[Manifeste du FHAR]

Rapport contre la normalité (extraits)

Rapport contre la normalité (extraits)

Le Front homosexuel d’action révolutionnaire publie en 1971 le Rapport contre la normalité où il expose ses analyses, ses positions et ses objectifs. Ce document reste fondamental pour penser l’émancipation des personnes LBGT aujourd’hui. Produit des « années 68 », il prolonge la lutte contre le capitalisme par une lutte contre la société hétéropatriarcale. Le manifeste n’épargne personne : sont pointés du doigt les homos « respectables », ainsi que les organisations de l’extrême gauche, en principe critiques du stalinisme, mais adaptées à celui-ci en ce qui concerne les questions de « moeurs ». Alors que la lutte pour le droit des personnes LGBT semble aujourd’hui déconnectée de la lutte contre le système capitaliste, le manifeste du FHAR rappelle l’importance de penser les deux en même temps, main dans la main. RP Dimanche présente ici quelques extraits du Rapport

de la révolte à la révolution

Dans un monde, fondé sur la répression sexuelle et sur cette immonde saloperie le Travail, tous les improductifs, tous ceux qui ne baisent pas surtout dans la classe ouvrière , en vue de multiplier le nombre des chômeurs, sur le marché du travail, tous ceux qui en ont marre de cette putain de civilisation judéo-crétine, bourgeoise et kâpitaliste, n’ont d’autre alternative que la résignation ou la révolte. Enculés trop souvent sans plaisir, possédés par tous les bouts, croyant à cette foutaise insensée que la bourgeoisie allait les intégrer s’ils étaient bien sages, bien complaisants, sous le prétexte absurde qu’il y a des flics pédés, des curés pédés, des préfets pédés, des ministres pédés ou des industriels pédés , les homosexuels, qui ne bénéficient d’aucune protection de la prétendue République française, ont accepté, pendant des années, de fermer leur gueule. Et puis, tout d’un coup, finie la comédie : on brûle le théâtre ; on gueule : « à bas les hétérofliks ! » Et l’on crache sur les homosexuels « honorables », bien-pensants. respectés de leur concierge et des autorités établies, salauds, on aura votre peau aussi !

Il faut que vous compreniez notre rage, notre désir d’en découdre avec tout un monde qui pue la merde et le sang, un monde qui a fait des homosexuels des chiens couchants, des diminués, des résignés. Trop longtemps, la révolte des homosexuels a été contenue ; trop longtemps les homosexuels n’ont pu oser vomir à la gueule de cette société, de ses fliks, de ses patrons, de ses idéologues qu’on appelle psychiatres, psycho-sociologues ou ethnologues, tout ce qu’ils pensaient d’eux ! Ah ! cette frousse qui empêche la haine de se manifester en gestes décisifs ! Trop longtemps, le silence, l’obscurité des tasses, les bains de vapeur, les cinémas clandestins où un peu de plaisir se paie d’une angoisse-panique, sans cesse recommencée. N’y a-t-il pas un flik caché là dans l’ombre à me guetter ? Celui dont ma main effleure la cuisse ne va-t-il pas me sauter à la gorge ? Truands, indics et fliks organisent la chasse aux pédés. On tue un pédé, savez-vous, et tout le monde trouve que ce chien n’avait que ce qu’il méritait. Pensez donc : ça n’aime pas les femmes, ça n’appartient pas au grand monde, ça n’a pas de fric. Et pardessus le marché, ça fait les tasses, et sous les fenêtres d’un immeuble qui abrite des familles nombreuses, des couples très orthodoxes : TRAVAIL FAMILLE PATRIE. Et allez la musique ! Pétain, pas mort ! De Gaulle non plus !

Pas un seul hétérosexuel, si compréhensif soit-il (avons-nous besoin de compréhension, je veux dire : de cette immonde compassion, qui est le propre des curés de Gôche et il n’est pas nécessaire d’être prêtre et d’engloutir tous les matins son bon dieu en priant pour les petits enfants du e Biafra », pour mériter ce titre, ah non !), pas un seul hétérosexuel ne saura ce qu’a été notre enfer, durant tant et tant d’années : cette rage contenue, ce désir de mordre, cette envie impuissante, qui demeure là, au plus profond de nous, de détruire ce monde. Et qu’il n’en subsiste rien ! Faire que le passé crève à jamais ! A bas, les souvenirs de nos humiliations, de nos hontes.., ce sentiment d’être séparé des autres : un mur de prison invisible qui se dresse entre nous et ceux des autres auxquels nous aurions aimé parler, parler, parler... Rien à faire. Et le mur ne cesse de se consolider.

