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Poutine-Xi Jinping

Quels sont les véritables enjeux de la visite de Xi Jinping à Moscou ?

Le Président chinois Xi Jinping est en visite à Moscou pour la première fois depuis le début de la guerre. Au sommaire des discussions : la guerre en Ukraine et un renforcement des relations commerciales entre les deux pays.

Wolfgang Mandelbaum

21 mars 2023

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Le Président chinois Xi Jinping est en visite à Moscou pour la première fois depuis l’invasion russe de l’Ukraine, il y a maintenant un an. Cette visite intervient à un moment charnière dans le déroulement de la guerre. La Russie comme l’Ukraine étant en recherche de fonds et d’équipements pour relancer leur machine de guerre. Une guerre de facto transformée en guerre d’usure, aucun camp n’arrivant à gagner du terrain malgré les dernières avancées du groupe paramilitaire russe Wagner à Bakhmout.

Une visite sous le spectre de la guerre en Ukraine

Beijing a depuis quelques semaines renforcé son immixtion dans le conflit ukrainien, essayant de se créer une image d’interlocuteur diplomatique privilégié du camp russe, face aux États-Unis qui se sont pleinement engagés du côté ukrainien et font tout pour prolonger la guerre indéfiniment. Après son coup diplomatique réussi dans la restauration des relations entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, la Chine voudrait faire de même dans le conflit russo-ukrainien. À bien des égards, la Chine possède plusieurs atouts . Elle entretient des relations commerciales importantes avec la Russie, mais également avec l’Europe, ce qui constitue un levier diplomatique d’envergure. Cependant, elle doit faire face à l’hostilité des alliés de l’OTAN qui la voient non seulement comme trop proche du Kremlin mais plus à long terme comme un concurrent de l’ordre mondial dominé par les Etats-Unis.

Beijing a esquissé une proposition de plan de paix le 24 février, mais que de nombreux analystes perçoivent comme trop vague et irréalisable. Néanmoins, les deux belligérants se sont montrés ouverts aux propositions, ce qui a constitué un camouflet pour les diplomaties occidentales. Le président Volodymyr Zelensky a ainsi montré de l’intérêt à une résolution diplomatique venant de la Chine, mais le refus de mentionner un retrait des troupes russes en dehors de l’Ukraine (dont le Donbass) dans ce plan de paix font qu’en dernière instance, celui-ci restera nul et non avenu. En réalité, le plan proposé par Xi est principalement une attaque contre l’hégémonie des États-Unis et « leur mentalité de guerre froide ».

Pour Poutine, l’enjeu de la visite dans le contexte de son invasion de l’Ukraine est double : il a tout d’abord besoin de rompre l’isolement de la Russie, mais aussi son propre isolement. Il y a quelques jours seulement, la Cour Pénale Internationale a émis un mandat d’arrêt à son encontre. Les signataires du Traité de Rome sont tenus de l’arrêter s’il venait à se rendre dans un des pays membres. Ironiquement, les États-Unis ne pourraient pas l’arrêter sous les termes de ce traité, ceux-ci ayant toujours refusé de le ratifier – depuis la promulgation d’une loi en 2002, les États-Unis se sont même autorisés l’invasion des Pays-Bas, où se trouve la CPI, en cas de détention d’un citoyen américain à La Haye.

En second lieu, Poutine a un besoin urgent en armes et équipement, mais les éventuelles livraisons d’armes chinoises à la Russie, que les États-Unis jugent imminentes, n’auront peut-être pas lieu, du moins via les circuits traditionnels. La position de soi-disant neutralité de la Chine dans ce conflit est un levier diplomatique important. Poutine a peu à espérer sur ce front-là. Pour certains analystes, mais aussi pour la diplomatie ukrainienne, Xi voudrait plutôt arracher des maigres concessions à Poutine sur le front ukrainien, et ainsi affermir son rôle de médiateur entre les deux belligérants.

