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Ecologie

Sandrine Rousseau : derrière la « radicalité » affichée, quel programme écologique et social ?

Avec 25,14% des suffrages lors du premier tour de la primaire EELV, Sandrine Rousseau vient concurrencer le candidat néo-libéral Yannick Jadot avec un profil qui se veut « de rupture et d’écologie sociale » et que les médias n’hésitent pas à présenter comme « radical ». Qu’en est-il vraiment ?

Ariane Anemoyannis

25 septembre 2021

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Un succès électoral basé sur un discours aux accents anticapitalistes, féministes et antiracistes

Disons-le d’emblée. Le très bon score de Sandrine Rousseau au premier tour des primaires EELV – 25,14% des 122 675 participants – témoigne de la popularité des idées anticapitalistes et féministes, en particulier chez les jeunes électeurs mais aussi parmi les classes populaires. « Je veux porter une proposition qui n’a jamais été portée dans le paysage politique, à la fois une écologie radicale et aussi un projet de société. Je veux être en phase avec les mouvements sociaux qui se sont mobilisés ces dernières années, pour profondément changer la vie des gens » expliquait-elle ainsi sur Blast le week-end dernier.

Loin d’être une novice en politique, celle qui a été candidate cinq fois pour le parti des Verts entre 2009 et 2015 souhaite ainsi incarner en 2022 « un débouché aux mouvements sociaux de ces dernières années qui sont extrêmement puissants, en particulier chez les jeunes ». En faisant directement allusion à la lutte dans ses discours et à travers les symboles de sa campagne – ses militantes arborent par exemple le foulard à pois de manifestantes féministes de la grève contre la réforme des retraites – Sandrine Rousseau se veut l’héritière d’une radicalité qui tranche avec les candidats favoris de la primaire EELV.

Face à Yannick Jadot, candidat du capitalisme vert qui a manifesté derrière les syndicats de police et l’extrême-droite en mai dernier, elle séduit ainsi un électorat plus jeune et plus à gauche qu’elle appelle à « changer le système avec [elle] ». Mais tant son programme que ses actions politiques durant plus d’une décennie de mandature révèlent pourtant une réalité bien plus tiède que la radicalité des générations climat et Adama qu’elle tente de convaincre de voter pour elle.

Écologie : du déjà-vu insuffisant pour répondre à l’urgence climatique

Côté écologie, si Sandrine Rousseau se refuse à « attendre, et à être dans une forme de conciliation », le programme qu’elle souhaite présenter en 2022 contraste cependant avec l’urgence climatique qu’elle pointe du doigt.

Parmi ses mesures phares, l’augmentation du prix du carbone jusqu’« entre 200 et 250 euros la tonne ». En effet, depuis 2005, l’Union européenne a mis en place un marché du carbone monétisant le droit à polluer pour inciter les multinationales à réduire leurs émissions. Seulement, ce système a prouvé son échec depuis 15 ans, les multinationales trouvant des moyens d’échapper aux contraintes par l’achat de crédits d’émissions. Non seulement la possibilité d’appliquer cette mesure est douteuse, mais vouloir contraindre les multinationales par un mécanisme de marché implique de leur laisser la main sur la production, en pariant sur une simple incitation sans les priver de leur capacité titanesque à détruire l’environnement au nom du profit. Un projet déconnecté de l’urgence climatique et qui risque d’être payé par le consommateur ou contourné par de nouveaux subterfuges.

