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Bienvenue dans la nouvelle géopolitique

Pourquoi la Russie menace-t-elle l’Ukraine ?

L’arène internationale est devenue plus instable et dangereuse. Dans ce contexte la Russie adopte une posture plus agressive face à l’Ukraine, un pays qu’elle estime central pour sa stratégie de défense. Habituez-vous à cette « nouvelle » réalité géopolitique.

Philippe Alcoy

20 janvier 2022

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Les négociations entre la Russie, les Etats-Unis et l’OTAN ont échouées. On pouvait s’y attendre bien évidemment. Les « exigences » russes étaient inacceptables. Elles sont en substance les mêmes que toujours depuis la chute de l’URSS au début des années 1990 : arrêt de toute extension de l’OTAN vers l’est de l’Europe et dans les ex-républiques soviétiques, éviter tout déploiement d’armement lourd et de bases de l’OTAN dans l’ancienne « zone d’influence » de l’Union Soviétique et concertation avec la Russie avant tout exercice militaire dans ces régions, vitales pour la défense du pays, d’après le point de vue de Moscou.

Personne ne s’attendait à ce que les puissances impérialistes de l’OTAN, à commencer par les Etats-Unis, acceptent de telles demandes. Pas même les dirigeants russes. Cependant, le régime de Vladimir Poutine semble considérer qu’il est temps d’agir vite dans un environnement international qui se dégrade et qui devient de plus en plus dangereux. Les « exigences » de la Russie apparaissent ainsi plus comme des propositions faites directement aux Etats-Unis pour maintenir un semblant de stabilité dans cette région, ce qui contribue à une certaine stabilité de l’ensemble de l’échiquier international.

La concentration d’autour de 130 000 hommes à la frontière ukrainienne ainsi que de matériels militaires constitue pour la Russie un moyen de faire pression sur ses interlocuteurs et ainsi tenter de les pousser à faire pression sur l’Ukraine pour que celle-ci trouve un compromis avec Moscou. Pour le moment, au moins publiquement, cela ne semble pas fonctionner. Et les craintes d’une offensive imminente de la Russie sur l’Ukraine augmentent. Mais, même si la posture de la Russie ne semble pas relever du « bluff », il y a beaucoup de facteurs qui appellent à être prudents à l’heure d’annoncer une invasion imminente.

L’Ukraine, une pièce centrale pour la défense russe

En effet, après la désintégration de l’URSS et l’indépendance de l’Ukraine, et malgré l’affaiblissement de la Russie pendant ces années-là, Moscou a réussi à maintenir son hégémonie, et en quelque sorte sa légitimité, dans une grande partie des ex-républiques soviétiques dont l’Ukraine. Justement l’Ukraine et la Biélorussie constituent sans doute les territoires les plus importants en termes de défense pour la Russie : elles forment aux yeux de Moscou une zone d’amortissement face à une attaque venant de l’ouest, où se trouvent les principales puissances impérialistes européennes.

Mais les conditions qui ont permis cette hégémonie russe ont commencé à changer. En 2004 ainsi a eu lieu en Ukraine la « révolution orange » pro-occidentale, puis quelques années plus tard une autre en Géorgie. Cependant, Poutine a réussi à reprendre la main notamment en Ukraine. Mais le mouvement de Maïdan en 2014 a débouché sur l’installation d’un nouveau gouvernement pro-occidental dans le pays, ce qui a poussé la Russie à occuper la Crimée et à assister des armées « rebelles » des régions du Donbass. Autrement dit, le résultat a été que la Russie a depuis perdu la légitimité et l’hégémonie qu’elle avait sur l’Ukraine, limitant son influence à la péninsule de Crimée et à quelques régions à l’est du pays. Un clair recul pour la stratégie de défense russe.

L’objectif de Moscou est clairement de « récupérer » l’Ukraine ou au moins obtenir des garanties sur sa « neutralité ». Et si elle n’arrive pas à le faire de façon « pacifique », on ne peut pas exclure l’option militaire. On assiste aujourd’hui peut-être à un tournant où les dirigeants russes considèrent que le temps pour une solution non-militaire est en train de s’épuiser.

Or même si la Russie pourrait gagner une guerre contre l’Ukraine d’un point de vue militaire, il n’est pas clair comment politiquement elle pourrait maintenir ses gains. Plus la Russie sera agressive contre l’Ukraine plus la promptitude à la défense de la souveraineté nationale gagnera de l’importance au sein de la population ukrainienne. Bien que les deux pays partagent une histoire commune et des liens sociaux, culturels et politiques, bien que souvent conflictuels, il est indéniable que depuis la chute de l’URSS et l’indépendance ukrainienne le sentiment national s’est beaucoup plus développé que par le passé. Et l’hégémonie de la Russie est moins tolérée. Une invasion du pays par l’armée russe ne ferait que renforcer un certain sentiment antirusse, notamment si elle se prolonge dans le temps.

Dans ce cas, la Russie se trouverait dans une situation semblable à celle de l’impérialisme nord-américain en Afghanistan ou à celle de l’impérialisme français en Afrique en ce moment : embourbé dans une guerre en fin de comptes « ingagnable » dans un pays dont la population est hostile. Autrement dit, à long terme la Russie ne peut pas gagner.