Nos amours ? Répétons-le Une vespasienne qui pue, de la merde et des bouteilles pleines d’urine, des croûtons de paths poussiéreux, disposés là exprès, comme pour nous dire voilà ce que tu es : une merde, rien de plus. Et les années qui foutent le camp, la solitude pour seule compagne, avec en arrière-plan l’insupportable idée : je n’aurai pas vécu. Quant à ceux d’entre nous qui répugnent à l’avilissement des tasses, pour aller dans les boîtes, les rencontres faites un soir, le lendemain oubliées si ce n’est pas toi qui laisses tomber, ce sera l’autre qui te dira bonsoir ! j’ai une vieille maman ! une femme ! des gosses... je ne suis pas libre. On connaît la chanson... l’éternelle comédie à quoi certains d’entre nous se laissent prendre , parlons-en !

Voilà la réalité : le vécu de l’homosexuel. Rappelons-le : je ne m’intéresse pas ici à ceux qui possèdent appartement, avec belle vue sur le bois, à ceux qui caressent un minet, acheté à Saint-Germain ou rue du Colisée, sur un lit luxueux dans la chambre de leur hôtel particulier à Neuilly. Je parle des autres ouvriers qui crèchent dans une taule humide à Saint-Ouen (ou ailleurs), petits employés de bureau, domestiques espagnols, tous voués non à la merveille mais à l’horreur des rues. Le chemin que l’on prend conduit toujours vers la même impasse, les actes que nous faisons portent en eux notre condamnation :le cardes fliks attend le soir dissimulé quelque part. La Correctionnelle guette l’homosexuel imprudent. Et qui sous prétexte « d’attentat ou d’ « outrage public à la pudeur) a été condamné à trois ou six mois de prison, fût-ce avec sursis, peut perdre sa place ; en chercherait-il une autre, son casier judiciaire l’empêcherait d’être employé.Il suffit de se reporter aux « lois françaises, sur l’homosexualité. Oserez-vous prétendre encore que les homosexuels français sont libres ? Qu’on a plein d’indulgence pour eux, ma chère ? Qu’on les aime bien au fond ! Sous prétexte qu’il y a des bouffons pédés qui font leur folle dans les salons du Tout-Paris, qu’ils n’aient pas de problèmes ? Mais la révolution dans tout ça ? Je crois avoir assez montré que l’homosexuel, dans cette société, ne peut qu’être révolté aujourd’hui ; qu’il ne peut que choisir une voie qui conduit à la libération de tous les hommes et de toutes les femmes, s’il veut réellement en finir avec la misère de sa vie quotidienne. Et j’affirme que pas un seul hétérosexuel ne sera libre, qui ne participe à notre lutte !

Malheureusement, jusqu’en mai 68, le camp de la révolution était celui de l’ordre moral, hérité de Staline. Tout y était gris, puritain, lamentable. Et quelle répression sexuelle sévissait sur tous ! Mais soudain, ce coup de tonnerre : l’explosion de Mai, la joie de vivre, de se battre ! Briser l’organisation de notre survie ! Détruire les symboles de notre oppression à tous : vivre sans entraves et jouir sans temps mort. Faire chanter les murs. Danser, rire, faire la fête ! Les homosexuels certains d’entre nous du moins découvrent alors que quelque chose de nouveau était né : Une rupture au sein du Mouvement révolutionnaire. Comme nous l’avions tant rêvé, la jeunesse étudiants, loulous, prolos accourus de leurs lointaines banlieues avait compris enfin qu’une révolution, qui n’était pas un jeu, et où toutes les passions n’ont pas la possibilité de s’épanouir, ça n’est pas une révolution. Pas ici, dans cette chienne d’Europe. Alors, devant cette situation nouvelle, nous homosexuels révoltés . et certains d’entre nous étaient déjà politisés nous avons découvert que notre homosexualité dans la mesure où nous saurions l’affirmer envers et contre tout nous amènerait à devenir d’authentiques révolutionnaires, parce que nous mettrons ainsi en question tout ce qui est interdit dans la civilisation euro-américaine.

Reste une longue route à parcourir encore. Mais désormais entre l’ordre établi, ses domestiques et nous, la guerre est ouverte. N’en doutez pas : nous souhaitons l’anéantissement de ce monde. Rien de moins. Et à cela, nous nous employons. Le règne de la nécessité prend fin. La liberté de tous, par tous, pour tous, s’annonce.
Un du F.H.A.R.

(…)

