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Droit à l’auto-détermination

Sahara Occidental. L’Algérie suspend le traité d’Amitié avec l’Espagne et la tension monte

Après le tournant historique de la position espagnole à l’égard de l’auto-détermination du Sahara Occidental, soutenant la position du Maroc, l’Algérie vient de « suspendre » le Traité d’Amitié datant de 2002 avec l’Espagne.

Philippe Alcoy

9 juin 2022

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Peut-on dire que le pari de Pedro Sanchez est en train d’échouer ? En effet, le président espagnol en mars dernier, en pleine crise ukrainienne, avait décidé de tenter de rétablir les relations avec le Maroc, pays d’une importance stratégique pour l’Espagne et pour l’Union Européenne en matière de contrôle des flux migratoires et de l’importation du gaz algérien. Les relations entre les deux pays s’étaient refroidies en 2021 quand le royaume avait découvert que l’Espagne avait accueilli, à la demande de l’Algérie, le leader du Front Polisario (organisation qui se bat contre le Maroc pour l’auto-détermination du peuple sahraoui) dans un hôpital espagnol du fait du Covid-19. Justement pour y remédier Pedro Sanchez a décidé d’endosser la positon marocaine sur le Sahara Occidental. A savoir : annexer le territoire en lui octroyant une certaine forme d’autonomie. Cela a déclenché la rage d’Alger, historique allié du Front Polisario et défendant un référendum sur l’auto-détermination du Sahara Occidental.

Le pari du gouvernement espagnol était de rétablir les relations avec le Maroc et s’assurer la « protection » de ses frontières face à de probables flux migratoires causés par la crise économique et alimentaire que la guerre en Ukraine va provoquer sur le continent africain. Parallèlement, Madrid espérait que l’apaisement des relations avec Rabat allait permettre la remise en route du gazoduc Maghreb-Europe qui transporte une partie du gaz algérien à travers le territoire marocain. Ce gazoduc avait en effet été désactivé après que l’Algérie a refusé de renouveler le contrat sous fond de tensions avec le Maroc et sa position sur le Sahara Occidental. Le gouvernement espagnol semblait espérer que la réaction de l’Algérie serait « modérée » et que, dans le contexte de l’envolée du prix du gaz et de la recherche de sources alternatives au gaz russe, Alger trouve son compte dans la nouvelle situation. C’est ce pari qui semble en train d’échouer.

En effet, après que Pedro Sanchez a ratifié sa position en faveur du Maroc le gouvernement algérien a décidé de « suspendre » le Traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération signé en 2002 avec le pays ibérique. Même si ce traité ne s’y référait pas ouvertement, il marquait un accord tacite entre l’Algérie et l’Espagne impliquant que les deux pays défendraient la position de l’ONU sur le Sahara occidental ; c’est-à-dire l’organisation d’un référendum sur son auto-détermination (dont la tenue est repoussée depuis 1991).

Mais au-delà du choc politique de cette décision (qui n’est pas une véritable surprise), elle a également des conséquences économiques. La première est la décision de l’Association professionnelle des banques et des établissements financiers (ABEF) de « procéder au gel des domiciliations bancaires des opérations de commerce extérieur de produits et services, de et vers l’Espagne ». Cela est inquiétant pour l’économie espagnol (et algérienne) car ce sont les échanges commerciaux entre les deux pays qui sont en risque. En effet, comme l’indique El País : « selon les données du secrétariat d’État au commerce, l’Espagne a exporté 1,242 milliard d’euros vers l’Algérie entre janvier et août 2021 (1,916 milliard d’euros en 2020), tandis qu’elle a importé 2,556 milliards d’euros (2,511 milliards d’euros l’année précédente), principalement des hydrocarbures. L’Espagne est le troisième client de l’Algérie (après l’Italie et la France) et son cinquième fournisseur (derrière la Chine, la France, l’Italie et l’Allemagne) ».

L’autre grande crainte c’est que les exportations de gaz algériens soient affectées. En effet, l’Espagne est très dépendante du gaz algérien, elle en importe autour de 40% de sa consommation totale. Même si les deux pays ont passé des contrat de longue durée, comme l’explique Público, « ce qui pourrait arriver, c’est que la sanction soit imposée sous la forme d’une augmentation de prix, puisque les prix sont revus tous les trois ans ».

