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Que signifient les accusations de Macron et Trump sur la gestion de la crise en Chine ?

Les accusations mutuelles que se portent les « grands » de ce monde préfigurent une montée des rivalités entre les puissances. Après la bataille du récit de la résolution de la crise, se pose la question des rivalités dans un monde d’après pris dans une crise économique.

Joachim Bertin

17 avril 2020

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Les chancelleries européennes et chinoises s’affichent dans un exercice de piques orales à répétition. La révision du nombre de morts dans la ville de Wuhan, que le régime a consenti à rehausser de 1290 individus, portant le total de morts à 4632 dans l’ensemble du pays, et les suspicions grandissantes sur le nombre réel, qui est assurément encore largement sous-estimé ont laissé une brèche que les grandes puissances impérialistes n’ont pas manqué de saisir.

C’est pas moi, c’est lui !

 
Si Trump, lorsqu’il annonçait presque quotidiennement sur Twitter que tout était sous contrôle (jusqu’à ce que du jour au lendemain cela ne le soit plus) se permettait de « remercier tout particulièrement le président Xi », le ton a bien changé. Trump met désormais en cause la capacité de réaction de la Chine face à l’émergence du virus et en pointant le régime chinois comme principal responsable de la propagation de la pandémie. Les différents dirigeants du monde n’hésitent pas en effet à attiser la xénophobie pour se dédouaner de leur faute et ce, des deux côtés du Pacifique. En Chine, les communautés africaines sont particulièrement stigmatisées parfois à l’initiative du régime, ce qui a fait réagir des dirigeants africains, l’ambassadeur chinois étant convoqué par le pouvoir au Nigéria pour s’expliquer. Si le régime essaye d’entretenir l’idée d’une origine américaine au virus, Trump, lui, joue carte du « virus chinois », dans une rhétorique de la lutte contre l’étranger, de la citadelle assiégée.
 
C’est dans ce contexte que la Maison Blanche relance des spéculations sur les origines du virus. Les journaux européens se sont jetés sur la nouvelle, de manière plus ou moins racoleuse, étant pourtant obligé dès les premières lignes de reconnaître qu’ils n’en savaient rien. C’est le Washington Post qui a mis la main sur des télégrammes diplomatiques américains évoquant en 2018 des failles de sécurité potentielles dans le National High-Leve Biosafety Laboratory de Wuhan, un bâtiment issu d’une coopération franco-chinoise, dont les services travaillent sur les maladies infectieuses. Un autre laboratoire plus proche géographiquement du marché aux animaux d’où on source pour l’instant le départ de l’épidémie suite à la mutation du virus, travaille lui aussi sur les chauves-souris porteuses de coronavirus. Les insinuations de Mike Pompeo (secrétaire d’Etat, devenu détective « exhaustif » dans cette histoire) ou d’un Peter Navarro (qui déclarait faussement à la télé dès la fin février que la Chine bloquait les exportations de masques vers les États-Unis) assistant économique auprès du Bureau exécutif de la Maison Blanche et connu pour son hostilité particulière à la Chine dans la guerre commerciale qui a cours entre les deux États ces dernières années, tout cela n’a pas permis de fournir la moindre preuve à l’hypothèse d’une fuite accidentelle ou non d’un laboratoire. Comme étaient obligés de tempérer Mark Esper (Secrétaire à la Défense) ou le général Mark Miley, la transmission animale reste l’hypothèse principale.
 
La Chine reproche aux États-Unis, devenu l’épicentre de la pandémie, de faire diversion pour excuser la gestion déplorable de la crise par l’administration Trump. L’une des victimes collatérales de ces tensions est l’OMS pour laquelle les États-Unis ont décidé de geler leur contribution financière, celle-ci étant jugée trop sinophile. Comme toujours dans les moments de crise, les organisations multilatérales internationales créées par les puissances impérialistes sont les premières à payer quand les tensions mondiales montent, notamment entre les puissances qui ont-elles-mêmes créées ces institutions pour mieux imposer leur domination dans le monde, dans différents aspects. En ce sens, ce « gel » du financement de l’OMS est un fait important qui marque une disruption dans l’ordre mondial.
 