Mais une guerre entre la Russie et l’Ukraine reste un danger mortel pour la classe ouvrière des deux pays. Cela pourrait impliquer des destructions matérielles immenses et surtout la destruction de centaines de milliers de vies humaines. D’un point de vue politique, une telle guerre signifierait le renforcement de courants nationalistes réactionnaires, des deux côtés de la frontière et plus largement dans toute la région. Une catastrophe pour les exploités et opprimés.

Un contexte international dégradé

Mais si les dirigeants russes prennent cette posture c’est bien parce que la situation internationale se dégrade rapidement. L’impérialisme nord-américain est parti de ses aventures néfastes au Moyen-Orient, laissant un héritage catastrophique, et désormais se concentre dans la zone indopacifique où, avec ses alliés, il mène une politique hostile à l’égard de la Chine. Mais plus en général on constate beaucoup plus de frictions entre les puissances impérialistes elles-mêmes, comme l’affaire des sous-marins nucléaires l’a démontré.

Dans ce contexte la Russie devient de plus en plus une cible de l’hostilité des puissances occidentales, à commencer par les Etats-Unis. La Russie ne peut donc pas se permettre d’avoir des failles dans sa stratégie de défense. L’Ukraine devient une priorité pour Moscou. Moscou doit ainsi empêcher qu’elle se procure auprès des occidentaux des matériels militaires capables de poser une menace sur les principales villes russes. Du point de vue des dirigeants du Kremlin il s’agit sans doute d’une question de temps avant que Kiev commence à obtenir des armements sophistiqués. Comme le dit l’analyste russe Vladimir Frolov dans le Moscow Times : « il semblerait que Moscou ait commencé à revoir sa "patience stratégique" dans les relations avec l’Occident et l’Ukraine après que l’OTAN a décidé d’accorder à l’Ukraine le statut de Partenaire d’opportunités renforcées en juin 2020. À Kiev, il est question d’obtenir le statut d’allié majeur non-membre de l’OTAN, ce qui éliminerait pratiquement toutes les restrictions à la coopération militaire avec les Américains ». Il semble évident que face à cette perspective la Russie voit moins risqué de s’aventurer dans une confrontation armée que de ne rien faire.

Mais d’un point de vue des intérêts de l’impérialisme nord-américain un affrontement avec la Russie autour de l’Ukraine ne fait aucun sens. L’Ukraine peut être utile pour les Etats-Unis justement pour obtenir des concessions de la Russie. Mais elle pourrait aussi devenir une « monnaie d’échange » dans un contexte de frictions avec la Chine. En effet, Washington avec la sa politique hostile à l’égard de la Chine et de la Russie est en train de les pousser à former une « alliance défensive ». La Russie le sait aussi et pourrait tenter de négocier en ce sens avec les Américains.

Certains analystes estiment qu’il vaudrait mieux essayer de trouver un terrain d’entente avec la Russie pour éviter ce rapprochement entre ces puissances nucléaires. Ainsi, Raymond F. Smith qui a travaillé dans le Service extérieur des États-Unis, plaide pour une position conciliante : « Depuis au moins l’époque du traité de Vienne, il est clair qu’un système international stable nécessite une légitimité, qui ne peut exister que s’il n’y a pas de grandes puissances mécontentes. La désaffection de la Russie à l’égard de l’ordre international actuel, qui s’est accrue au cours des périodes précédentes d’expansion de l’OTAN, a maintenant atteint un point critique. Pour créer un système international plus stable, il faut prendre en compte les intérêts vitaux de la Russie, ainsi que ceux de l’Ukraine. Guider et aider l’Ukraine à trouver un équilibre entre son désir de liens plus étroits avec l’Europe et son besoin de liens acceptables avec la Russie sert les intérêts fondamentaux de l’Ukraine et des États-Unis ».

Contre la guerre ! Pour le droit à l’auto-détermination de l’Ukraine !

Depuis 2014 la Russie a réorganisé son économie pour être moins sensible aux sanctions occidentales. Mais cela s’est traduit par des coupes budgétaires sur les programmes sociaux et une dégradation des conditions de vie de la classe ouvrière et des secteurs populaires du pays. C’est d’ailleurs cela qui se voit dans les sondages aujourd’hui qui montrent que les principales préoccupations de la population russe ne sont pas l’Ukraine ou la politique extérieure de la Russie mais les questions socio-économiques. En ce sens, les travailleurs, la jeunesse et l’ensemble des secteurs opprimés et exploités n’ont aucun intérêt à une guerre avec l’Ukraine. Le régime de Poutine comme à son habitude est en train d’agir dans le seul intérêt de protéger le capitalisme russe et ses oligarques.

Pour ce fait le Kremlin n’hésite pas à bafouer les droits les plus élémentaires d’autres nations et peuples. C’est en ce sens que le régime de Poutine est un ennemi du droit à l’auto-détermination de l’Ukraine, la subordonnant à ses desseins stratégiques. Les intérêts des travailleurs russes ne se trouve aucunement dans les plans de Poutine, ni dans une éventuelle guerre réactionnaire.

La situation de crise avec l’Ukraine ne peut se régler que si le peuple ukrainien peut exercer pleinement son droit à l’auto-détermination. Cela implique bien évidemment une totale indépendance vis-à-vis des impérialistes occidentaux et de l’OTAN. La lutte justement pour l’auto-détermination pourrait devenir un moteur pour la remise en cause des régimes imposés par les classes dominantes réactionnaires en Ukraine et en Russie. Cette voie d’indépendance de classe peut seule garantir la construction d’une relation véritablement fraternelle entre les travailleurs des deux pays.


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