Dans la même veine, la candidate promet « la mise de la finance au service d’une économie durable » en orientant l’argent public et des particuliers sur des produits dits « durables ». Cette logique s’inscrit dans le mythe d’une finance au service de la transition écologique véhiculée par les banques elles-mêmes. Celles-ci mettent en avant de façon croissante leurs produits financiers « verts », tout en continuant d’investir massivement dans les énergies fossiles. Sandrine Rousseau prétend aller au-delà de l’existant, mais en laissant le contrôle aux banques en dernière instance. Si elle souhaite interdire « à moyen-terme » le financement des énergies fossiles, on peine à voir comment elle irait jusqu’au bout de telles contraintes face aux puissantes banques françaises.
Si le programme de Sandrine Rousseau paraît très modéré et difficilement crédible sur ses mesures les plus dures alors que sa logique préserve le contrôle du capital sur la production, la candidate n’hésite pas par ailleurs à vouloir faire payer les classes populaires. Ce vendredi lors d’un débat du second tour avec Yannick Jadot, elle a ainsi expliqué vouloir imposer une augmentation progressive du prix de l’essence jusqu’à atteindre 2 euros le litre en 2027. Une véritable attaque contre les classes populaires de la part de celle qui entend lutter contre la précarité, et dont les compensations en termes de projet pour les transports publics ou de pouvoir d’achat sont totalement dérisoires comme nous allons le voir.

Finalement, ces propositions sont agrémentées de mesures cosmétiques telles que l’inscription dans la Constitution de la nécessité de préserver la nature. En ce sens, son programme n’a pas grand-chose à voir avec l’anticapitalisme mais ressemble plutôt à une resucée de mesures capitalistes vertes traditionnelles. Or, comme le pointe Daniel Tanuro : « il n’y a pas de stratégie de marché permettant de gagner la lutte contre le changement climatique provoqué par le marché : la catastrophe ne peut être conjurée qu’en affrontant le capitalisme et sa dynamique d’accumulation ».

Un programme « social » pour ne pas gêner le patronat

La logique de la militante EELV consistant à proposer des mesures le moins douloureuses possibles pour le patronat se poursuit logiquement sur le terrain social. Ainsi, Sandrine Rousseau prétend lutter contre la misère en instaurant un revenu d’existence à 850 euros par mois pour les personnes « en précarité » au-dessus de 18 ans. Si l’objectif de lutte contre la précarité et contre un système qui ne cesse de « prendre, utiliser et jeter le corps des femmes, des plus précaires et des racisés » rejoint l’aspiration de larges couches de la population à vivre dignement, la logique même d’un revenu « de base » repose sur l’idée que le chômage de masse serait indépassable et qu’il s’agit donc de chercher à aménager la misère de toutes celles et ceux qui sont privés de travail..

Une logique qui alimente l’exclusion de secteurs entiers de la population, alors qu’il serait possible de partager le temps de travail entre toutes et tous. Mais par ailleurs, même du point de vue de ses défenseurs, comment ne pas voir le scandale d’un revenu qui s’établit en dessous du seuil de pauvreté ! De fait, le « revenu d’existence » apparaît à l’étude comme un simple aménagement des revenus de misère existants par la « fusion et simplification des principaux minima sociaux et du RSA ».

Autre promesse phare : la semaine de 4 jours. Mais là encore il y a de quoi douter de la réalité de la promesse. Dans son programme la candidate à la primaire écolo explique ainsi que la mesure sera « mise en œuvre en concertation avec les partenaires sociaux via des accords de branche ou d’entreprises. » Une adaptation à « l’inversion de la hiérarchie des normes » entérinée par la Loi Travail de 2016 sous la pression d’un patronat qui fait la guerre à toute mesure imposée nationalement, et défend des négociations par branches ou par entreprises qui lui sont favorables. En ce sens le prétexte de « tenir compte de la réalité du terrain » conduit surtout à rendre totalement illusoire la promesse affichée.

Antiracisme cosmétique et surenchère sécuritaire : bien loin des aspirations de la génération Adama

Finalement, pour ce qui est de l’antiracisme, Sandrine Rousseau s’est illustrée en étant la seule candidate dénonçant la discrimination quotidienne des populations racisées et expliquant qu’« on ne peut nier le racisme en France ». A la Fête de l’Huma, elle s’est même affichée avec Assa Traoré, figure de la lutte anti-raciste et contre les violences policières.

Pourtant, le programme qu’elle défend se résume à… l’anonymisation des CV : une mesure totalement minime face à une oppression structurelle. Une idée par ailleurs déjà testée en France et dans d’autres pays et dont les résultats sont nuls voire négatifs, certaines études pointant l’aggravation des discriminations à l’embauche dans les entreprises pratiquant l’anonymisation du CV.