Dans ces coordonnées, c’est Emmanuel Macron qui tente de se refaire les épaules internationales et qui tente comme il peut de réunir quelques acteurs pour s’attirer les sympathies de la communauté internationale et apparaître comme jouant un rôle moteur. Macron, dont le gouvernement représente, depuis son élection, le néo-libéralisme le plus sénile, tente de faire revivre les morts et se pose, comme il l’explique en interview au Financial Times, comme « optimiste » pour la renaissance d’un nouveau multilatéralisme. Le cadavre n’est pas encore froid que Macron pense déjà pouvoir le ressusciter à l’aide de simples correctifs. Dans l’opération, il réussit tout de même à s’attirer les sympathies de l’OMS et à apparaître dans l’organisation de futures rencontres des « grands », notamment d’un potentiel Conseil de Sécurité de l’ONU. Ghebreyesus a ainsi remercié Macron pour son « leadership mondial ». Lui aussi a taclé le régime chinois sur son manque de transparence en réponse au Financial Times qui le questionnait sur l’efficacité des démocraties occidentales face à l’autoritarisme de la Chine ou de la Russie : « Il y a manifestement des choses qui se sont passées qu’on ne sait pas ». Cette pique, qui aurait pu être destinée à son gouvernement, arrive également après à un incident entre l’ambassadeur chinois et Jean-Yves le Drian que ce dernier a convoqué suite à la publication de billets sur le site de l’ambassade qui attaquaient la gestion de la crise par le gouvernement français.
 
Dominic Raab, secrétaire d’Etat aux affaires étrangères britannique, a commenté aussi ces épisodes, en affirmant qu’il faudrait « poser les questions difficiles » à Pékin. Pourtant, la « diplomatie du masque » mise en place par la Chine impose de la retenue aux dirigeants occidentaux qui, pour prendre le cas français, sont certes dépendants des masques, mais aussi de la coopération de la Chine en Afrique pour aboutir à l’objectif fixé de moratoire sur les dettes de plusieurs pays (vaste escroquerie par ailleurs qui ne fait que décaler la dette et éviter une faillite et catastrophe humanitaire dans les pays dominés par l’impérialisme).

Derrière les accusations, les plans pour « l’après »

 
En réalité, au-delà d’une quelconque « diplomatie du masque », il s’agit bien de part en part d’une diplomatie de la « fake news » pour utiliser le terme consacré. Ou pour être exact de la diplomatie tout court, la « fake news » n’étant qu’une lubie récente de Trump ou de Macron, expression à la fois d’une remontée réelle des rivalités inter-étatiques mais aussi de leur capacité surprenante à régulièrement réinventer l’eau chaude. Lénine en son temps évoquait la Société des Nations comme une « caverne de brigands ». L’omission discrète, le mensonge et la manipulation sont les attributs de la diplomatie capitaliste et bien malin celui qui pourrait, dans toute cette histoire, désigner le plus grand menteur. Car si la Chine sous-estime évidemment le nombre de morts et a largement tenté d’étouffer médiatiquement l’apparition du virus, les principales puissances impérialistes ont fait de même, pour cela ou pour les masques, les tests, les capacités sanitaires, etc.
 
En fait, derrière telle ou telle phrase, telle ou telle information qui alimente tous les délires complotistes qui se nourrissent d’une incompréhension de la situation dans sa globalité, ou de limitation à un niveau partiel des conflits qui peuvent opposer les principales puissances, il faut essayer d’approcher un peu les réels enjeux, et les conflits qui peuvent exister. Cette guerre verbale cache surtout une inquiétude profonde quant aux transformations que la crise économique et sanitaire vont faire peser sur le capitalisme et la division mondiale du travail.
 
Le bilan que les principales puissances impérialistes semblent commencer à tirer, c’est d’avoir fait l’erreur d’avoir mis tous leurs œufs dans le même panier : la Chine. La rupture de la chaîne d’approvisionnement pour n’importe quelle raison, ici d’une crise sanitaire, peut entraîner des tensions importantes, l’exemple le plus actuel étant la concurrence pour l’acquisition de masques. En conséquence, depuis quelques semaines, la bourgeoisie internationale, dirigeants politiques, économistes, patrons, évoquent la relocalisation de certaines productions. Chacun y va de son appréciation, souveraineté nationale stratégique, régionale, protectionnisme etc. Loin d’être une concession quelconque aux classes populaires, cette politique ne constitue qu’un redéploiement tactique de la bourgeoisie. Plus précisément, la bourgeoisie internationale, dans sa majorité, n’a pas réussi à se défaire de son attraction pour une main-d’oeuvre qualifiée et bon marché comme le propose la Chine.
 