Cette question est d’autant plus importante que, comme nous l’avons dit plus haut, la guerre en Ukraine pousse l’UE à chercher des sources alternatives d’approvisionnement de gaz. L’Algérie pourrait devenir une alternative mais pour cela les relations entre Alger, Rabat et Madrid devraient être apaisées pour permettre d’augmenter les exportations de gaz algérien par tous les voies disponibles, y compris le gazoduc Maghreb-Europe qui passe par le Maroc. Mais on peut également émettre l’hypothèse que le gouvernement algérien est en train de tenter de tirer profit justement de la situation internationale pour accentuer la pression sur l’Espagne. Et le Maroc aussi. C’est précisément cela que l’on peut lire dans une tribune parue dans El País : « le contexte international est désormais marqué par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le Maroc et l’Algérie estiment que leur collaboration est encore plus précieuse pour leurs partenaires internationaux et surtout pour leurs voisins. Dans le cas de l’Algérie, en raison de son rôle de fournisseur de gaz naturel, et dans le cas du Maroc, en raison de sa capacité à contrôler les flux migratoires d’un continent africain qui commencera à subir les effets de la hausse des prix et de l’insécurité alimentaire mondiale ».

Dans ce contexte, ce n’est pas un hasard que l’Union Européenne soit aussitôt venue en aide à l’Espagne menaçant l’Algérie. « La politique commerciale est une compétence de l’UE et les relations commerciales se font entre l’Union européenne et les pays tiers. Cela définit donc le cadre dans lequel nous opérons. Et les pays tiers qui commercent avec l’Union européenne le font avec l’Union européenne, pas avec des pays individuels », a déclaré Eric Mamer chef du bureau de porte-paroles de la Commission Européenne. Le gouvernement espagnol a également menacé de dénoncer l’Algérie auprès de l’UE.

Comme nous le voyons le gouvernement espagnol, et l’UE, poursuivent avant tout leurs propres intérêts. Leurs discours hypocrites sur le droit à l’auto-détermination de l’Ukraine s’évaporent à l’heure de discuter de ce même droit à l’auto-détermination du peuple sahraoui. Et cela a toujours été le cas de l’impérialisme espagnol. Car quand on parle de « tournant historique » de sa position sur le Sahara Occidental, en réalité il faudrait nuancer cette définition et pointer que Madrid a toujours eu un double discours sur la question. Comme l’explique Santiago Lupe de Izquierda Diario : « pendant 47 ans, l’UCD, le PSOE et le PP ont soutenu avec des mots les demandes du peuple sahraoui, tandis qu’avec leur real politik étrangère, ils approuvent l’occupation marocaine du Sahara, en échange de la participation au pillage de ses ressources des entreprises espagnoles dans les secteurs de la pêche, de la construction et de l’énergie - comme King Pesca, Acciona ou Gamesa - et des accords avec la dictature de Mohamed VI pour faire le sale boulot dans le contrôle de la frontière sud de l’UE ».

Depuis 1975 la Maroc occupe 80% du territoire sahraoui avec la complicité des puissances impérialistes et de l’ONU. En 1991 en effet le Front Polisario et le Maroc décrétaient un cessez-le-feu en attente d’un référendum sous l’égide de l’ONU, qui depuis n’a jamais eu lieu. En 2007 le Maroc a proposé d’annexer le Sahara Occidental tout en lui promettant une certaine autonomie, une proposition soutenue par la France. Fin 2020, c’est au tour de l’administration Trump de reconnaitre la souveraineté du Maroc sur le Sahara en échange d’une normalisation des relations du pays maghrébin avec Israël. Depuis son arrivée à la Maison Blanche Joe Biden a maintenu la politique de Trump. Puis l’Allemagne a récemment adopté son soutien à la positon coloniale marocaine, juste avant Pedro Sanchez pour l’Espagne.

Comme on le voit le peuple sahraoui ne peut faire aucune confiance aux puissances impérialistes ni à l’ONU pour obtenir son droit à l’auto-détermination. Le gouvernement algérien pour différentes raisons dit historiquement soutenir les revendications du Sahara Occidental. Mais justement l’Algérie a ses propres intérêts dans cette cause, dont la lutte pour le leadership régional contre le Maroc et ses intérêts économiques. Le peuple sahraoui ne peut pas faire confiance au régime réactionnaire du FLN en Algérie qui lui aussi utilise le droit à l’auto-détermination sahraoui en poursuivant ses propres intérêts à l’étranger et à l’intérieur.

Encore une fois, le peuple sahraoui ne peut s’appuyer vraiment que sur la classe ouvrière marocaine et algérienne pour s’assurer véritablement son droit à l’auto-détermination qui est inséparable de la lutte contre les régimes réactionnaires du Maroc et de l’Algérie mais aussi, et surtout, contre les puissances impérialistes comme l’Espagne, dans la perspective de l’instauration de gouvernements des travailleurs dans la région.


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