Dans le même sens, alors que les derniers mouvements – des Gilets Jaunes à la Loi Sécurité Globale – ont pointé du doigt le racisme de l’institution policière et son rôle de répression des classes populaires, la candidate EELV revendique « une police de proximité qui soit installée dans les quartiers ». En définitive, il s’agit donc d’augmenter le nombre de policiers, Sandrine Rousseau précisant au passage qu’« on ne peut pas garantir qu’il n’y ait jamais de bavures ».

Une position qui, loin d’être à la hauteur de la lutte contre le racisme et les violences policières apparaît comme une version « soft » de la surenchère sécuritaire du gouvernement. D’ailleurs, Sandrine Rousseau n’hésite pas à critiquer ce dernier sur la droite en dénonçant son inaction, affirmant que « la sécurité ne se gère pas avec des coups de communication » et qu’il s’agit de « réinvestir dans la sécurité ».

Fusion des universités, frais d’inscription des étudiants étrangers : dix ans de politique de casse de l’Enseignement supérieur à Lille

Finalement, l’admissible au second tour de la primaire des Verts face à Yannick Jadot a eu plusieurs attentions envers les jeunes, dénonçant leur précarisation et fustigeant un gouvernement « qui ne respecte pas sa jeunesse » en allusion à la détresse psychologique des étudiants pendant le confinement. Pourtant, la relation de Sandrine Rousseau avec ces derniers est pour le moins houleuse depuis plusieurs années, et pour cause : elle a orchestré en tant que vice-présidente du pôle Recherche et Enseignement au Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais la fusion entre les trois universités de Lille mise en place en 2018, et milite désormais pour un second projet de fusion avec quatre autres écoles d’ici 2022 en tant que Vice-présidente de l’Université de la ville.

Une politique qui vient accélérer la casse de l’enseignement supérieur en réduisant les effectifs au sein des administrations universitaires et en ouvrant la gouvernance des établissements à davantage de personnalités extérieures issues de grandes entreprises, non sans colère de la part des étudiants et travailleurs de l’université. Cette année, c’est une vingtaine d’organisations du site qui l’ont ainsi interpellée quant à la réduction des admissions d’étudiants étrangers par l’application pleine et effective par l’Université de Lille du plan raciste Bienvenue en France.

La nécessité d’une candidature véritablement révolutionnaire pour 2022

En dernière instance, si le succès électoral de Sandrine Rousseau témoigne de l’aspiration croissante de secteurs des classes populaires et des couches opprimés de la société à une candidature anticapitaliste, féministe et antiraciste, il est surtout le reflet de la droitisation générale de l’échiquier politique qui fait passer des projets tièdes pour un programme « radical ». De fait, y compris au sein d’EELV, les figures du parti comme Eric Piolle et Delphine Batho s’adonnent sans complexe à la surenchère sécuritaire et réactionnaire tout en proposant comme le fait Yannick Jadot des programmes économiques clairement libéraux.

Ainsi, bien que le projet politique de Sandrine Rousseau soit loin d’être aussi radical qu’elle le prétend, l’ultra-libéralisme et le conservatisme de ses adversaires lui permettent d’incarner une aile plus progressiste et en phase avec la politisation de ces dernières années. Mais pour incarner véritablement une perspective anticapitaliste, féministe et antiraciste dans la période, il apparait incontournable de proposer un projet clairement révolutionnaire, tant dans le discours que le programme.

C’est en ce sens que Révolution Permanente défend la candidature d’Anasse Kazib autour d’un programme révolutionnaire pour une véritable transition écologique. Un programme qui passe par l’expropriation des secteurs stratégiques, leur nationalisation sous contrôles des travailleurs et la réorientation de la production au service d’un projet écologie de grande envergure. Un programme essentiel pour faire face à l’urgence climatique, en récupérant les leviers de transformation de la société, qu’il s’agisse de la transition vers les énergies renouvelables, d’un développement massif des transports publics ou de l’arrêt des activités polluantes et superflues.


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