

Mercredi 23 juin se tenait le procès opposant Danièle Obono à Valeurs Actuelles, journal d’extrême-droite ayant publié une bande-dessinée « fiction », mettant en scène la députée réduite en esclavage par des « arabes ». Au lendemain de l’audience, rencontre avec Maître Xavier Sauvignet, avocat de Danièle Obono.

Enora Lorita

6 juillet 2021

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Ce mercredi 23 juin, se tenait devant la 17ème chambre du Tribunal judiciaire de Paris, le procès opposant Danièle Obono, député de la France Insoumise, au journal en ligne ultra réactionnaire Valeurs Actuelles. Les faits remontent à août 2020, lorsque Valeurs Actuelles publie une « fiction » raciste qui met en scène la députée, réduite en esclavage par des « arabes », enchaînée, collier en fer au cou, à demi-nue, avant d’être finalement libérée par un missionnaire français.

La rédaction du journal qui avait déjà été condamnée en 2015 après la publication d’un dossier « Roms, l’overdose » comparaissait cette fois pour « injures publique à caractère raciste ». Au lendemain de l’audience, qui a duré plus de dix heures, nous avons rencontré l’avocat de Danièle Obono, Maître Xavier Sauvignet.

RP : A l’audience, Geoffroy Lejeune, auteur de l’article, a déclaré que Danièle Obono est le symbole « violence militante à laquelle on s’oppose ». Peux-tu expliquer comment la défense de Valeurs Actuelles, reposant sur l’idée qu’il s’agirait d’une querelle politique, s’est effondrée au cours du procès ?

Xavier Sauvignet : Valeurs Actuelles a tenté de se défendre en avançant deux arguments, qui ont été tous deux déconstruits au cours de l’audience.

D’une part, ils ont essayé de prouver que les dessins avaient été réalisés dans le cadre d’une controverse politique, d’une querelle entre ceux qui dénoncent la traite transatlantique européenne, et ceux qui parlent de la traite négrière arabe. Leur objectif politique était, pour minorer l’importance de la traite transatlantique européenne, de souligner la traite arabe et intra-africaine, afin de démontrer que l’esclavage aurait été d’abord et surtout mis en place par les africains entre eux. Et donc minimiser la responsabilité historique des européens.

Ainsi, Valeurs Actuelles a tenté de politiser le procès, de montrer qu’il s’agissait juste d’un débat d’idées les opposant à Danièle Obono, et que la fiction publiée n’était que la prolongation de ce débat. Pourtant, ce que nous avons démontré au cours de l’audience, c’est que Danièle Obono n’a jamais pris position sur cette question. Sa seule position publique concernant l’esclavage concernait l’esclavage en Mauritanie, donc un esclavage d’africains par d’autres africains.

Au cours du procès, la question lui étant posé, elle s’est exprimée pour la première fois sur le sujet, condamnant toutes les formes d’esclavage, qui sont des crimes contre l’humanité. Elle a cependant apporté une nuance, rappelant que c’est dans l’esclavage transatlantique que prend racine le racisme puisque c’est cette idéologie qui est venue justifier le système économique d’exploitation de l’esclavage par la hiérarchie des races. Liliam Thuram, que nous faisions citer comme témoin, l’a parfaitement expliqué.

Puis, voyant que l’argument de la « querelle » politique ne pouvait fonctionner, Valeurs Actuelles a tenté un autre axe de défense, tout aussi bancal. En effet, ils ont tenté de retrouver des prises de positions de Danièle Obono, et de les manipuler complètement. Par exemple, ils ont affirmé qu’elle faisait partie du Parti des Indigènes de la République (PIR), ce qui est totalement faux ; qu’elle n’avait pas pleuré Charlie ; ou encore qu’elle avait refusé de dire « Vive la France » sur un plateau télé. Également, ils se sont servis de tribunes que Danièle Obono avait signé avec d’autres militants et figures du milieu antiraciste, pour tenter grossièrement de la rattacher à des positions qu’elle n’a jamais eues ou à des propos qu’elle n’a jamais tenu. Tous les arguments les plus fallacieux y sont passés : « racialiste », « indigéniste », ou encore « négationniste de la traite des noirs par les noirs ».