Aucun programme politique n’est entier et cohérent s’il passe sous silence l’instance du désir sexuel interdit et même du désir auto-censuré. Certes, un homosexuel d’origine bourgeoise doit se demander si la nature de son désir le rapproche plus d’un ouvrier homosexuel que sa conscience de classe ne l’en éloigne. Mais il peut aussi s’indigner de ce qu’on lui interdise à cause de ses penchants de militer dans un groupe maoïste, de même qu’aux Etats Unis, il n’aurait pas le droit de travailler dans un ministère ou au Pentagone.La bourgeoisie doit être attaquée sur tous les fronts où elle fait ressentir son oppression. La lutte pour la liberté homosexuelle n’avait peut-être pas d’utilité publique tactique il y a cent ans et elle n’en aurait pas aujourd’hui au Pakistan. Mais dans les sociétés occidentales, elle participe d’une révolution culturelle qui est devenue indispensable. Qu’elle soit enfouie, latente ou avouée, l’homosexualité est présente partout où les hommes se retrouvent entre hommes. Elle est présente dans le sport, les écoles, les confréries, les prisons, la guerre, la compétition capitaliste, le culte des idoles du spectacle, le militantisme des camarades, les relations particulières à l’intérieur des familles et même dans la jalousie dès qu’une liaison dépasse le couple. Il n’est pas question de supprimer d’un coup de baguette toutes les pratiques de compensation du désir homosexuel. Cela provoquerait trop de déséquilibres et d’angoisses. Mais il serait bon qu’on commence à prendre conscience de quoi ces pratiques tiennent lieu.La revendication homosexuelle met en cause le culte aberrant de la virilité à partir duquel la femme ne sert à un homme que pour s’imposer aux autres mêles. Elle met en cause ce que la bourgeoisie appelle stupidement la loi de nature, alors qu’elle nous fait prendre un statut culturel et une structure de comportement pour le destin biologique inévitable. Elle met en cause l’enfer du surpeuplement. Elle met en cause les institutions sacro-saintes de la famille et du patriarcat monogamique, défendues aussi bien par les républiques bourgeoises que par les démocraties populaires ou les dictatures militaires. Elle met en cause toutes les conduites masculines d’autorité, de puissance, d’agressivité et d’hystérie qui naissent du refoulement homosexuel.

Par la sodomie enfin, elle met en cause un des plus solides tabous de la société bourgeoise, le tabou de la merde et du trou du cul. L’usage presque continu à titre d’injure des mots « merdeux » et « enculé » dans le langage populaire et la persécution verbale que cet usage représente à l’égard des homosexuels montrent bien qu’il s’agit là, non d’une vision parcellaire, mais d’une obsession fondamentale celle de perdre sa virilité et de se salir. Car la virilité et la propreté sont les deux piliers de la psychologie bourgeoise.Les enculés répondent qu’ils préfèrent vivre cette obsession anale que l’escamoter, qu’ils préfèrent être baisés dans le cul que dans la tête et que pour eux au moins, baiser n’est pas devenu synonyme de tromper, abuser, blesser, ni symbole de fourberie et de mauvaise foi. Si un révolutionnaire souhaite qu’on encule publiquement un ennemi de classe, un grand patron, un chef d’État capitaliste ou un dictateur fasciste, c’est que l’image de la sodomie est automatiquement associée chez lui à celle d’humiliation, de dérision, de vengeance.Pratiquer avec amour l’acte tabou de la sodomie entre hommes vaut mieux que d’en rêver dans la haine. En outre, cela risque fort d’exorciser toutes les conduites masculines d’animosité et d’agressivité qui ne sont que la sublimation de cet acte. Il faut carrément demander au bourgeois : « Quelles sont tes relations avec ton trou du cul à part l’obligation de chier ? Est-ce qu’il fait partie de ton corps, de ta parole, de tes sens au même titre que la bouche ou les oreilles ? Et si tu as décidé que l’anus ne sert qu’à déféquer, pourquoi la bouche a-t-elle d’autres usages que manger ?

(…)

nous sommes des travailleurs homosexuels

L’autre jour, un copain a été viré parce que son patron avait appris qu’il était homosexuel. Ce fait est significatif ! Toute une législation le rend possible, le sollicite même. En effet, en France, « terre de liberté », la loi pétainiste-fasciste de 1942 corrigée et aggravée par de Gaulle en 1960 nous considère comme un « fléau social » (à côté de l’alcoolisme et de la prostitution) ce qui s’explique aisément : une société fondée sur le fric et contrôlée par les crapules capitalistes a sa logique froide : plus il y a de producteurs prêts à produire et à se reproduire, plus se créent de richesses et plus les porcs bourgeois peuvent s’engraisser. On comprend que Debré souhaite des familles de 4 enfants, 100 millions de Français pour l’an 2000, et que la loi ait été votée sous son ministère.Nous posons le problème de la liberté de chacun à disposer de son corps comme it l’entend ; notre combat est donc politique et proclamer haut et fort notre droit à l’homosexualité est révolutionnaire.La Commune de Paris et la révolution russe de 1917 avaient accordé dans les faits ce droit à la liberté sexuelle à tous et à toutes (homosexuelles ou non).
C’est ce souvenir que nous commémorons aujourd’hui et que tous les travailleurs révolutionnaires, homosexuels ou non (en 1964 : condamnes 331, dont 136 ouvriers et employés et pas un seul chef d’entreprise ; statistiques de la justice) commémorent avec nous.Les homosexuels se libéreront !Nous détruirons la société capitalo-bourgeoise. Vive la Commune de Paris ! Vive la Révolution !(Tract diffusé le 30 avril 71.) »

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