Plutôt que de relocalisation ou de rapatriement, il est plus juste de parler de redéploiement de certaines productions. Ainsi, les puissances impérialistes pourraient faire le choix de sacrifier l’avantage comparatif aux risques géopolitiques. Réduire la dépendance économique à une puissance en particulier pourrait devenir leur mot d’ordre. En ce sens, elles pourraient redéployer certaines productions dans d’autres pays d’Asie (à l’image du Vietnam, le pays se voyant depuis plusieurs années comme le futur « atelier du monde »), mais aussi des pays d’Amérique latine ou du Maghreb.

« Relocalisations », conflictualité et diversification géographique des productions ?

 
Il y a un siècle déjà le capitalisme montrait jusqu’où il était capable d’aller dans la barbarie pour gagner des marchés hors de ses frontières nationales bien trop étroites pour qu’il s’y déploie à son aise. Depuis lors, et avec d’autres accès d’horreur, il s’est répandu sur le monde entier. Croire qu’un retour à un capitalisme aux frontières nationales est possible voire serait souhaitable est un rêve dangereux, une illusion lourde de conséquence pour les classes populaires et la classe ouvrière. Voir uniquement une relocalisation de certaines industries et la « souveraineté » sur telle ou telle production (les capitalistes sont souverains de leurs moyens de production peu importe le pays où ils se trouvent, et les travailleurs n’en sont pas plus souverains en France, en Chine, au Brésil ou aux États-Unis), c’est se cacher les yeux sur le reste du processus. Car une mesure protectionniste entraîne des pertes de marché pour certains qui ne se laissent pas faire sans rien dire et répondent par des mesures protectionnistes. Un rapport de force qui est tenu fermement par les puissances impérialistes, le protectionnisme d’une puissance comme la France ou les États-Unis implique la soumission des pays qu’il domine (et en premier lieu de la classe ouvrière de ces pays) et une concurrence et une rivalité accrue avec les autres puissances. Sans aller jusqu’à des relocalisations sur le sol national de ces puissances, on peut tout à fait imaginer une mise à profit de leur arrière-cour, l’Amérique latine pour le géant étasunien par exemple. Cependant les capitalistes ne cracheront pas sur les avantages de l’exploitation de la classe ouvrière chinoise et tenteront de recréer ces conditions dans d’autres pays. De cela pourrait découler une politique visant à accentuer les politiques d’ajustement, d’austérité brutale dans de nombreux pays, voire des coups d’Etat ouverts contre les gouvernements « progressistes », à l’instar de la Bolivie. Des situations qui viendraient jeter de l’huile sur un feu de réveil de la combativité ouvrière qui couve... Les velléités militaristes commencent déjà à s’exprimer que l’on pense à l’armada envoyée par Trump aux abords du Venezuela ou même aux déclarations de la ministre des Armées française qui a déclaré que le redressement de l’économie se ferait au moyen de la production militaire !
 
C’est ce « monde d’après » que prépare la bourgeoisie impérialiste. Celle-ci craint les bouleversements que la crise économique pourrait provoquer alors que la situation mondiale était déjà caractérisée par un réveil de la lutte des classes. Les pressions politiques internes et les pressions économiques due à une crise que l’on ne peut comparer qu’à celle de 1929 (si elle ne la dépasse pas même en gravité) vont obliger les capitalistes à réfléchir davantage en risques politiques de perturbation de la production qu’en économies de court terme. Toutes ces escarmouches verbales entre chefs d’Etat annoncent déjà des reconfigurations économiques du capitalisme. Dans la guerre commerciale qui opposait déjà les États-Unis et la Chine et face à une situation de dépendance et de montée de l’influence chinoise, ces avertissements se veulent un moyen de discipliner la Chine et de se préparer aussi à une diversification des centres de production.


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