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Magouilles à l'Université

Sélection illégale à l’Université : ce que dévoile (et omet) le rapport de l’UNEF

Ivan Matewan L'Union nationale des étudiants de France (Unef) vient de tirer la sonnette d'alarme : le droit de chaque bachelier d'accéder aux études supérieures n'est plus garanti en France. L'Unef condamne en effet la réduction des capacités d'accueil opérées par des universités au bord de la faillite et la mise en place de filières d'élite leur permettant de contourner l’obligation d'accueillir tous les bacheliers. Pourtant, la conclusion du rapport se limite à un appel à plus de dialogue social avec ceux-là mêmes qui organisent l'asphyxie de l'enseignement supérieur et de la recherche et cette sélection de fait.

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Un accès de plus en plus réduit à l’université

Le constat est clair : l’accès à l’université est de plus en plus restreint. Alors que le code de l’éducation garantit en théorie à chaque bachelier un libre accès au premier cycle universitaire, en pratique les universités ne respectent plus cette obligation. Selon l’étude réalisée par l’UNEF, 76 % des universités françaises, soit 54, pratiquent la sélection illégale à l’entrée en licence. Ces pratiques comprennent notamment le tirage au sort ou la mise en place de diplômes sélectifs exigeant des « pré-requis », donc nécessitant une sélection à partir d’un dossier, d’un entretien ou des notes du baccalauréat. Parmi les lauréats de la sélection illégale se trouvent l’Université de Paris IV Paris-Sorbonne et l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne où les filières sélectives (46 et 23 respectivement) se sont multipliées ces dernières années avec la volonté affichée de devenir des pôles d’élite au rayonnement international au milieu du paysage universitaire français.

Si les universités ont recours à ces pratiques pourtant illégales, c’est à cause de la politique d’austérité mise en place par les gouvernements successifs qui frappe l’enseignement supérieur depuis de nombreuses années. La pénurie budgétaire oblige les établissements à réduire leurs capacités d’accueil en dépit de leurs mission de service public et obligation d’accueillir l’ensemble des bacheliers. Dans l’Académie de Besançon, on observe une chute de 10 % des capacités d’accueil ; dans l’Académie de Limoges, on passe de 6 à 25 filières concernées par la réduction des capacités d’accueil ; et dans l’Académie de Créteil, celles-ci baissent globalement sur l’ensemble des établissements (Université de Paris 8 Saint-Denis, Université de Paris 13 Nord...). Les pratiques illégales risquent de se développer encore davantage face au manque de 100 millions d’euros dans le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche pour l’année à venir. Les capacités d’accueil continueront ainsi à se réduire, des milliers de bacheliers à se retrouver sans fac et les conditions d’études à se dégrader.

Une transformation qualitative du système universitaire français

Mais si le développement de ces pratiques sélectives illégales est en partie dû à la nécessité de faire face à la pénurie budgétaire, il s’inscrit dans un contexte plus global qu’est la transformation de l’enseignement supérieur et de la recherche depuis plus d’une décennie. Après le passage aux « responsabilités et compétences élargies » (2007) et à l’autonomie budgétaire avec la LRU (2009), c’est la loi Fioraso, loi phare du gouvernement en matière d’enseignement supérieur et de recherche et votée par le Parlement en 2013, qui vise à faire un saut qualitatif dans la transformation du système universitaire français.

« La démarche élitiste » qu’épingle l’Unef dans son rapport est désormais inscrite dans l’ADN de l’enseignement supérieur français. Il s’agit de revenir sur un certain nombre d’acquis et de caractéristiques de l’université massifiée issue de la poussée populaire et étudiante de Mai 68, comme le libre accès au premier cycle pour tout bachelier, afin de réduire le coût de l’enseignement supérieur, de réduire l’offre de formation et de le rendre encore plus adapté que par le passé aux besoins du marché du travail et en dernière instance du patronat. La réduction des capacités d’accueil est donc l’une des conséquences naturelles de ces politiques. La rallonge budgétaire réclamée par l’UNEF ne saurait évidemment faire l’affaire dans la lutte contre cette sélection illégale.

Le dialogue social : une stratégie gagnante pour en finir avec la sélection à l’université ?

Pourtant, l’Unef refuse de se prononcer contre la loi Fioraso depuis son adoption. S’ils essaient de négocier des améliorations à la marge avec le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ils acceptent le cadre global de l’évolution du système universitaire français. Là où les regroupements se mettent en place avec les conséquences qu’on connaît, l’Unef les a à peine dénoncés, et encore moins, combattus. Ils se sont systématiquement placés sur le terrain du dialogue social avec les mêmes hauts fonctionnaires et ministres qui organisent la casse de l’enseignement supérieur et de la recherche.

La lutte contre la sélection à l’université ne saurait se limiter, par ailleurs, à la simple dénonciation des pratiques illégales. Une sélection sociale s’opère, de manière cachée, mais tout à fait légale, tous les jours dans l’enseignement supérieur. Sur les 2,4 millions d’étudiants en France, seuls 30 % sont issus de la classe ouvrière et des couches populaires en licence. Ce chiffre se réduit à 17 % en master et à 12 % en doctorat. De plus, faute de bourses versées à temps et permettant de vivre dignement, face à une pénurie de logements sociaux étudiants ou encore de services adéquats en CROUS, près d’un étudiant sur deux doit se salarier pendant ses études afin de (sur)vivre. Tout cela participe de l’écrémage social au détriment de ceux qui ne viennent pas des meilleurs lycées, habitent loin, doivent travailler à côté de leurs études, et sont en majorité issus de la classe ouvrière et de ces couches populaires. Sans parler des millions de jeunes qui en sont exclus de fait car ils n’ont pas obtenu le baccalauréat. L’université n’échappe pas aux contradictions qui traversent la société capitaliste dans son ensemble.

La lutte contre la sélection à l’université ne peut pas passer par le dialogue social avec ceux qui l’organisent sciemment depuis les conseils d’administration des universités, les Ministères, le Parlement et l’Élysée. Elle ne peut pas se limiter à une dénonciation des pratiques illégales. Seule une mobilisation des étudiants contre ces mécanismes de sélection sociale et les contre-réformes peut tracer le chemin vers un système d’enseignement supérieur auquel tout le monde a véritablement accès. Vers une université réellement démocratique, ouverte aux enfants d’ouvriers, qui s’émanciperait des diktat du capital et pourrait servir à l’amélioration réelle des conditions de vie et d’épanouissement de la majeure partie de la population.


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