Le véritable enjeu de la rencontre : renforcer les relations commerciales bilatérales et leur alliance géopolitique

« L’amitié sans limites » entre la Russie et la Chine, telle qu’elle avait été présentée dans une déclaration faite lors de la visite du président Poutine à Beijing quelques semaines avant le déclenchement de l’invasion russe, a rapidement trouvé ses limites, puisque Beijing a toujours refusé de soutenir officiellement l’« opération spéciale » en Ukraine, et s’est plié aux sanctions occidentales. Néanmoins, la pseudo-alliance de circonstance a globalement tenu bon, contrairement à ce qu’espéraient certains analystes étasuniens : le manque à gagner créé par les sanctions à l’encontre de la Russie a en partie été comblé par une explosion des relations économiques entre les deux pays, la Chine étant par exemple devenue le premier importateur de pétrole russe, prenant la place qu’occupait jusque-là l’Allemagne. Les exports chinois ont de même grandement augmenté, notamment de semi-conducteurs, via des circuits indirects. Ces puces sont d’une importance vitale pour la Russie, puisqu’elle les utilise pour ses armements.

Moscou a donc trouvé dans la Chine un partenaire commercial palliant les sanctions occidentales et capable d’entretenir sa machine de guerre. De son côté, Beijing est plus que content de pouvoir acheter du pétrole russe à prix cassé. Car c’est bien là le principal objectif de la visite de Xi à Moscou. Au-delà de la volonté, réelle, de se présenter comme un faiseur de paix en Ukraine, l’enjeu central de la venue de Xi est de renforcer la coopération économique bilatérale entre les deux pays. La Chine a besoin de pétrole en grande quantité, et le circuit du pétrole provenant d’Arabie-Saoudite (son principal fournisseur) et de GNL en provenance du Qatar est long et semé d’embûches : les détroits d’Ormuz et de Bab-el-Mandeb, le détroit de Malacca et enfin la mer de Chine méridionale.

La présence à ses portes du plus grand bassin d’hydrocarbures au monde, en Sibérie occidentale, pousse la Chine à réviser ses circuits d’acheminement et se détacher de la Mer de Chine, encerclée par les alliés des États-Unis. À cet effet, un des principaux points de discussion devrait être le lancement d’un nouveau gazoduc, le Power of Siberia II, qui acheminerait du gaz depuis la Sibérie en ligne directe jusqu’à la Chine, en traversant la Mongolie. Ce point des discussions est primordial pour la Chine, et important également pour la Russie, mais peu développé dans les médias mainstream qui insistent sur la question ukrainienne.

À bien des égards, la rencontre entre Poutine et Xi est plus importante pour ce dernier : la Chine est minée par les embargos commerciaux en place et à venir et cherche de nouveaux partenaires. La tâche est difficile, la plupart des entreprises chinoises préférant traiter avec l’Europe. Trouver des débouchés en Russie s’avère compliqué ; pour le moment l’évolution des relations commerciales s’est cantonnée aux marchés de l’hydrocarbures et des semi-conducteurs. Les deux chefs d’État ont tout intérêt à diversifier les imports et exports entre les deux pays.

S’ils se présentent comme des amis de toujours, l’« alliance » entre Xi et Poutine, et entre la Chine et la Russie, est une alliance de circonstance plus qu’une proximité organique ; la Russie a un besoin vital du soutien, quoique relatif, de la Chine dans son conflit, qu’il soit politique, financier ou militaire ; la Chine cherche à réduire sa dépendance commerciale avec un Occident de plus en plus hostile et avec les pays du Golfe, dont les exports sont conditionnés au contrôle des détroits qui les sépare et notamment le détroit de Malacca, « point chaud de la sécurité mondiale ». En parallèle, la Chine cherche à se créer une position d’interlocuteur privilégié dans les conflits qui traversent le monde, particulièrement des BRICS et du « Sud global ». La prochaine étape pour Xi Jinping pourrait ainsi être une discussion dans les prochains jours avec Zelenskyy, une première depuis le début de la guerre.

La politique réactionnaire et hostile des puissances impérialistes occidentales, à commencer par les Etats-Unis, a poussé la Chine et la Russie à se rapprocher. Et même si ce rapprochement semble basé sur une position défensive des deux pays, il n’est pas un détail. C’est au contraire un évènement important pour les relations internationales et la concurrence entre les Etats. Cependant, que la Chine et la Russie s’opposent à la politique des impérialistes occidentaux ne fait pas d’elles des puissances « anti-impérialistes ». En effet, Moscou et Pékin cherchent à leur façon les voies d’imposer les intérêts de leurs classes capitalistes sur la scène internationale, et par conséquent ce sont des pouvoir profondément réactionnaires et anti-ouvriers. Le mouvement ouvrier et révolutionnaire n’a pas à choisir entre ces deux « blocs » réactionnaires mais au contraire il doit chercher à créer une alternative de classe et indépendante dans le cadre de ces frictions et tensions internationales.


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