Puisque Danièle Obono n’a jamais pris aucune position en ce sens, l’association d’idées qui mène à la mettre en scène en esclave dans les colonnes de Valeurs Actuelles ne peut que reposer sur sa couleur de peau. C’est parce qu’elle est noire qu’ils lui attribuent le qualificatif d’ « indigéniste ». Et d’ailleurs, l’auteur du texte, Laurent Jullien, a fini par l’avouer. Ce dernier a expliqué que, effectivement, les origines de Danièle Obono ont joué dans la sélection du personnage. Il a déclaré que, dans le cadre de la traite des noirs par les noirs, le personnage de la « fiction » devait être noir et d’origine africaine, et c’est ce qui les a poussés à choisir Danièle.

A partir du moment où nous avons démontré que sur le terrain des idées, Danièle Obono n’a jamais eu les positions qu’ils lui prêtent sur l’histoire de l’esclavage, et que l’auteur du texte a affirmé lui-même qu’elle avait été choisie à cause de sa couleur de peau, alors leur défense s’est totalement effondrée.

RP : Valeurs Actuelles a également tenté d’avancer l’argument de « la liberté d’expression », en faisant témoigner Philippe Val, ancien directeur de Charlie Hebdo. Comment y avez-vous répondu ?

XS : Le deuxième argument avancé par Valeurs Actuelles était la défense de la liberté de la presse et de la liberté d’expression. Dans ce cadre, Philippe Val, l’ancien directeur de Charlie Hebdo, a témoigné en leur faveur. Valeurs Actuelles s’est servi de lui comme une sorte d’autorité morale, qui devrait définir ce qu’on a le droit ou non de dire. Et pour lui, même lorsque ce sont des gens d’extrême droite comme Valeurs Actuelles, et même si c’est un texte de mauvais goût, il n’y a pas de soucis, c’est de la liberté d’expression. Philippe Val a expliqué qu’il n’y avait pas de racisme au sein de Valeurs Actuelles, et s’est prêté à la même opération visant à discréditer Danièle Obono, en arguant qu’elle serait au Parti des Indigènes de la République (PIR).

En droit de l’injure, il existe « l’excuse de provocation », qui correspond à une riposte immédiate et irréfléchie suite à une provocation. La défense de Valeurs Actuelles a tenté de jouer cette carte, sauf que ce procédé ne peut en aucun cas être saisi en cas d’injures racistes.

Ce qu’a fait Valeurs Actuelles, ce n’est en rien de l’esprit de l’irrévérence, de provocation, et de la satire. Un dessin ne peut être considéré comme satirique s’il est à ce point réaliste. En l’occurrence, ils ont dépeint Danièle Obono dans ses véritables traits, de façon très sérieuse. C’est d’ailleurs ce qu’ils ont assumé dans leurs dépositions, et dans les médias, déclarant que leur travail était documenté, sérieux, et historique. L’argument de la satire ne fonctionne donc pas, et est en totale contradiction avec leurs propres déclarations.

En fin de procès, les deux volets de leur défense étaient donc totalement déconstruits. La « politisation » de leur acte était impossible, puisqu’il n’y avait aucune controverse. L’argument de la satire aussi, étant en totale contradiction avec leurs premières déclarations qui assumaient le réalisme du dessin. C’est pourquoi, dans cette affaire, il n’y a ni satire ni controverse politique, seulement des injures et du racisme.

Enfin, j’aimerais dire un mot sur le préjudice que Danièle Obono a subi. Celle-ci a expliqué à l’audience à quel point, elle et ses proches, ont été choqués et écœurés. Aussi, plusieurs études américaines ainsi que le rapport du défenseur des droits publié l’année dernière mettent en lumière les conséquences physiologiques et psychologiques sur les victimes de racisme et de discrimination. Cette affaire est l’illustration de ce racisme qui se banalise et qui a des répercussions très intenses chez les personnes racisées, ce que nous devons collectivement combattre : pour elle, et pour toutes les autres victimes. Ce racisme doit être traité à la hauteur des dégâts qu’il cause.


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