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Sorbonne occupée

Sorbonne occupée. Des dégradations instrumentalisées pour délégitimer la colère étudiante

Jeudi soir, l’occupation de La Sorbonne par les étudiants mobilisés contre le second tour entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron s’est terminée sous la pression policière et administrative. Depuis, le gouvernement et la droite mènent une offensive de délégitimation de la colère étudiante en pointant du doigt les dégradations commises durant l’occupation.

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Crédits photo : © Claude Dityvon / Chambre noire

Alors que l’occupation d’une partie des locaux de La Sorbonne avait été votée mercredi après-midi par 600 étudiants réunis en Assemblée générale en réaction au duel Macron-Le Pen au second tour, les pressions policière et administrative ont conduit à l’évacuation des derniers occupants jeudi soir. Rapidement, des images de l’intérieur de La Sorbonne ont été diffusés sur les réseaux sociaux et par les médias, montrant les tag sur les murs et les tables et chaises utilisées comme barricades. Également, du matériel appartenant au personnel de l’université ainsi que des livres auraient été endommagés.

La présidente de Paris 1 a réagi dans un communiqué envoyé au personnel et étudiants de l’université, expliquant que « lorsque nos locaux de recherche, nos amphithéâtres, nos salles de cours, nos bibliothèques, sont détruits comme cela vient d’être constaté, c’est l’essence même de l’université qui est attaquée, la production des savoirs et la liberté ». Le rectorat a quant à lui dénoncé des « violences inacceptables et des dégradations importantes ».

De son côté, l’extrême-droite a appelé à plus de répression et de sanctions. « Regardez le triste état de la #Sorbonne après seulement quelques heures d’occupation par l’extrême-gauche : trop de laxisme, depuis trop longtemps : ils doivent payer la facture ! » s’est ainsi empressé de tweeter Gilbert Collard, ex-RN et nouvelle coqueluche du parti d’Eric Zemmour. Le syndicat d’extrême-droite La Cocarde a condamné « l’insupportable profanation de la chapelle de La Sorbonne » en référence à des tags sur la façade de celle-ci.

Le constat de dégradations peut légitimement susciter du désarroi du côté des enseignants et étudiants de l’université. Parmi les étudiants mobilisés, il pose la question de la politique à mener pour élargir la lutte, pour se lier aux travailleurs de l’enseignement supérieur et arracher une victoire du mouvement étudiant – discussion qui a d’ailleurs été menée dans les Assemblées générales à La Sorbonne mercredi et jeudi.

Mais la polémique dirigée par l’Etat via le rectorat et les présidences d’université et accompagnée par l’extrême-droite sur les réseaux sociaux est toutefois une opération consciente visant à détruire le premier embryon de mouvement étudiant depuis 2018 et la lutte défaite contre Parcoursup. Elle est ainsi le prétexte à une répression féroce sur le terrain administratif mais aussi policier voire judiciaire, qu’il faut dénoncer avec la plus grande fermeté.

Objectif n°1 : Déligitimer la colère étudiante

La rhétorique de la dénonciation des dégradations faite l’Etat et l’administration – et appuyée par l’extrême-droite – n’est pas nouvelle et vise en premier lieu à décrédibiliser les mobilisations étudiantes en dressant le portrait d’une jeunesse écervelée et destructrice. Déjà en mai 68, les tags sur les murs de La Sorbonne avaient été au cœur de la bataille de l’opinion publique entre le pouvoir d’un côté et le mouvement étudiant de l’autre. Plus récemment en 2018, le gouvernement a été à la tête d’une opération de délégitimation du mouvement contre Parcoursup, chiffrant à plusieurs centaines de milliers d’euros les conséquences financières des occupations étudiantes.

Plus profondément, le discours de la présidence de Paris 1 ou les réactions dans les médias dominants tendant à faire des occupations étudiantes les responsables de l’état de délabrement des universités et du caractère vétuste des bâtiments. Une politique qui vise ainsi à blanchir les politiques de casse de l’université publique et le manque structurel de moyens. Dans de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux, les étudiants pointent ainsi l’hypocrisie de la classe politique et de la direction de Paris 1 condamnant la dégradation de locaux qu’ils ont eux-mêmes sciemment saccagés par leurs différentes réformes libérales. « On me parlait beaucoup de La Sorbonne et j’ai été choquée de voir l’état du campus. Les étudiants crèvent la dalle et les bâtiments tombent en ruine. C’est normal qu’ils se révoltent » peut-on ainsi lire sur le compte Twitter d’une étudiante.

De fait, les réformes de fermeture progressive des universités aux classes populaires avec Parcoursup, les très nombreux chargés de TD non payés, l’externalisation des services de sécurité et de nettoyage pour exploiter une main d’œuvre précaire ou encore la baisse systématique des budgets sont à la source des mauvaises conditions d’étude et de travail, et non les étudiants mobilisés. Le récit selon lequel la présidence ou le rectorat seraient les protecteurs de la « production des savoirs et de la liberté » est donc ostensiblement une politique de délégitimation d’une colère étudiante qui pointe justement du doigt les attaques incessantes contre l’enseignement supérieur public que Marine Le Pen et Macron comptent bien poursuivre pendant les cinq prochaines années.

