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Renouveau du mouvement féministe en France ?

Cléo Rivierre

Renouveau du mouvement féministe en France ?

Cléo Rivierre

La manifestation du 23 novembre a rassemblé 150 000 personnes dans tout le pays. Dans un contexte explosif, tant à l’échelle internationale que nationale, avec la grève à partir du 5 décembre qui se profile, se pose la perspective d’un renouveau du mouvement féministe et d’un ralliement à un mouvement d’ensemble contre la réforme des retraites et contre Macron et son monde néolibéral.

Ce sont 150 000 personnes qui ont manifesté dans toute la France, dont 100 000 à Paris. Les manifestant.es ont été presque trois fois plus nombreux.ses que l’an dernier, où les organisatrices revendiquaient 60 000 participants. La mobilisation s’est tenu dans une trentaine de villes en France. Selon le collectif Nous Toutes, qui compte parmi les principaux organisateurs de la manifestation, il s’agit de « la plus grande marche de l’histoire de France contre les violences ». Libération cite l’écrivaine et militante féministe Florence Montreynaud, qui dit n’avoir « jamais vu de manif aussi énorme » et qui ajoute : « voir ça de mon vivant, c’est tout simplement extraordinaire ».

Il faut dire que les raisons de descendre dans la rue étaient, elles aussi, nombreuses en cette journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. L’organisation féministe Nous Toutes dénombre à ce jour 137 féminicides en 2019 en France. Ce chiffre est en augmentation par rapport aux dernières années et équivaut presque à une femme tuée tous les deux jours en France par son conjoint ou ex-conjoint. Si cette terrible réalité a pu être mise sur le devant de la scène médiatique en 2019, c’est grâce à l’action des multiples collectifs féministes et politiques. Les manifestant.es comptaient parmi elles de très nombreuses jeunes filles. La présence en nombre de ces étudiantes, ces lycéennes et ces jeunes travailleuses exprime une politisation nouvelle, l’apparition potentielle d’une nouvelle génération féministe en France, massive et combative. Ainsi, la manifestation a largement débordé le cadre du collectif Nous Toutes. Les manifestant.es exprimaient d’ailleurs une certaine radicalité dans le discours, avec des slogans tels que « police coupable, justice complice ! » ou encore des mots d’ordre visant directement l’État et le gouvernement.

Cette défiance envers le gouvernement et envers les réponses institutionnelles au problème des violences sexistes s’est de nouveau exprimée, deux jours après la manifestation, lors des déclarations d’Édouard Philippe à propos du « Grenelle sur les violences faites aux femmes ». Malgré le milliard d’euros annoncé par le gouvernement pour lutter contre les féminicides et autres agressions sexistes, les associations féministes ont été nombreuses à dénoncer – à raison – une opération de communication gouvernementale et l’absence de réelles solutions ainsi que de réel budget. Des figures telles que Caroline de Haas, à l’initiative de Nous Toutes, ont ainsi jugé les mesures du « Grenelle » totalement insuffisantes. Sur Twitter, elle souligne que le milliard vanté par Schiappa et Philippe est totalement hypothétique et peut se résumer, en réalité, à 360 millions d’euros. De plus, les mesures annoncées se contentent en grande partie de solutions individuelles et venant prendre place après que les violences aient été commises.

Mais cette défiance envers Macron et son gouvernement s’inscrit également dans un contexte d’ébullition sociale généralisée dans le pays. Depuis plusieurs mois, les foyers de lutte se multiplient avec en premier lieu, les Gilets jaunes qui ont osé défier Macron et ont fait trembler les classes dominantes françaises. Parmi ces Gilets jaunes, de très nombreuses femmes étaient en première ligne. Alors que le mouvement fêtait son premier anniversaire il y a deux semaines, la contestation a gagné de nombreux autres secteurs : les urgences et tout le personnel hospitalier, en lutte depuis déjà plusieurs mois, mais aussi la RATP et la SNCF qui se préparent à entrer massivement en bagarre contre la réforme des retraites, etc. Il en va de même de la précarité étudiante, dont le tabou commence, depuis quelques semaines, à sauter. Les femmes sont les premières victimes de la précarité et la réforme des retraites ne fera pas exception à cette règle. En calculant notamment le taux des pensions sur la base de l’ensemble de la carrière professionnelle et non plus des meilleures années cotisées, elle promet aux femmes – qui ont bien souvent des carrières hachées, qui travaillent pendant de longues périodes à temps partiel, ou qui se mettent en congé parental – une retraite largement en dessous de celle des hommes, insuffisante pour vivre dignement. La réforme des retraites en préparation par le gouvernement est d’ailleurs le lieu d’une contestation qui s’annonce historique, avec de très nombreux appels à la grève le 5 décembre dans le privé comme dans le public, et parmi ceux-ci plusieurs appels à la grève reconductible.

Enfin, cette radicalité et cette massivité de la manifestation du 23 novembre s’inscrit dans un contexte international particulier. On assiste en effet à un retour de la lutte des classes. De nombreuses révoltes font trembler les gouvernements et le néo-libéralisme en place : en Algérie, au Soudan, en Équateur, au Chili, au Liban, en Iran... et les femmes ont souvent une place particulière dans ces luttes, se dressant contre leur vulnérabilité aux violences économiques et de genre. Au Chili par exemple, ce sont les lycéennes des lycées de filles qui ont été les premières à sortir dans les rues contre la hausse des tarifs de transports en commun. Les Libanaises quant à elles, mêlent à la contestation du régime leurs mots d’ordre féministes. Dans une autre mesure, en Irak, de nombreuses femmes, notamment des lycéennes, sont engagées dans la contestation.

Dans ce contexte explosif, se pose la question d’un renouveau du mouvement féministe en France. Si l’on peut depuis quelques années parler de « quatrième vague » du féminisme à l’échelle internationale et si, depuis quelques mois, de nombreuses révoltes éclatent – en France ou ailleurs – dans lesquelles les femmes jouent un rôle important, cette nouvelle génération féministe en France reste à construire. La perspective du ralliement de cette nouvelle génération à un mouvement d’ensemble contre la réformes des retraites, mais aussi contre Macron et son monde néolibéral, est ouverte. Construire un mouvement féministe internationaliste, anti-impérialiste et anti-raciste, anticapitaliste, contre toute forme d’exploitation et d’oppression, pour une transformation radicale de la société et pour la révolution socialiste, tel est l’objectif que se fixe le collectif Du Pain et Des Roses.

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