Objectif n°2 : Donner un prétexte à la répression administrative… et judiciaire

Mais l’enjeu pour la présidence de Paris 1 et du rectorat, appuyés par l’extrême-droite sur les réseaux sociaux, est de trouver des prétextes pour réprimer la dynamique de mobilisation. En effet, dans son communiqué officiel, Christine Neau-Leduc explique que « les centres de l’université n’accueilleront pas d’enseignements pour cette dernière semaine (mardi 19 avril au samedi 23 avril 2022) » car ce serait le temps minimum nécessaire pour réparer les locaux après la casse de l’occupation. La contradiction saute aux yeux : alors que seule une aile des locaux de La Sorbonne était occupée pendant un peu plus de 24 heures, ce sont les 25 sites de l’université de Paris 1 qui seront fermés jusqu’au 2 mai – en comptant les vacances scolaires.

Bien loin de préoccupations de rafraichissements énoncés dans le mail, c’est à une véritable politique de répression administrative que se livre la présidence de l’université, pour empêcher tout regroupement des étudiants mobilisés sur quelconques centres. Dans cette lignée, ce sont d’ailleurs plusieurs universités de région parisienne qui ont basculé les cours à distance pour vider les campus : Sorbonne Université (Paris 4 et 6), Paris 3 et Nanterre. Sans aucune occupation ni donc de dégradations des locaux justifiant leur fermeture, mais le seul et unique objectif de tuer dans l’œuf une mobilisation naissante.

En outre, l’expérience de 2018 est éclairante s’agissant de la politique de rafraichissement des locaux qui auraient été vandalisés. Après l’occupation du centre Tolbiac pendant trois semaines, l’ancien président de l’Université Georges Haddad avait entrepris de financer le renforcement de l’arsenal sécuritaire et répressif du campus en mettant ces dépenses sur le dos des dégradations de matériel qu’auraient commis les étudiants mobilisés. De quoi préparer les futurs mouvements avec davantage de caméras de surveillance, des grilles avec pointes de lance à l’entrée, ou encore en augmentant les effectifs d’agents de sécurité privée.

Mais au-delà de la répression administrative, ce sont la question des suites sur le terrain judiciaire qui sont posées par les dénonciations conjointes du rectorat et de la présidence de Paris 1 qui pointe la « violence matérielle et immatérielle » commise par les occupants. En effet, après vote en Conseil d’administration en début de mandat, Christine Neau-Leduc s’est vue déléguer les pouvoirs de poursuite judiciaire au nom de l’établissement. Cette prérogative étant ouverte notamment à l’encontre d’étudiants de l’université, la possibilité pour que la direction de l’université prenne des sanctions à l’encontre de certains occupants sur la base de ce récit est donc ouverte.

La crainte d’un mouvement politique dans les universités

L’opération de communication de la présidence et du rectorat avec l’appui de l’extrême-droite visent ainsi à tuer dans l’œuf une colère étudiante qui pourrait se propager rapidement dans le sillage de l’ENS, Science Po et Paris 1. En fin de semaine, ce sont les principaux concernés qui ont dû prendre la parole à ce sujet.

« Sciences po, ils ont raté le cours démocratie ? Ils ont séché ? Ils faisaient quoi ? Ils sont partis en week-end ? Le cours démocratie, le cours Constitution » a fustigé Marine Le Pen, choisissant d’apparaitre ferme et méprisante à l’égard des jeunes mobilisés.

De son côté, Emmanuel Macron a expliqué sur France Info que « si on se met à contester toutes les règles, ça devient l’anarchie » et sommé aux étudiants de « choisir le projet dont [ils sont] les plus proches ». Une façon d’appeler au moindre mal en sa propre faveur, et de tenter d’incarner le barrage contre l’extrême-droite qu’il a sciemment construit pendant son mandat, en jouant au pompier pyromane.

A quelques jours du second tour, l’émergence d’une troisième voie qui dépasse la simple consigne de vote en faveur de l’un ou l’autre finaliste a de quoi inquiéter. En particulier, si Macron tente d’incarner le bloc progressiste face au danger de l’extrême-droite, c’est par la répression qu’il répond aux étudiants mobilisés. Jeudi, de nombreux manifestants ont ainsi été matraqués, gazés, voire interpellés aux abords de La Sorbonne. Une politique de l’intimidation qui complète donc celle des lock-out administratifs.

Face à cette contre-offensive de la part du gouvernement, de l’administration et de l’extrême-droite, il y a urgence à témoigner d’un soutien inconditionnel à la mobilisation étudiante, au-delà des débats légitimes au sein du mouvement sur la stratégie à adopter pour aller au bout des aspirations exprimées. Ce qui se joue est en effet l’avenir du mouvement étudiant pour le prochain quinquennat, qui sera explosif peu importe l’issue du vote du second tour. La radicalité qui s’exprime est inédite dans le cadre d’une période de l’entre-deux-tours, et il est nécessaire de la défendre face à la répression d’Etat et aux stratégies de division pour être ensuite en mesure de construire une véritable riposte du monde du travail, des jeunes et des quartiers pour les cinq prochaines années à venir.


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